Européennes : le Parlement bascule à droite… mais jusqu’où ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Conservateurs classiques du « Parti Populaire européen » demeurent la première force électorale européenne
Les Conservateurs classiques du « Parti Populaire européen » demeurent la première force électorale européenne
©FREDERICK FLORIN / AFP

Équilibres politiques

Les Conservateurs classiques du « Parti Populaire européen » demeurent la première force électorale européenne, avec un peu plus d’un quart des sièges. Les Sociaux-démocrates sont quant à eux la seconde, avec un peu moins de 20% des sièges.

Yves Bertoncini

Yves Bertoncini

Yves Bertoncini est consultant en Affaires européennes, enseignant à l’ESCP Business School et au Corps des Mines.

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Atlantico : Quels sont les principaux enseignements des élections européennes chez nos voisins européens, notamment en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas, en Hongrie et en Espagne ? L’Europe entame-t-elle un véritable virage à droite comme les sondages l’ont annoncé ou la situation est-elle plus nuancée ?

Yves Bertoncini : Les élections européennes des 6-9 juin 2024 ont délivré un verdict s’inscrivant dans une relative continuité, comme les logiques politiques à l’œuvre permettaient de le percevoir et comme les sondages l’avaient annoncé - seule la France semble au point de rupture…

Les Conservateurs classiques du « Parti Populaire européen » demeurent en effet la première force électorale, avec un peu plus d’un quart des sièges, et les Sociaux-démocrates la seconde, avec un peu moins de 20% : l’Europe politique ressemble donc beaucoup plus à l’Espagne, où le Parti populaire et les Socialistes sont loin devant, qu’à la France...  Les candidats du PPE sont ainsi arrivés en tête en Espagne, en Allemagne ainsi que dans une dizaine d’autres pays de l’UE, dont la Pologne (dans le cadre d’une coalition). Et si Orban reste largement en tête en Hongrie, au-delà de 40%, un parti affilié au PPE y a aussi obtenu près de 30%. Cette droitisation était déjà récemment à l’œuvre au Conseil de l’UE, puisque des membres du PPE dirigent désormais une douzaine de gouvernements nationaux, alors qu’ils en dirigeaient autant que les Sociaux-Démocrates et les Libéraux centristes il y a quelques années. 

L’évolution des résultats italiens symbolise le 2ème élément de droitisation à l’œuvre : alors que les partisans de Giorgia Meloni n’avaient obtenu que 6% en 2019, contre 34% à la Lega de Matteo Salvini, ils ont obtenu 28% cette fois-ci, contre seulement 9% à la Lega. Cette inversion va renforcer l’influence du groupe des « Conservateurs et Réformistes », où siègent les « Mélonistes », mais au détriment des élus de l’extrême droite traditionnelle (qui siègent au sein du groupe « Identité et Démocratie »). Ces derniers sont arrivés en tête en France et en Autriche, mais pas aux Pays-Bas et ils ne progressent pas en termes de sièges, sauf à accepter de renouer avec les élus de l’AFD, qui ont dépassé les 15% en Allemagne, où à accueillir des élus aujourd’hui non-affiliés.

Il faudra d’ailleurs attendre le choix d’affiliation d’autres partis aujourd’hui non affiliés, et notamment des élus de Victor Orban et du Mouvement 5 étoiles italien, pour avoir une vision plus nette des équilibres au sein du nouveau Parlement européen. Mais au total, il devrait continuer à fonctionner sur la base de majorités à géométrie variable largement façonnées par le PPE, le S&D et Renew, avec l’appui ponctuel du groupe ECR et/ou des Verts – une situation qui fait écho à celle qui prévaut déjà entre les Etats-membres, réunis au sein du Conseil, conformément aux souhaits des citoyens européens.

Au regard des principaux résultats à travers l’UE, les équilibres politiques au sein des groupes au Parlement européen vont-ils être bousculés ?

Les groupes politiques au sein du Parlement européen sont traditionnellement contrôlés par les délégations nationales les plus nombreuses. A cet égard, rien de substantiel ne devrait changer au PPE, où la CDU-CSU demeurera dominante, ni chez les Sociaux-Démocrates, où les Espagnols et les Italiens vont demeurer très nombreux – la situation étant plus contrastée chez les Libéraux-Centristes, où les élus Macronistes demeureront les premiers, mais avec seulement 13 élus contre 23 jusqu’à lors. 

Le mouvement le plus notable va concerner le groupe des « Conservateurs et Réformistes », au sein duquel les soutiens de Georgia Meloni devraient prendre l’ascendant sur les membres polonais du parti « Droit et Justice ». Le groupe des Verts continuera quant à lui à être dominé par les élus allemands, malgré leur recul, tandis que les élus Mélenchonistes vont renforcer leur influence au sein du groupe de la gauche radicale.

Quel pourra être le poids des eurodéputés français et leurs marges de manœuvre au sein du Parlement européen ?

Le verdict électoral français va globalement conduire à une forme de « dissolution » de l’influence française au Parlement européen, où il importe d’envoyer le maximum de députés au sein des groupes qui négocient et adoptent les décisions, c’est-à-dire le PPE, le S&D, Renew, et dans une moindre mesure les Verts et « l’ECR ». 

En termes d’influence nationale, la progression spectaculaire du nombre de députés européens du RN (de 23 à 30), et à un degré moindre de la France Insoumise (9 élus), est donc particulièrement contre-productive, puisqu’ils rassembleront près de la moitié du contingent national. Il en va de même de l’affaiblissement du leadership des élus Macronistes au sein d’un Groupe Libéral-centriste lui aussi en recul. Le nombre des élus français au sein du PPE ne progressant pas, l’unique évolution positive du point de vue de l’influence nationale concerne le doublement du nombre d’élus français au sein du Groupe S&D, combiné au net recul du nombre de membres du SPD allemand – et à un degré moindre l’élection de 5 députés Reconquête au sein d’un groupe « ECR » renforcé.

La dissolution annoncée par Emmanuel Macron après le succès du RN dimanche soir va-t-elle avoir des conséquences en Europe et sur la politique européenne ? 

Cette dissolution est d’abord un défi pour la France, qui va plonger dans l’incertitude politique pendant quelques semaines, alors même que des négociations vont s’intensifier courant juin pour déterminer le contenu de l’agenda 2024-2029 de l’UE et s’entendre sur la présidence de la Commission européenne.

Les répercussions au niveau européen seront fortes si le Rassemblement National remporte les législatives, puisqu’une cohabitation adviendrait et que la ligne pro-européenne du Président s’en trouverait contrecarrée. Si aucune majorité claire ne se dégage, la France demeurera affaiblie, pas seulement au niveau communautaire mais aussi dans sa capacité à être bien présidée et gouvernée, à l’heure où elle fait face à de nombreux périls internationaux et internes. Seule la victoire d’une majorité présidentielle revigorée serait une contribution bienvenue à la bonne marche de l’UE, qui a besoin de gouvernements forts et stables pour être efficace.

Au-delà et à plus court terme, il n’est évidemment pas anodin pour les Européens que l’extrême droite l’emporte si largement dans l’un des pays fondateurs de l’UE, qui contribue à façonner ses principales décisions depuis toujours. Il s’agit là d’un signal d’alerte dont les racines strictement nationales sembleront évidentes, mais qui fait aussi écho à une tectonique des plaques à la fois géopolitique, économique et migratoire qui frappe tout le continent, et que les nouveaux dirigeants européens devront eux aussi affronter.

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