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Énergies renouvelables : l’expérience suisse qui donne à réfléchir
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En Suisse, lorsque les sociétés énergétiques ont fait le choix de l’électricité verte cela s’est répercuté sur les consommateurs, mais leur comportement est plus ou moins déroutant.

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni est présidente d'Economie d'Energie et de la Fondation E5T. Elle a remporté le Women's Award de La Tribune dans la catégorie "Green Business". Elle a accompli toute sa carrière dans le secteur de l'énergie. Après huit années à la tête de Primagaz France, elle a crée Ede, la société Economie d'énergie. 

Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages majeurs: Intelligence émotionnelle (2008, Maxima), Mutations énergétiques (Gallimard, 2008) ou Comprendre le nouveau monde de l'énergie (Maxima, 2013), Understanding the new energy World 2.0 (Dow éditions). 

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Atlantico.fr : En Suisse, lorsque les sociétés énergétiques ont fait le choix de l’électricité verte cela s’est répercuté sur les consommateurs. Pourtant selon une étude, les clients n’auraient pas été prêts à revenir à des énergies fossiles même si elle est moins chère. Comment s’est passée cette transition ? Quelle a été l'expérience suisse ? 

Myriam Maestroni : Un groupe de chercheurs anglo-suisse vient de publier une étude dans le Journal Nature Human Behaviors qui analyse l’effet de faire opter les consommateurs pour une offre d’électricité 100% renouvelable. Ils ont analysé les offres et les résultats obtenus par deux fournisseurs d’énergie suisses approvisionnant un portefeuille de 234.000 foyers et 9.000 entreprises situés dans des zones urbaines et rurales. Leurs clients pouvaient opter pour une offre d’énergie conventionnelle ou une offre d’énergies renouvelables. Par défaut, les consommateurs bénéficiaient automatiquement de la seconde, à moins de demander explicitement une autre offre. L’étude montre que le nombre de consommateurs privés souhaitant bénéficier de l’offre conventionnelle (c’est-à-dire non renouvelable) était passé de 97% à 15%. Mais surtout, au bout de six ans, 80% des ménages bénéficiaient toujours du tarif vert (contre 3% avant cette initiative). Pour les entreprises, on était passé de 97% à 23% et au bout de six ans 71% restaient toujours sur l’option verte. Le deuxième fournisseur obtenait des résultats comparables… Selon ses auteurs, l’analyse semble démontrer que cette idée d’imposer l’électricité d’origine renouvelable par défaut permet d’obtenir un impact immédiat mais surtout durable dans la lutte contre le changement climatique. Ils invitent ainsi les décideurs politiques à intégrer cette idée d’imposer par défaut l’option d’énergie propre, même si le prix en est plus élevé. En effet, dans l’étude de cas analysée, les prix de l’électricité verte pour les particuliers étaient supérieurs de 3 à 8% aux tarifs de l’énergie provenant du mix conventionnel, et, de l’ordre de +14% pour les entreprises -notamment sur leurs consommations nocturnes- (au global cela correspond à 2.300$ additionnels par an). Malgré ces coûts additionnels, le taux de clients ayant décidé de rester sur ces tarifs plus élevés reste très élevé. Ainsi, l’idée d’imposer un choix vertueux, par défaut, aux consommateurs en accroissant de façon transparente le prix, semble être une approche à creuser… Plus généralement, l’étude introduit la question de la gestion des habitudes et des comportements à prendre en compte dans les approches marketing.

Il ne fait aucun doute que les études impliquant le rôle du client dans les dynamiques de transformation des modèles énergétiques vont devenir essentielles. En effet, dans une économie digitale qui privilégie une approche « centrée sur le client » (« customer centricity »), il devient difficile d’ignorer le rôle que peut jouer l’usager d’hier en passe de devenir le citoyen eco-consomm’acteur de demain. Les questions relatives à la sensibilisation plutôt qu’au choix par défaut et la façon dont la compréhension et les habitudes s’ancrent dans la durée sont très importantes.

En matière d’énergie il est tout aussi important de mettre ces nouvelles approches marketing, déterminantes pour mieux appréhender et faire évoluer la demande, en perspective avec le sujet de l’offre.

A cet effet, il est important de préciser que la Suisse dispose d’un mix électrique largement vert, qui, par nature, construit une offre assez inédite. Selon l’Office Fédéral de l’Énergie (OFEN), entité chargée des questions relatives à l'approvisionnement énergétique et l’utilisation de l’énergie -dépendant du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication-, en 2019, le trois quart de l’électricité consommée dans la Confédération provenait des énergies renouvelables, et notamment, pour les deux tiers, de la production hydraulique issue des barrages (appelée « grande hydraulique). Les autres énergies renouvelables (solaire photovoltaïque, énergie éolienne et biomasse) représentent 8,4%. Le reste du mix électrique est constitué par la production nucléaire, qui représente environ 19%, le reste provenant des déchets et des énergies fossiles (moins de 5% du total). Force est de constater que les ressources énergétiques locales sont un des critères qui influencent largement l’offre. En Suisse, l’hydroélectricité est une ressource locale largement facilitée par le paysage montagneux et les nombreux cours d’eau recensés dans ce pays. En 2019, le pays était au 7e rang européen pour la production d’hydroélectrique avec 6,2 % du total européen et une production de près de 40 TWh. Pourtant, malgré tout l’intérêt du grand hydraulique, la capacité des lacs de retenue est insuffisante pour couvrir les besoins d’électricité pendant les mois d’hiver, ce qui explique qu’en cette période, la Suisse doive importer de l’électricité (notamment, historiquement, issue du nucléaire français), alors qu’elle peut en exporter en été. 

Par ailleurs, on doit également prendre en compte une culture politique très différente dans ce pays voisin. Les citoyens suisses sont très régulièrement invités à réfléchir sur les grands enjeux politiques et à s’exprimer lors de votations garantes d’une véritable démocratie participative. C’est ainsi qu’ils ont décidé, en 2017, d’approuver une nouvelle loi (Stratégie Énergétique 2050) qui définit une feuille de route en rupture avec la situation actuelle. Elle évoque notamment l’effort important qui devra être fait en matière d’efficacité énergétique, -un enjeu qui implique directement les choix individuels-, avec une consommation moyenne d’énergie par habitant devant diminuer de 43% d’ici à 2035.  Il s’agit, également, pour le pays d’abandonner progressivement le nucléaire d’ici à 2050 (soit la fermeture de 5 centrales à leur fin de durée d’exploitation). Cela suppose, bien entendu, de substituer la production d’origine nucléaire. En clair, la Suisse devra continuer à investir dans ses capacités de production hydro-électriques, avec plus de 2.000MW supplémentaires en construction ou en projet, et en même temps accroitre significativement la part des autres énergies renouvelables puisque cette dernière devrait être multipliée par plus de 6 par rapport au niveau de 2017. 

Le modèle de commercialisation de l’électricité est également très différent. On dénombre plus de 600 distributeurs. Ils sont souvent actifs à l’échelle communale, avec un portefeuille moyen de 1.500 clients. Seulement dix disposent d’un portefeuille supérieur à 100.000 clients. Ils peuvent commercialiser l’électricité qu’ils produisent eux-mêmes, l’acheter à un autre producteur, ou l’acquérir sur le marché de gros. Ils facturent aux consommateurs finaux de leur zone de desserte un tarif d’utilisation du réseau, correspondant aux coûts qu’ils supportent (« cost plus »). En moyenne, les prix de l’électricité en Suisse se situent dans la moyenne des pays voisins, mais avec des coûts de réseaux (liés aux spécificités géographiques) plus élevés et des taxes plus faibles. Ainsi, les consommateurs suisses ne sont pas tous traités à la même enseigne, et l’on constate une grande hétérogénéité de conditions tarifaires et de niveaux de prix différents entre les zones.

Au-delà des caractéristiques précédemment évoquées, les prix incorporent, jusqu’en 2030, une contribution aux investissements à réaliser dans les installations renouvelables : hydrauliques (jusqu’à 60% des coûts, et 40% pour les installations d’une puissance supérieure à 10 MW), photovoltaïques (jusqu’à 30%) et de biomasse (jusqu’à 20%). Enfin, les distributeurs peuvent prendre en compte, dans leurs tarifs d’approvisionnements de base, le coût de revient de l’électricité issue de la production locale à partir d’énergies renouvelables. Selon le site https://energiesvertes.ch, « choisir de l’électricité propre et locale coûte un peu plus cher, notamment en raison des coûts liés à la construction de nouvelles installations, certes. Mais cela permet aux fournisseurs d’investir à leur tour dans ce secteur, et ainsi renforcer la transition vers une production d’électricité composée majoritairement d’énergies renouvelables.Choisir les énergies renouvelables, c'est alimenter le cercle vertueux: selon ce principe, plus la demande d’énergies vertes de la part des consommateurs augmente, plus les fournisseurs vont investir dans ces énergies et en faire, à terme, baisser les coûts ». Depuis 2018, la mesure « par défaut » a été généralisée. En contrepartie, les consommateurs ont accès à des informations claires, vues comme un « marquage de l’électricité » avec des garanties d’origine (GO). Ils peuvent ainsi connaitre le pourcentage des énergies primaires utilisées pour produire l’électricité fournie, l’origine de l’électricité, c’est-à-dire sa provenance (Suisse ou étranger), la quantité totale de courant fourni et le nom du fournisseur d’électricité.

Atlantico.fr :  Est-ce une exception suisse ou ce comportement pourrait-il se retrouver dans d’autres pays ?   

Myriam Maestroni : Les chercheurs suggèrent qu’imposer une offre renouvelable par défaut est une façon de réduire les émissions de CO2, notamment dans des pays où la part des combustibles fossiles dans le mix électrique est trop élevé. Parmi les pays concernés, ils citent l’Allemagne, les États-Unis ou la Chine. Au-delà de la baisse des émissions de CO2, cela pourrait toujours, selon les chercheurs, générer des gains de bien-être et contribuer à caler un « coût social du carbone ». 

Les chercheurs assurent que, d’après leur simulation, -réalisée sur la base des données 2018-, si l’Allemagne adoptait une telle approche pour les clients particuliers, cela pourrait induire une chute de 5% des émissions de CO2 pour le pays. 

Le Dr Gewinner considère que leur étude contribue, avant tout, à définir que les clients que l’on fait basculer par défaut vers un approvisionnement en énergie verte sont susceptibles de conserver cet approvisionnement dans la durée, et ce malgré des coûts additionnels. Selon elle, ces données à valeur ajoutée permettraient de prévoir et d’ajuster les moyens permettant de répondre à la demande. Elle pense, par ailleurs, que leur idée est applicable partout dans le monde car la sensibilisation, option inverse au « par défaut », qui vise également à changer les attitudes, les croyances et les comportements, est bien plus longue et moins efficace.

L’argument est intéressant mais reste certainement à creuser avant de pouvoir être généralisé. En effet, il me parait vraiment important de contextualiser une telle approche par défaut. L’idiosyncrasie des consommateurs en matière d’énergie reste fortement dépendante de la culture politique, économique, industrielle, écologique, civique… mais aussi du niveau de vie. Le PIB suisse par habitant figure parmi les plus élevés au monde (et est de l’ordre de 2 fois supérieur au PIB français) et donc la sensibilité au prix et au budget énergie est fort différente pour des consommateurs en situation de précarité énergétique qui n’arrivent pas ou plus à payer leurs factures pour un bien de première nécessité. 

A contrario, les auteurs de l’étude mentionnent qu’initialement les fournisseurs craignaient que le fait de bénéficier d’énergie verte puisse produire un effet rebond, c’est-à-dire incite les clients à consommer plus au motif que l’énergie est propre et durable… mais les 6 ans d’observations de comportements de consommation ont permis de vérifier que ce n’était pas le cas. Ce point est important à prendre en compte également, car il figure parmi les arguments qu’utilisent les détracteurs de l’efficacité énergétique également.

A la dimension permettant de « jouer » avec la demande, il convient aussi de prendre en compte la capacité des distributeurs à fournir suffisamment d’électricité d’origine renouvelable pour faire face à la demande. Aujourd’hui, le système énergétique global doit être fortement enrichi en énergies renouvelables, ce qui pose de nouvelles questions, auxquelles on devra bien sûr répondre dans les années à venir pour tracer une trajectoire neutralité carbone crédible.

Bref, cette étude ouvre une piste de réflexion, tout à fait intéressante à de nombreux égards, mais on est encore loin de pouvoir y voir la solution idéale. 

Notons, enfin, que ces approches favorisant les énergies renouvelables doivent inclure les nombreuses initiatives en la matière. En effet, depuis l’ouverture des marchés, en France, on a vu émerger des offres ouvrant la palette des choix possibles, avec des options 100% renouvelables offertes par des opérateurs tels qu’Enercoop ou EkWateur, qui séduisent de plus en plus de clients consomm’acteurs.

Atlantico.fr :  Le meilleur moyen de faire avancer les énergies vertes est-il de laisser au consommateur le choix de décider ou de les mettre devant le fait accompli ?  

Myriam Maestroni : Les auteurs signalent que la résistance au changement fait partie intégrante de la nature humaine, et que, du coup, avoir à basculer activement vers un tarif moins cher et, de fait devenir plus polluant, n’était pas si évident. Ils expliquent même qu’on peut essayer d’écrire ou de téléphoner aux clients pour les influencer dans leurs choix, mais l’inertie est très forte, et que donc l’approche « par défaut » est la meilleure selon eux... d’autant que comprendre son tarif d’électricité s’avère être mission impossible pour bon nombre de consommateurs. C’est pour cette raison qu’ils considèrent que le mieux est de les aider en leur disant que tout le monde passe à l’énergie renouvelable, car au fond c’est probablement ce qu’ils souhaitent vraiment.

Ils mettent ainsi en évidence le pouvoir surprenant de l’effet « par défaut », déjà observé dans d’autres domaines, comme par exemple le don d’organes, d’ailleurs adopté par la France, et, où, par défaut il y a don automatique d’organes, sauf si on a explicitement exprimé sa volonté que ce ne soit pas le cas en s’inscrivant dans le registre national des refus.

Il y a une forme de paradoxe à vouloir le bien commun en l’imposant… Faire émerger massivement des comportements de citoyens-eco-consomm’acteurs, en veillant à mieux  sensibiliser, à mieux informer, en développent des approches pédagogiques plus efficaces et mieux relayés me parait mieux adapté pour susciter des changements de niveau de conscience et prendre sincèrement en compte l’intelligence collective nécessaire à l’évolution de nos sociétés.

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