Européennes : Reconquête! face à la menace du vote utile<!-- --> | Atlantico.fr
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Marion Maréchal et Éric Zemmour, lors du meeting de lancement de la campagne de Reconquête! aux élections européennes, dimanche 10 mars 2024 à Paris
Marion Maréchal et Éric Zemmour, lors du meeting de lancement de la campagne de Reconquête! aux élections européennes, dimanche 10 mars 2024 à Paris
©EMMANUEL DUNAND / AFP

Stratégie

Après le RN et Renaissance, Reconquête! a lancé à son tour sa campagne pour les élections européennes dimanche 10 mars.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Après le RN et Renaissance, Reconquête a lancé à son tour sa campagne pour les élections européennes dimanche 10 mars. Éric Zemmour et la tête de liste Marion Maréchal ont, entre autres, pris la parole. Comment peut-on analyser leurs interventions ? Y avait-il une stratégie apparente pour capter des électeurs en vue des européennes ?

Christophe Boutin : Le meeting de Reconquête! est justement intéressant car il traduit la difficulté qu’ont les partis exclus du duel à exister, ici à droite. La solution qui a été retenue à Reconquête! est donc d’éviter la conflictualité et d’expliquer aux électeurs qu’il faut sortir de la logique du duel. Cette stratégie consiste à parler à tous les électeurs de droite et à tout faire pour leur éviter toute tentation de vote utile, un vote utile qui, vu les circonstances, se porterait naturellement sur l’opposant principal au Président, le Rassemblement national - qui, lui, jouera sur le fait que l’élection n’est qu’à un tour pour éviter la dispersion des voix de droite.

Aussi a-t-on entendu Éric Zemmour, de manière peut-être surprenante, déclarer sa flamme aux électeurs potentiels de ses concurrents, ceux du Rassemblement national comme ceux des Républicains : « Je vous aime, on vous aime ». On sent bien l’idée sous-jacente, dont on sait qu’elle fait aussi partie en quelque sorte de l’ADN de Marion Maréchal, qui est celle d’une union des droites. Mais en tentant en même temps d’expliquer à ces électeurs que les deux appareils concurrents, du RN et de LR, représentent moins la « vraie droite », la « droite de conviction », que celui de Reconquête! – le RN étant accusé d’aller trop loin dans la dédiabolisation, avec l’exemple du vote de la loi immigration, LR de n’être plus gaulliste que de nom.

Éric Zemmour et Marion Maréchal ont plutôt épargné le Rassemblement national, beaucoup moins Les Républicains. « Vous savez que le RN aura des eurodéputés et que Jordan Bardella est certain d’être élu, a déclaré Marion Maréchal. Posez-vous donc simplement cette question : pensez-vous que la France sera mieux défendue s'il y a uniquement Jordan Bardella au Parlement européen ou si Reconquête ! est également présent ? » En appelant de ses vœux à une union des droites tout en désignant le RN comme son concurrent (et non son ennemi), l’état-major de Reconquête! n’est-il pas coincé ?

Le Rassemblement national, après avoir hésité sur le choix de quitter l’Union européenne, se résout actuellement à y rester pour la faire changer de l’intérieur. Il s’y résout d’autant plus facilement qu’il voit monter dans toute l’Europe une vague de partis eurosceptique qui, s’ils souhaitent maintenir des alliances au niveau européen, souhaitent aussi éviter la dérive fédéraliste dans laquelle la Commission s’est engagée - et plus encore sous la férule d’Ursula von der Leyen. En ce sens, le RN n’est pas très loin des projets de Reconquête, et, qui plus est, a l’avantage d’avoir des élus européens depuis longtemps mais aussi, et surtout, d'être, sur le plan national cette fois, dans une phase ascendante, renforcée, comme nous l'avons dit, par le duel auquel Emmanuel Macron a choisi de résumer ces élections. Mais justement, l’union des droites sera toujours refusée par un RN qui est dans une phase ascendante et qui est placé par les attaques présidentielles sur le devant de la scène, comme le principal opposant si ce n’est le seul à Emmanuel Macron. 

La solution de Reconquête! est donc d’expliquer à l’électorat du RN que la partie est déjà gagnée, que, de toute manière, il y aura des élus du RN qui vont siéger à Bruxelles, mais que la droite dans son ensemble pourrait avoir intérêt à faire entendre aussi une autre voix, celle de Reconquête, dans un autre parti européen. Il y a une concurrence en la matière, mais pas idéologique, et elle peut donc se penser en termes de complémentarité, d’autant plus que, si l’on croit les contacts qui ont été pris, les élus des deux formations n’auraient pas vocation à siéger dans le même parti européen - à moins qu’il y ait après ces élections une recomposition importante des partis européens de droite -, puisque le RN devrait continuer à siéger dans le groupe Identité et démocratie (ID), quand Reconquête devrait siéger dans le groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE).

Même si Marion Maréchal éprouve de la sympathie personnelle pour François-Xavier Bellamy, comme elle l’a répété dimanche, a-t-elle les moyens de récupérer spécifiquement les électeurs des Républicains ? Comment différencier les deux têtes de liste de leur vision sur l’Europe ?

On pourrait ici aussi parler de proximité idéologique entre François-Xavier Bellamy et Marion Maréchal. Les deux s’inscrivent en effet très clairement dans le cadre d’un courant conservateur, attachés à un certain nombre de valeurs que ces deux politiques partagent, attachés aussi à une certaine idée de la nation et de sa place, dans le monde en général et face à l’Union européenne en particulier. 

La différence ici est celle de la cohérence de la liste ou du parti qui est derrière le leader. Marion Maréchal n’a pas de problème de cohérence, car il n'y a pas au sein de Reconquête de « courants » différents, de choix différents sur le rapport à l’Union européenne. Toute autre est la situation chez Les Républicains. Quand bien même leur tête de liste est-elle cette année encore ce François-Xavier Bellamy dont on vient d’évoquer le conservatisme dans un certain nombre de domaines, et les regards parfois critiques qu’il porte sur le fonctionnement de l’Union européenne, que ce parti reste divisé – plus encore dans son appareil que chez ses électeurs – entre une ligne gaullo-conservatrice, très proche de « l’Europe des nations », et une liste centro-progressiste qui, elle, est toute acquise à « l’approfondissement » de l’Union – c’est-à-dire à sa dérive fédéraliste. D’où l’appel lancé par Éric Zemmour aux électeurs gaullistes « trahis » par LR à voter pour la liste Reconquête.

Le cadre de ces élections européennes semble particulier. Au sortir des meetings de ce week-end, que peut-on en penser ?

On l’a bien compris avec le meeting de Renaissance qui a eu lieu samedi - mais on l’avait compris auparavant, à la fois dans les déclarations du président de la République et dans celles du Premier ministre -, tout est fait pour présenter ces élections européennes comme un duel entre Renaissance d’une part et le Rassemblement national d’autre part, un duel qui serait avivé par la question de la guerre en Ukraine et du supposé tropisme philo-russe que l’on prête à Marine Le Pen. Lors du meeting de samedi, Gabriel Attal a ainsi employé le terme de « trahison », ou a évoqué aussi, comme d’ailleurs Valérie Hayer, une « soumission » à la Russie et une ambiance munichoise. Finalement tout a tourné autour du RN : c’est à peine si la gauche a été évoqué, avec le cas de la France insoumise en deux mots, quand l’impasse était faite sur la liste de gauche qui est la concurrente principale de Renaissance, à savoir la liste socialiste conduite par Raphaël Glucksmann, et, à droite, ni les Républicains ni Reconquête n’ont été sérieusement envisagés comme adversaires.

Il faut donc pour les autres listes, exclues d’un duel sur lequel tout le monde des médias va se concentrer, arriver à exister. Classiquement les élections européennes, parce qu’elles semblent n’avoir pas ou peu d’enjeux, parce qu’il y a un taux d’abstention particulièrement important qui favorise les votes militants, parce que le mode de scrutin, la proportionnelle à un tour, diminue la portée du trop fameux « vote utile », permet l’émergence de partis pourtant secondaires lors des consultations nationales. Lors des élections précédentes, les partis écologistes ont par exemple pu bénéficier de cet avantage. Mais les choses sont donc bien différentes en cette année 2024 où la consultation est « nationalisée » par un Emmanuel Macron qui ne supporte pas de voir sa liste menée de 10 points dans les sondages depuis des mois, et qui craint le syndrome Obama – voir le « camp de la raison » contraint de céder la place aux « populistes ».

Marion Maréchal apparaît dans les quatre personnalités politiques dont la cote de confiance est la plus élevée (sondage pour Le Figaro Magazine de février), mais la campagne pour les européennes semble laborieuse. Preuve à l’appui, à trois mois des élections européennes qui se dérouleront le 9 juin, un sondage Elabe pour BFMTV et la Tribune du Dimanche a été révélé pendant le week-end. La liste menée par Marion Maréchal recule à 4,5%, ce qui signifierait que Reconquête ! n’atteindrait pas la barre des 5% pour avoir des élus au Parlement européen. Comment l’expliquer ? En cas d’absence d’élus du parti d’Éric Zemmour au Parlement européen, cela pourrait-il conduire à sa marginalisation progressive de la vie politique française ?

Je crois que les éléments évoqués précedemment expliquent cette évolution : la nationalisation de ces élections, le duel d’une rare violence entre Renaissance et le RN sont des éléments qui conduisent logiquement à l’effacement de certaines listes, et plus encore d’ailleurs à droite qu’à gauche. En effet, Emmanuel Macron ne se rend sans doute pas compte qu’il passe de moins en moins bien actuellement dans l’opinion publique, et que loin de fédérer, son image a un effet repoussoir important. À droite, cela contribue à faire progresser l’adversaire principal qu’il a désigné, avec un effet de « vote utile » contre lui au profit du RN. Mais à gauche, ce même « vote utile » qu’il espère sans doute en faveur de Renaissance, est contrebalancé par le rejet qu’il inspire et qui, dans les mois qui viennent, pourrait très bien faire de la liste du parti socialiste une épine dans le pied de Renaissance. Il ne lui restera bientôt plus comme solution qu’à faire peur, par toutes sortes de gesticulations – Russie, euro… - à l’électorat âgé qui le maintient au pouvoir.

Reconquête! a effectivement besoin d’exister aux européennes après ce que l’on peut considérer comme une défaite aux législatives - même si, rappelons-le, les scores obtenus étaient loin d’être ridicules, tant à la présidentielle qu’aux législatives, pour un parti qui venait d’apparaître sur la scène politique. Les choses étaient a priori favorables avec ce type d’élection, de surcroît en bénéficiant comme tête de liste d’une Marion Maréchal dont vous relevez combien elle est appréciée des Français, mais la nationalisation et la binarisation des affrontements font qu’il est difficile au parti de trouver sa place. Bien sûr, il s’agit plus ici de victoire symbolique que d’autre chose, puisque les parlementaires européens ne sont pas spécifiquement présents dans les médias français, qui ne rendent que compte de ce qui peut se passer dans le cadre des débats d’un parlement européen qui, rappelons-le aussi, n’a que des pouvoirs très limités, et ne peut en aucun cas être comparé aux parlements nationaux des différents États membres. Mais il est vrai que l’image du parti pourrait en pâtir et qu’il importait alors de se poser la question de son mode d’action pour les prochaines élections, des élections municipales dans lesquelles un parti nouveau a souvent des difficultés à émerger.

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