Emmanuel Macron, le président qui adorait débattre… tout en ne supportant pas la contestation<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Emmanuel Macron a annoncé l'annulation du grand débat sur l'agriculture.
Emmanuel Macron a annoncé l'annulation du grand débat sur l'agriculture.
©Thibault Camus / POOL / AFP

Cause toujours !

Le président de la République a annulé le grand débat au Salon de l’agriculture. Pourtant ce goût de (la mise en scène de) l’échange ne se traduit pas dans les rangs de sa majorité.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

Voir la bio »

Lucas Jakubowicz

Lucas Jakubowicz est journaliste politique et rédacteur en chef de Décideurs Magazine.

Voir la bio »
Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

Voir la bio »

Atlantico : Le chef de l'Etat avait proposé de débattre avec les représentants du monde agricole, des agro-industriels et des associations écologistes lors de l'ouverture du Salon de l’agriculture ce samedi 24 février. Emmanuel Macron a annoncé l'annulation de ce débat. Qu’est-ce que cette séquence nous dit du tempérament du président ? Il y a des raisons politiques mais la personnalité du président n’est-elle pas celle d’un dirigeant hostile aux critiques ? Le chef de l’Etat n’est-il pas connu pour ghoster les conseillers ou les personnalités de la majorité qui ne pensent pas comme lui… ?

Christophe Bouillaud : Cet épisode du grand débat avorté au sein du Salon de l’agriculture est d’abord l’illustration même d’un coup politique à la Macron qui tourne mal. L’idée de convoquer à chaud tous les acteurs concernés par l’évolution du secteur agricole – les syndicats agricoles, les représentants de la grande distribution, les associations de défense de l’environnement, etc. – était une idée de communicant destinée à mettre le Président en arbitre des élégances, de jouer de la supposée aura présidentielle au-dessus de la mêlée. Cela rappelle, toutes choses égales par ailleurs, sa visite au Liban d’il y a quelques années au lendemain de l’explosion dans le port de Beyrouth. C’est le fantasme au final très macronien du Président thaumaturge qui, par sa seule présence, résout les problèmes insolubles. Il faut bien dire que, concernant le cas libanais, l’intervention marcronienne n’a rien changé à la donne tragique de ce pays.

De plus, il y a eu visiblement une énorme erreur de casting. En invitant les Soulèvements de la terre, du côté associatif, et, même en plaidant à propos de cette invitation la « fausse information » répandue par des médias mal informés ou ensuite « l’erreur du stagiaire » comme le font les informations parues dans le Point, il était logique que la FNSEA se braque. Les conseillers d’Emmanuel Macron sur ce sujet se sont complètement illusionnés sur la réalité de la profondeur des oppositions en cours. Emmanuel Macron en tout cas a voulu faire l’événement, et l’annulation de ce débat se retourne clairement contre lui. 

Après, il est aussi possible qu’à la réflexion, un débat sans les Soulèvements de la Terre d’un côté et sans la FNSEA de l’autre, Emmanuel Macron  ait compris que tel débat n’aurait pas été un très bon moment à passer. En effet, les deux syndicats agricoles restants – la Coordination rurale et la Confédération paysanne - l’auraient attaqué sur son soutien bien réel au libre-échange intra et extra-européen, et les associations défenderesses de l’environnement lui aurait fait remarquer que le droit de l’environnement, français et européen, n’existe pas pour rien, et que, d’ailleurs, une Charte de l’environnement  est encore à ce jour inscrite dans la Constitution française et qu’en tant que Président de la République, il est censé en être le premier garant. Les contradictions auraient été trop grandes pour que le verbe macronien du « en même temps » arrive à ne pas apparaître comme le grand « n’importe quoi » qu’il est devenu. De plus, l’agriculture est un sujet tout de même bien technique, et le Président risquait tout de même d’être pris en défaut par tel ou tel interlocuteur sur un détail qui l’aurait fait apparaitre pour un ignorant. Il est possible que les acteurs ainsi convoqués n’aient pas accepté, en présence du public du Salon de l’agriculture, d’édulcorer leurs questions. Cela risquait d’être moins simple à gérer pour les équipes du Président qu’une conférence de presse.

Sur un plan plus général, cette annulation de dernière minute s’inscrit dans les difficultés visiblement croissantes d’un second quinquennat. Emmanuel Macron réagit depuis sa réélection sans doute d’autant plus mal aux critiques, publiques ou privées, qu’il doit bien savoir dans son for intérieur que l’affaire est très mal engagée. A continuer ainsi, Marine Le Pen n’aura plus qu’à ramasser la mise sans même trop avoir se fatiguer en 2027. Or, de fait, pour éviter cette issue, il faudrait révolutionner totalement ce que fut le macronisme depuis 2017, une vaste entreprise de non-écoute des demandes de la population française en général au profit de quelques intérêts particuliers. Cette révolution dans la révolution, pour se moquer ici des prétentions d’Emmanuel Macron dans son livre de 2016 du même titre, ne saurait cependant avoir lieu à ce stade. On ne change pas une équipe qui est ontologiquement sourde et aveugle. Les choix faits à la hache en matière d’ajustement budgétaire – les 10 milliards d’euros de ces derniers jours décidés par décret – constituent malheureusement l’illustration parfaite de cette non-écoute.  

Cette démarche témoignait-elle d’un vrai goût du débat démocratique ou d’une forme de mise en scène narcissique du président de la République qui n’aime rien tant que de démontrer ses prouesses rhétoriques comme de se prouver qu’il pourrait séduire n’importe qui ?

Lucas Jakubowicz : Le président de la République adore débattre. Il s’agit de l’une de ses grandes passions. Lorsqu’il débat avec des personnes qui ne sont pas d'accord avec lui, il se retrouve dans une posture stratégique pour tenter de séduire l’autre. A travers ce débat au Salon de l’agriculture, Emmanuel Macron avait une arrière-pensée politique. Par le passé, certains grands débats qu'il a initiés lui ont permis de retrouver l'initiative sur le plan politique. Lors du mouvement des Gilets jaunes, le président de la République semblait avoir perdu la main. Il avait alors organisé un Grand débat. Il avait vraiment réussi à retourner l'opinion, à retourner les élus locaux sur place.

Le problème est que, à force de faire des grands débats, il n’y a pas de réformes ou de mesures qui sont réellement proposées. Emmanuel Macron est aussi à l’origine du Congrès National de la Refondation. Cela n’avait mené à rien. 

L'épisode de l'invitation des Soulèvements de la Terre a mis certains des conseillers d’Emmanuel Macron sur le grill. Est-ce qu’il n'y avait pas un peu de mise en scène de la part du président derrière ce projet de grand débat au Salon de l’agriculture ?

Lucas Jakubowicz : Emmanuel Macron peut être qualifié de libéral dans le sens où il n’a aucun tabou à débattre avec des citoyens ou des personnalités qui ne sont pas d'accord avec lui. Dans son logiciel libéral, cela lui paraissait cohérent de débattre avec la FNSEA et les Soulèvements de la Terre. Le problème est que tout cela relève du cosmétique.

Or, les agriculteurs sont en demande de solutions et il n’y aurait pas eu de solutions dans ce débat. La FNSEA n’a pas toléré la possibilité de débattre avec les Soulèvements de la Terre. La FNSEA représente les agriculteurs qui chaque semaine se pendent.

A l’Elysée, personne ne veut assumer cet accident industriel.

Emmanuel Macron est parfois sévère avec certains de ses conseillers ou les têtes qui dépassent ? Qu'est-ce que cela nous dit sur le tempérament du président ?

Lucas Jakubowicz : Le président est toujours dans une sorte de en même temps et que, au final, il perd tout le monde. A travers ce débat raté, le chef de l’Etat a perdu les Soulèvements de la Terre et la FNSEA. Sur tous les sujets d'actualité, Emmanuel Macron est dans une forme de godille permanente. Pour le Rassemblement national, un jour ils vont être dans le champ républicain, le lendemain ils ne le sont pas, d’après le chef de l’Etat.

Il y a toujours une forme permanente de manque de colonne vertébrale politique chez Emmanuel Macron. Au sein de la majorité, il y a plusieurs chapelles qui ont des agendas ou des idéologies distinctes et qui profitent de cette indécision pour avancer leurs pions.

Raul Magni-Berton : Tous les leaders de partis rêvent de pouvoir être dans une situation de contrôle sur sa propre majorité comme Emmanuel Macron. Mais cela est très révélateur du fonctionnement du système français. Le succès des partis centralisés a été un marqueur fort. Mais le fait que la présidentielle vienne avant la législative a un rôle déterminant sur les résultats. Il y a une prime au gagnant à la présidentielle. Candidater sur les listes de Macron représentait un avantage aux législatives.

D'autres pays à travers le monde ont réformé leur système en plaçant la législative avant la présidentielle. Depuis cette évolution, les partis des pays en question sont beaucoup plus. Indépendants de leur leader.

Il est clair qu'Emmanuel Macron n'aime pas les critiques dans son parti. Mais il ne fait pas figure d’exception. La démocratie ne tient pas grâce au fait que les leaders de partis écoutent les opposants ou les membres de leur majorité. La démocratie tient parce qu’il y a des institutions qui permettent d’établir un rapport de force.

Les partis très centralisés autour de la figure d’un seul leader charismatique sont susceptibles d’être responsables des tournants illibéraux ou anti-démocratiques, et autoritaires. Les tournants autoritaires qui sont à l’œuvre aujourd'hui sont liés à une balance du pouvoir qui va vers l'exécutif plutôt que vers le Parlement.

Christophe Bouillaud : Que la plupart des élus et ministres macronistes doivent tout en matière de carrière à Emmanuel Macron est une réalité. Il suffit pour s’en convaincre de reconstituer leurs carrières. 2017 fut pour eux une divine surprise. Ils ont été pour la plupart élus sur son seul nom, et ils ne doivent le fait d’être ministre qu’à son choix monarchique. Nous sommes vraiment à mille lieux de l’ancienne conception du ministre comme personnalité ou comme représentant d’un secteur déjà constitué de l’opinion publique ou d’un parti.

Par contre, ce qui est dysfonctionnel, c’est que tout se passe effectivement comme si Emmanuel Macron était totalement incapable d’admettre que parfois les critiques sont raisonnables et censées, que, parfois, il se trompe gravement, et qu’il faut laisser faire des gens plus spécialisés que lui sur tel ou tel sujet. On l’avait déjà vu au moment de la crise du COVID-19. La tendance au micro-management de tous les aspects des politiques publiques qu’Emmanuel Macron tient pour importants revient à considérer que tous ses subordonnés, dont ses ministres, sont plus ou moins des incapables à surveiller de près.  A ma connaissance, il n’existe pas de travaux scientifiques sur le fonctionnement de l’Elysée sous Emmanuel Macron, mais, vu de loin, vu les mesures prises par le Château, il est difficile de ne pas supposer que le fonctionnement de ce dernier ne correspond pas aux critères de la plus haute rationalité attendue en pareil cas.

A cela s’ajoute, comme l’a montré sa réaction face à ses ministres critiquant la loi Darmanin sur l’immigration, une volonté claire d’être le seul à avoir le droit de choisir la ligne générale de l’exécutif. Malheureusement, à force de ne compter que sur lui-même, les derniers jours ont montré qu’il se contredit en permanence sur des sujets importants. Est-ce un effet de la charge mentale trop grande qu’il subit à force de vouloir s’occuper de tout ? De très peu dormir comme aurait dit son épouse ? Est-ce la volonté de rester face à l’opinion publique dans le « en même temps » au point d’en arriver désormais au « n’importe quoi » ? Est-ce l’effet d’un entourage incapable de lui signifier qu’il se trompe ou qu’il vient de dire le contraire de ce qu’il avait dit auparavant ? Quoi qu’il en soit, à mesure que ce second quinquennat avance, on est en droit de se poser des questions sur la capacité d’Emmanuel Macron à occuper sur la durée cette fonction. A quel degré d’incohérence des propos et des actes présidentiels est-on en droit de s’inquiéter vraiment ?

Emmanuel Macron a été assez hermétique aux critiques de ses conseillers. Il a parfois exaspéré son premier cercle, notamment lorsque Gérard Collomb avait quitté le gouvernement. Comment la dimension humaine a-t-elle pris une place bien plus importante que lors des autres mandats de la Ve République ?

Lucas Jakubowicz : Emmanuel Macron a un rapport particulier avec ses conseillers. Il ne les écoute pas de manière optimale. Dans l'histoire de la Vème République, chaque visiteur du soir a tenté de faire valoir ses intérêts. Comme le président n'a pas de colonne vertébrale politique très solide, ses positions fluctuent aisément. C'était la même chose avec Nicolas Sarkozy. D’un côté, il recevait des conseillers qui lui disaient de dépasser les clivages, d’intégrer des socialistes dans le gouvernement. Et en même temps, Nicolas Sarkozy recevait des gens comme Patrick Buisson qui expliquait qu’il fallait vraiment couper l'herbe sous le pied du Front National à l'époque en allant vraiment chasser sur leurs terres.

Alors que le chef de l’Etat multiplie les revirements incessants sur sa politique ou dans ses déclarations, les critiques politiques véritables à l’encontre du président se font essentiellement en off au sein de la majorité et à mots couverts là où Hollande, Sarkozy et même De Gaulle étaient beaucoup plus challengés par leur propre famille politique. En quoi le manque de critique de la part de la majorité envers le chef de l’Etat nuit à la démocratie et à l’exercice du pouvoir d’Emmanuel Macron ? Faisons-nous face à un problème de démocratie si notre président agit en fonction de la critique ?

Christophe Bouillaud : Effectivement, avec cette absence de critiques exprimées publiquement par des membres de la majorité macroniste, c’est l’un des mécanismes de remontée de l’information vers le pouvoir exécutif qui se trouve bloqué. Les critiques exprimées publiquement par les membres d’un camp politique à l’encontre des tenants actuels du pouvoir au nom de ce dernier permettaient de faire droit à des éventuels problèmes rencontrés par la politique suivie. Le mécanisme était d’autant plus puissant jadis que les majorités présidentielles comprenaient en leur sein de grands et petits élus locaux. Ces derniers étaient souvent les premiers à comprendre la difficulté créée sur le terrain lors de la mise en œuvre d’une politique publique. La longue solidarité de parti permettait de se dire des choses dures sans que cela soit pris en mauvaise part. Un camarade parlait à un camarade, un compagnon à un compagnon. Par ailleurs, comme un camp – la droite ou la gauche - était jadis une coalition large de plusieurs intérêts sociaux et de plusieurs partis aux sensibilités ou idéologies différentes, il était logique que les représentants au sein de ce camp de l’un ou l’autre intérêt social  ou parti lésé par la politique suivie par l’exécutif s’expriment, et fassent valoir leurs difficultés. Cela pouvait éventuellement se résoudre dans les urnes, comme lorsque le Général De Gaule s’est débarrassé de l’aile « Algérie française » de la majorité qui l’avait porté au pouvoir, ou bien par une restructuration du gouvernement, avec le départ des ministres communistes lors du premier septennat de F. Mitterrand. 

Les critiques permettaient donc, soit de clarifier la ligne suivie, comme dans les deux exemples que je viens de citer, soit d’effectuer des ajustements permettant de ne pas perdre le soutien d’un intérêt social important pour le camp considéré. Dans les deux cas, l’exécutif y gagnait un meilleur accord avec l’opinion publique. Or, déjà sous F. Hollande, les critiques des « frondeurs » de la gauche du Parti socialiste n’ont pas été écoutées par ce dernier, et l’on voit où cela l’a mené lui et le Parti socialiste en 2017, après avoir perdu presque tout soutien dans le salariat d’exécution. F. Hollande n’a même pas osé se représenter, et le candidat du PS, B. Hamon, un « frondeur » pourtant, a fait un score misérable.

Avec E. Macron, l’incapacité des macronistes à critiquer vraiment leur chef renforce cette tendance. Aucune force de rappel interne à la majorité ne semble plus jouer pour éviter de léser tout ou partie de l’opinion publique. La base électorale, économique et sociale, du macronisme se racornit donc au fur et à mesure des mesures mal conçues et impopulaires. Cela finit par être un problème pour la démocratie dans la mesure où le pouvoir ne gouverne plus en pratique et « à l’insu de son plein gré » qu’au profit d’une étroite minorité d’électeurs.

Raul Magni-Berton : Ce problème est assez courant pour tous les partis similaires à Renaissance, un parti qui s'est construit autour d’Emmanuel Macron et de son équipe restreinte. En ayant gagné la présidentielle la première fois, le fait de se présenter avec l'étiquette Macron a permis de glaner près d’un quart de voix supplémentaires. Enormément de représentants politiques ou de citoyens se sont portés candidats sous cette bannière afin de pouvoir gagner. Ils doivent leurs sièges à Macron, ce qui n'est pas le cas des partis traditionnels qui au contraire se construisent sur des figures politiques qui ont une assise locale forte et qui gagnent par leurs propres moyens.

Dans ce contexte, les membres de la majorité ne peuvent finalement pas critiquer Emmanuel Macron.

Lors du premier mandat, ils avaient besoin de beaucoup de candidats qui couvraient toutes les circonscriptions. Beaucoup de candidats se sont avérés ne pas être aussi fidèles que prévu.

Lucas Jakubowicz : Il est facile de contester un président de la République lorsque l’on sait qu'il va se représenter et qu'il va perdre. A ce moment-là, les dissensions et les trahisons peuvent intervenir. François Hollande a notamment été confronté aux frondeurs à partir du moment où les figures du PS ont compris qu'il ne se représenterait pas ou que s'il se représenterait, il perdrait.

Pour Nicolas Sarkozy, lors de sa campagne, certains commençaient à demi-mot à remettre en cause sa stratégie. Lorsqu’il a été battu à l’élection présidentielle, un droit d'inventaire a été mené. Emmanuel Macron ne se représentera pas, donc il n'y a pas d'intérêt à le poignarder. Pour l'instant, il n'y a pas de chef de substitution au sein de la majorité présidentielle.

Pourquoi les membres de la majorité n’osent-ils pas réellement critiquer Emmanuel Macron ? L’ambition d’Emmanuel Macron peut-elle être un frein pour son gouvernement qui n’est pas majoritaire à l’Assemblée nationale ?

Christophe Bouillaud : Tout d’abord, il faut distinguer deux cas : les personnalités qui ne sont arrivés là où elles sont que grâce à E.Macron et les autres. Ceux qu’E. Macron a élevé à un statut d’élus ou de ministres n’ont aucun autre titre à faire valoir auprès de l’opinion publique que cette élévation par le chef. Ce ne sont au total que des créatures, des Playmobils comme les a qualifiés un de leurs opposants, et ils n’ont pas la possibilité de se révolter contre leur créateur. Toute critique publique de Macron n’aura pas d’écho, car ils ne sont pas grand-chose aux yeux des Français. Faute de soutien dans un électorat bien précis, elle leur vaudra mort politique à terme, et, plus immédiatement, pour ceux qui ont besoin d’un poste pour vivre, elle leur vaudra exclusion des sinécures républicaines. Or, comme on a pu le constater, Macron sait trouver de tels postes, bien rémunérés et peu fatigants, à ceux qu’il congédie. Cela lui évite sans doute bien des rancunes exprimées en public. L’avant-dernier ministre de l’Éducation nationale est l’exemple même d’un tel processus de remerciement-promotion. Cette première situation vaut pour 95% des troupes macronistes : pourquoi critiquer en public le patron d’une firme qui vous paie bien et vous assure un bel avenir aux frais du contribuable ? Il reste les 5% de personnalités qui avaient quelque importance politique avant 2016, F. Bayrou par exemple. Ces derniers parlent déjà bien plus, comme on l’a vu récemment, mais elles n’osent pas aller au fond du problème Macron. Il faudrait en fait, si elles étaient logiques avec elles-mêmes, se mettre en dehors de la majorité présidentielle, et avoir foi dans la capacité d’un leader alternatif à mener la fronde finale contre le chef désormais honni. Or force est de constater qu’en cas d’élections parlementaires anticipées, ces dissidents de la majorité macroniste n’auraient rien à attendre de positif, en absence d’un tel leader alternatif, ni E. Philippe, ni surtout F. Bayrou n’en ont l’étoffe. Leur dissidence serait de toute façon à ce stade bien trop tardive pour que les électeurs leur en sachent gré et ne les classent pas comme des représentants du macronisme. Ils finiraient comme un B. Hamon en 2017.

Par ailleurs, comme Emmanuel Macron ne veut surtout pas prendre en compte la réalité des rapports de force au sein de l’Assemblée nationale, et qu’il veut sur tous les sujets importants pour lui passer en force à coup de 49.3 et d’autres manœuvres parlementaires, aucune dialectique n’est possible au sein de la majorité macroniste pour se rallier tout ou partie des oppositions. Il faut s’aligner sur la volonté du chef. Emmanuel Macron aurait choisi de s’éloigner progressivement des affaires courantes pour laisser le chef du gouvernement se trouver des majorités parlementaires au coup par coup nous et pour permettre une re-parlementarisation du régime, nous n’en serions pas là.

A travers cette relation très particulière par rapport à sa majorité, est-ce qu'il n'y a pas une faille sur le respect de la légitimité politique ? Emmanuel Macron n’applique-t-il pas un fonctionnement très jupitérien par rapport aux autres présidents comme Nicolas Sarkozy ou François Hollande qui ont permis, via les frondeurs paradoxalement, d'avoir une relation démocratique plus saine ?

Raul Magni-Berton : Nicolas Sarkozy était une personnalité forte, mais il était dans un parti dans lequel il y avait des courants. Il fallait négocier avec des courants qui n'étaient pas d'accord avec sa ligne et il était obligé de négocier parce que ces courants pouvaient emporter, en cas de séparation, une grande quantité de voix. Pour François Hollande ou Charles De Gaulle, la situation était similaire. Les différents courants avaient des désaccords et cela permettait de peser démocratiquement.

Or, ce n’est pas le cas d’Emmanuel Macron, il n'y a pas de courants préalables. Donc lorsque quelqu'un ne suit pas la ligne, il est remercié et quitte la majorité ou le parti.

Emmanuel Macron a fait le choix d’être le seul à définir et fixer la ligne de son parti.

Au regard du calendrier politique de l’année 2024 avec les élections européennes, est-ce que la stratégie d'Emmanuel Macron et son rapport à sa majorité vont être toujours aussi complexes ?

Raul Magni-Berton : Les élections intermédiaires ne sont pas un scrutin facile pour un gouvernement quoi qu'il arrive. Ce scrutin arrive au milieu du mandat, à un moment où la majorité est la plus faible. Tous les candidats ont tendance à prendre les mesures les plus impopulaires au début et les plus populaires à la fin pour être réélu.

En réalité, les élections qui comptent pour les équilibres sont les élections parlementaires et présidentielles. Le problème du parti d’Emmanuel Macron est qu'il n'a jamais perdu. Il est très important de perdre en démocratie. C’est là que l'on se rend compte de l’importance de l’art de la négociation au sein de la majorité et de son propre parti.

Emmanuel Macron a bâti une structure dans laquelle il contrôle le groupe qui lui est proche, l'essentiel des financements de son parti et personne d’autre ne peut réellement rivaliser avec lui. Il sera difficile pour Emmanuel Macron d’avoir un héritage politique dans un système aussi pyramidal. 

Est-ce que le fait que les voix discordantes ne puissent pas s'exprimer véritablement ou officiellement, est-ce que cela ne nuit pas à la démocratie ou aux réformes d'Emmanuel Macron ?

Lucas Jakubowicz : Quand des voix discordantes s'affirment, le pouvoir est généralement affaibli et le pays ne va pas bien. François Hollande a par exemple été le président le plus impopulaire de l'histoire de la République. Le principal élément qui a empêché sa politique de vraiment marcher est qu’il a été pris entre une aile de frondeurs et une aile plus socio démocrate. Les dissensions qui s'expriment à visage découvert vont plutôt avoir tendance à affaiblir le pouvoir. Emmanuel Macron souhaite qu’aucune voix discordante ne puisse s’exprimer. Les personnes qui se sont opposées à la loi immigration en interne ont toutes été poussées vers la sortie lors du remaniement.

Lucas Jakubowicz a publié Un animal pour les gouverner tous chez Arkhê éditions.

Lien vers la boutique : cliquez ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !