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Environnement : plastique ou gaz à effet de serre, pourquoi l’Europe se flagelle-t-elle autant alors qu’elle est de loin le continent qui pollue le moins au monde ?
©Thomas SAMSON / AFP

Masochisme

Le ministre de la transition écologique et Solidaire, François de Rugy, a déclaré cette semaine dans une interview accordée à France 2, que l'écologie devait être au cœur des élections européennes à venir et que chaque personnalité sur la liste LREM était crédible sur cette thématique.

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni est présidente d'Economie d'Energie et de la Fondation E5T. Elle a remporté le Women's Award de La Tribune dans la catégorie "Green Business". Elle a accompli toute sa carrière dans le secteur de l'énergie. Après huit années à la tête de Primagaz France, elle a crée Ede, la société Economie d'énergie. 

Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages majeurs: Intelligence émotionnelle (2008, Maxima), Mutations énergétiques (Gallimard, 2008) ou Comprendre le nouveau monde de l'énergie (Maxima, 2013), Understanding the new energy World 2.0 (Dow éditions). 

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Atlantico : Alors que la France est classée 21ème sur 56 pays au "Climate change performance index", sans pour autant arrêter de s'impliquer dans la lutte contre le réchauffement climatique, ne devrions-nous pas déculpabiliser ? 

Myriam Maestroni : Le terme « déculpabiliser » traduit déjà d’une certaine façon le mal dont souffre notre pays traditionnellement habitué aux « pour » et aux « contre », et donne l’impression, à mon sens erronée, qu’il pourrait y avoir dans notre pays ceux engagés dans la cause climatique pour qui on n’en ferait jamais assez et ceux pour qui la question deviendrait moins prioritaire, dans un contexte de climat social ou s’invite un grand nombre d’autres problèmes.

Il est vrai que le contexte des derniers mois pèse sur la question de l’écologie. N’oublions pas que c’est la hausse du prix des carburants en fin d’année, sensée pénaliser les carburants fossiles émetteurs de CO2, qui a déclenché un effet de mobilisation générale. Et les manifestations ont d’un coup mis en lumière une série de problèmes sociétaux dont certains dérivaient d’un vrai conflit entre les besoins et les coûts liés à nos déplacements d’un côté, et une vision macroéconomique visant à renchérir le coût du carbone, de l’autre. Aux rêves de « smart cities » venaient alors s’opposer des réalités locales parfois bien éloignées voire opposées à celles dictées par l’urgence climatique.

Les élections européennes prévues pour fin mai se positionnent en pleine croisée des chemins avec des députés qui auront, dans les cinq prochaines années, à gérer la délicate question de la transition énergétique pour nous conduire vers un monde décarboné dans des délais bien plus serrés que ceux que nous ne l’imaginions. La problématique, ainsi posée, permet, me semble-t-il, de mieux appréhender combien toutes les autres questions de l’emploi, en passant par l’alimentation, le libre-échange, les investissements ou encore l’immigration (notamment celle liée aux réfugiés climatiques), peuvent être influencés par cette profonde évolution de nos sociétés. Il n’est donc pas étonnant de voir la thématique écologique devenir facteur de crédibilité. Cela est d’autant plus vrai que les attentes sont énormes, comme le démontrent les manifestations en faveur du climat qui mobilisent massivement des citoyens de tous les âges et de tous les courants politiques (marche du siècle du 16 mars), des pétitions signées par de milliers de milliers de personnes (« l’affaire du siècle » : pétition de 2 millions de signatures), des « grèves de l’école pour le climat », ou même encore des actions judiciaires sans précédent contre les Etats, et en l’occurrence l’Etat français attaqué pour inactions climatiques.

Plus que jamais l’écologie, revue et corrigée par le prisme de l’urgence climatique, s’inscrit par nature dans une logique mondiale, donc européenne et, bien sûr, politique. La lutte contre le réchauffement climatique se retrouve donc légitimement en tête de liste des programmes des différents partis politiques en lice pour les élections européennes. Il ne s’agit donc plus de savoir si on doit culpabiliser ou pas, mais bien d’acter et de prendre en compte un mouvement de transformation sociale visant à construire un nouveau modèle de société et de modes de vie respectueux de notre planète (à notre connaissance la seule garantissant les conditions de la vie humaine)

En 2018, l'Université de Yale classait la France deuxième -dans les pays européen- dans son classement bi-annuel de l'indice de performance environnementale, la bonne qualité de l'air français étant en cause. Dans quels autres domaines liés au secteur environnemental et à l'écologie la France est-elle en pointe ? 

Il convient tout d’abord de rappeler que la performance environnementale est passé à une nouvelle logique dans laquelle les vœux pieux ne suffisent plus. Il devient donc nécessaire de mesurer de la façon la plus pertinente possible l’impact des politiques de développement durable. Les engagements que supposent les Accords de Paris pour limiter le réchauffement climatique ou plus généralement les politiques permettant d’atteindre les Objectifs de Développement Durable (ODD) fixés par les Nations Unies en 2015, impliquent des calculs prenant en compte un ensemble d’éléments en lien avec le contrôle de la pollution ou de la préservation des ressources naturelles.

Vous mentionnez explicitement celle utilisée par l’Université de Yale en coopération avec Columbia et le Forum Économique Mondial qui utilise une méthodologie assez complexe pour déterminer son Indice de Performance Environnementale, (IPE).

Retenons que l’intérêt de ces index synthétiques est de mettre en évidence des tendances, de comparer des approches, d’identifier les bonnes pratiques, et certainement d’améliorer la qualité et la rentabilité des investissements permettant de préserver l’environnement.

Ainsi, celui de Yale (repris dans votre question), qui est publié depuis 20 ans à un rythme biennal, détermine l’évolution de 24 indicateurs de performance classés en 10 catégories, à savoir : Qualité de l’air, Accès à l’Eau potable et Assainissement, Métaux lourds, Biodiversité et Habitat, Exploitation Forestières, Surpêches, Énergie et Climat, Pollution de l’Air, Consommation d’eau, et Agriculture.

Aujourd’hui reconnu comme l’un des plus avancés au monde pour analyser l’état des politiques publiques environnementales, l’IPE permet de calculer, pour 180 pays, une note de 0 à 100 qui prend en compte ces 24 indicateurs environnementaux toutes catégories confondues. Ces critères sont à leur tour classés en deux objectifs principaux : la santé environnementale (40%) et la vitalité de l’écosystème (60%).

Dans le dernier IPE publié en janvier 2018, la France arrivait bien, en effet, en 2ème position derrière la Suisse classée « pays le plus performant au monde ». Selon ce rapport, la qualité de l’air constituait un des principaux enjeux des politiques de santé publique. Ainsi, le succès des politiques environnementales est largement lié à la richesse des pays, ce qui, paradoxalement, fait ressortir les pays industrialisés, les Européens  étant quasiment tous en bonne position -Danemark (3e), Royaume-Uni (6e), Allemagne (13e), Italie (16e), et, en tout cas, mieux classés que les États-Unis (27e) ou le Canada (25e) qui pâtissent de leurs émissions importantes de gaz à effet de serre ainsi que de leur production de bois, qui limite les effets du reboisement.

A contrario, très peu de pays en développement sont considérés « performants " sur les enjeux environnementaux, a fortiori lorsqu’il faut gérer la pression démographique. C’est notamment le cas de la Chine (en 120e position) ou de l’Inde (177ème position) qui butent sur la mauvaise qualité de l'air. Finalement, ce classement confirme deux idées relativement répandues : ce sont les pays riches qui ont les moyens de financer (infrastructures nécessaires à la protection de la santé humaine et des écosystèmes) et d'atteindre leurs objectifs en termes de politique environnementale. De plus, les États en développement satisfont difficilement aux objectifs écologiques. L'urbanisation et l'industrialisation menacent la bonne « vitalité de l'écosystème » : « trop souvent, la croissance économique nuit à l'environnement, particulièrement à cause de l'exploitation des ressources naturelles ", note le rapport.

Si la France fait figure de bon élève, elle est a tout de même perdu quelques points dans ""Climate change performance index". Comment l'expliquer ? Et à l'heure actuelle -soit quelques mois plus tard- où en sommes-nous ? 

Toutes les explications préalables sont importantes pour comprendre qu’il faut en effet nuancer malgré tout ce classement encourageant… Pourquoi ?

Pour continuer sur la question de la qualité de l’air, sous haute surveillance dans notre pays, malgré de gros efforts et une tendance d’amélioration réelle, -bien prise en compte et mise en exergue par l’IPE-, la pollution atmosphérique continue d’être un vrai sujet de préoccupation des Français. Et pour cause ! A quelques encablures du vote de la Loi d’Orientation sur les Mobilités (LOM), nombreux sont ceux qui rappellent que la pollution de l’air extérieur, représente encore 48 000 décès prématurés par an soit 9% de la mortalité en France et un coût de la pollution de l’air (extérieur et intérieur) annuel total de 100 milliards d’euros dont une large part liée aux coûts de santé.

Mais ce n’est pas tout. Comme vous l’indiquez, il faut avoir recours à un autre index pour obtenir un éclairage plus directement lié à la performance en matière de changement climatique (et non plus au sens large de l’écologie comme dans l’index précédent)

Ainsi, l’Index de Performance sur le Changement Climatique -Climate Change Performance Index (CCPI)-, publié depuis plus de dix ans par les organisations Germanwatch, New Climate Institute, et le Réseau Climat Action, reflète les efforts pour combattre le changement climatique.

Les différentes positions des différents pays, leurs intérêts et leurs stratégies qui varient dans le temps, rendent difficile la tâche de distinguer leurs forces et leurs faiblesses. Dans ce contexte, le GIEC est un vecteur important pour permettre de comprendre plus clairement les politiques nationales et internationales. Plus on se rapproche de 2020, date à laquelle les pays devront soumettre leurs objectifs revus (revised Nationally Determined Contributions – NDCs), plus le GIEC ambitionne de pouvoir informer sur les démarches engagées pour accroitre les niveaux de performance souhaitées.

En 2018, la méthodologie de calcul du CCPI a été réévaluée et révisée afin de démontrer les mesures de façon plus précises encore, et pour encourager les étapes en faveur des politiques climatiques effectives. Depuis la dernière édition, le CCPI analyse les émissions de GES de 56 pays et de l’UE, et a été adapté pour mieux tracer les accords globaux définis dans les Accords de Paris. L’Index compare, pays par pays, l’évolution de trois catégories d’indicateurs clés : les “Émissions de GES”, les “Énergies Renouvelables” et l’“Utilisation de l’Énergie”, mais également la compatibilité des actions ou politiques énergétiques mises en œuvre par rapport aux enjeux des Accords de Paris.

Sur cette étude, 60 pays ont été analysés sur les 4 éléments cités précédemment avec une pondération comme suit : Emissions de GES -GHG Emissions- (40% du total), Part des énergies renouvelables -Renewable Energy- (20% du total), Efficacité énergétique -Energy Use- (20%)  et Politique climatique -Climate Policy- (20%).

De cette analyse ressortent 4 groupes de pays classés en fonction de cet indice, et là, la France est en recul et n’arrive qu’en 21ème position avec un index de59.

En effet, si notre pays continue d’être très bien classé en matière de politique climatique, tant au niveau des politiques locales que pour le rôle diplomatique joué en la matière, on continue d’avoir devant nous un énorme chantier de rénovation des bâtiments et des logements en forte surconsommation, d’amélioration de la réduction des émissions dans le transport, de sortie totale du charbon qui fait l’objet de nombreuses tergiversations, ou encore d’accroissement de la part des énergies renouvelables en deçà des niveaux attendus pour respecter la trajectoire des 2°C fixée dans les Accords de Paris. Ceci alors même que la part des renouvelables est en progression sur les 5 dernières années  tout en étant encore handicapée par la prédominance du nucléaire dans le mix électrique (devant être ramené à 50%).

La récente publication -début 2019- de la PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Énergie), outil de pilotage de transition énergétique dans notre pays, projeté à l’horizon 2028, devrait également aider à accélérer et consolider les initiatives et les investissements des principaux acteurs impliqués, sous réserve, néanmoins, de veiller à une mise en œuvre rapide et d’éviter de créer des incertitudes qui pèsent négativement sur la capacité d’action dans un contexte où l’urgence climatique requiert des décisions à la fois sages et rapides.

Notre pays a une approche assez en pointe sur l’efficacité énergétique, de mieux en mieux comprise et reposant sur une méthodologie qu’il serait intéressant de partager au niveau européen.

En effet, à quelques semaines des élections, il sera opportun de créer une vision du nouveau monde européen de l’énergie qui doit intégrer un mix énergétique de moins en moins carboné ; conférer un rôle central à l’efficacité énergétique, pilier de la transition énergétique, se soucier de façon croissante de l’environnement au sens large (biodiversité, civisme écologique etc), innover dans une logique régénérative et prendre en compte des caractéristiques territoriales dans une logique à la fois locale et intégrée avec nos voisins allemands, belges, italiens, espagnols, néerlandais, etc. D’autant qu’il ne faut pas oublier que le projet de PPE constitue un des volets du projet de Plan National Intégré Énergie Climat qui est lui-même une obligation européenne.

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