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Du PC à Hamon, Jean-Luc Mélenchon est-il capable d'avoir (et garder) des alliés ?
©AFP

L'art de se faire des amis

Absent de la fête de l’huma, critique à l'égard du PS ("Le Parti socialiste est aujourd’hui le seul zoo de France où les animaux se gardent entre eux. La vieille gauche est à bout de souffle") et de Benoît Hamon au moment où celui-ci se rapproche de lui, Jean-Luc Mélenchon ne concède rien à ses potentiels alliés.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Dans quelle mesure cette situation de tension peut-elle découler des traits de personnalité de Jean Luc Mélenchon, celui-ci étant accusé d'être "ingérable" ou faut il y voir une stratégie ? Que traduit ce refus de former une coalition ? 

Vincent Tournier : La psychologie est rarement une bonne clef pour comprendre les leaders politiques. Ceux-ci sont rarement fous, ils sont rationnels et calculateurs. N’oublions pas que Jean-Luc Mélenchon a un vieux passé de militant professionnel derrière lui. Aujourd’hui, quel est son intérêt, quelle est sa priorité en tant que leader d’un mouvement ? Son principal rival à gauche est le Parti socialiste, qui est lui-même en très mauvaise posture depuis l’écrasante défaite de son candidat. Lui tendre la main reviendrait à remettre en selles Benoît Hamon, ce qui n’est pas dans son intérêt.L’intérêt de Jean-Luc Mélenchon est au contraire de faire le ménage sur sa gauche, de chercher à réunir autour de lui tout ce qui bouge encore à gauche, y compris les frondeurs du PS et les restes du PCF.

Pour cela, Mélenchon dispose d’un argument fort : il est arrivé largement en tête de la gauche au premier tour de la présidentielle. Et si Hamon s’était désisté, la gauche passait au second tour, donc gagnait la présidentielle. Tel est le message qu’il vient de faire passer dans son interview au journal La Provenceet qu’il va répéter dans les années qui viennent. Le seul point qui peut le gêner, c’est que, une fois qu’on aura passé les sénatoriales de septembre, il n’y aura plus d’élections avant les européennes de 2019 et les municipales de 2020. Cela veut dire que, dans les deux-trois années qui viennent, il n’y a pas de contraintes fortes à gauche pour passer des alliances, trouver des accords, s’unir autour d’un candidat. Le PS a donc un peu de temps pour se refaire une santé. C’est une difficulté dont Jean-Luc Mélenchon est conscient puisqu’il en parle dans son interview.

Jean Luc Mélenchon a toujours revendiqué sa fidélité à François Mitterrand, en quoi cette stratégie est-elle finalement opposée à celle de l'homme d'Epinay ? Comment comparer ces deux stratégies ? 

Jean-Luc Mélenchon parle souvent en bien de François Mitterrand, par exemple lors du vingtième anniversaire de sa mort. Il confesse que celui-ci a été son « maître à penser ». Cela dit, on ne voit pas bien ce qu’il entend garder de l’ancien président, en dehors de fait qu’il l’utilise comme une référence symbolique pour se donner une certaine légitimité.François Mitterrand n’a pas été son mentor etJean-Luc Mélenchon n’a rejoint le PS qu’en 1976 après un parcours de militant actif dans la mouvance de la gauche radicale, du côté du trotskisme et la gauche autogestionnaire. De plus, il a souvent été en désaccord avec François Mitterrand, par exemple sur la stratégie « d’ouverture » vers la droite, ou plus tard sur l’intégration européenne (même si Mélenchon a initialement soutenu le traité de Maastricht). Sur l’économie, la divergence est assez importante : François Mitterrand a lancé la France sur la voie de l’économie de marché et de la monnaie unique, alors que Jean-Luc Mélenchon veut en sortir.

En clamant sa dette envers François Mitterrand, Jean-Luc Mélenchon veut peut-être simplement signifier qu’il a été bluffé par son talent tactique : sa capacité à prendre le contrôle du PS en 1971, puis sa stratégie pour étouffer simultanément le PCF et les rocardiens, voire la manière dont il a favorisé le Front national pour torpiller la droite.Et puis les cyniques souligneront aussi que Mitterrand a été extrêmement habile pour faire croire qu’il était un homme de conviction.

Face à un pouvoir vertical, et à la présidence "jupitérienne" d'Emmanuel Macron, faut-il voir une volonté de Jean Luc Mélenchon de se construire, en miroir, en figure d'opposition ? 

Oui parce que les institutions actuelles y poussent. La logique présidentialiste de la Vème République conditionne les affrontements politiques. Elle oblige à aller vers un choc de titans, ou un combat de coqs, comme on voudra. En tout cas, il est difficile de ne pas entrer dans ce registre : c’est d’ailleurs ce qu’avait compris François Mitterrand, qui avait su imposer sa stratégie présidentialiste à une SFIO moribonde. Une autre leçon retenue par Jean-Luc Mélenchon.

En ayant le sentiment qu’il a raté de peu le second tour en 2017, Jean-Luc Mélenchon part du principe qu’il a toutes ses chances pour 2022 car lui seul sera en mesure de réunir touteslescomposantes de la gauche, surtout si la partie la plus droitière du PS finit par se rallierà Macron, ce qui n’est pas exclu. Il fait donc le pari qu’il disposera d’un espace politique conséquent à gauche.

La conjoncture actuelle lui est aussi très favorable. En mettant à l’agenda des réformes économiques et sociales, le gouvernement lui donne une bonne occasion pour exister et se faire entendre. Mélenchon dispose même d’un boulevard puisque les autres partis sont aux abonnés absents : la droite soutient globalement les réformes, le FN n’a pas encore réglé ses problèmes internes et le PS est condamné au silence puisqu’il est lui-même à l’origine de la réforme du code du travail avec la loi ElKhomri. Bref, c’est le moment idéal pour prendre ses marques. Cela dit, le risque est de tomber dans l’excès contestataire, de trop se gauchiser. Si Jean-Luc Mélenchon veut rivaliser avec Emmanuel Macron, il doit également cultiver son image de présidentiable, ce qui va l’obliger à tempérer son discours et son style. On verra bien quelle posture il adoptera, mais il ne serait pas surprenant qu’il développe son propre style jupitérien, ce qui ne sera pas le moindre des paradoxes de la part de quelqu’un qui condamne les institutions gaulliennes. Une autre leçon de François Mitterrand.

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