Donald Trump attaque Twitter, Google et Facebook pour l’avoir censuré : et s’il avait au moins raison sur un point ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La suspension de certains comptes Twitter ou Facebook pose question.
La suspension de certains comptes Twitter ou Facebook pose question.
©JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Algorithmes à l’index

Si la communication en ligne de l’ancien président des États-Unis est éminemment critiquable, sa contre-offensive judiciaire a le mérite de mettre en lumière la question de l’absence de contrôle démocratique des algorithmes de la Silicon Valley comme celle de leurs biais idéologiques.

Bruno Walther

Bruno Walther

Bruno Walther est un entrepreneur et un spécialiste de l'Internet français. Il est co-fondateur et CEO de Captain Dash. En janvier 2010 il abandonne la présidence d'OgilvyOne pour créer avec Gilles Babinet une start-up, CaptainDash focalisée sur la Big Data et la génération de cockpit marketing à destination des directions marketing. En 2012, il obtient, à New York, avec Gilles Babinet le prix "Global Entrepreneur Public Award" pour le travail qu'ils réalisent avec Captain Dash pour rendre la planête plus intelligente.

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Récemment, Donald Trump a lancé une contre-offensive judiciaire contre les grands groupes Twitter ou Facebook qui l’ont censuré durant son mandat présidentiel. Le fait que les réseaux sociaux aient un pouvoir de censure et autant de poids dans les débats publics, cela pose-t-il un problème de liberté d’expression ?

Bruno Walther : Ce que nous observons avec Facebook et Twitter est bien plus qu’une privatisation de la liberté d’expression et plus globalement de la question morale. Twitter et Facebook se font magistrat du siège et procureur. C’est une sortie des règles d’une justice basée sur un débat contradictoire et un équilibre entre les parties prenantes. Ce n’est plus la société démocratique, par l'intermédiaire d’une justice contradictoire, qui fixe la liberté d’expression mais des entreprises de droits privées, 100 % dépendantes de revenus publicitaires. Ce sont elles qui définissent ce qui est acceptable de dire et ce qui ne l’est pas. Ce faisant, elles définissent les codes moraux qui s'imposent à la société. En acceptant cela, nous sacrifions une des pierres angulaires de notre démocratie : la justice contradictoire.

Si Trump a été banni temporairement des réseaux sociaux par décision humaine, souvent ce sont des algorithmes qui prennent les décisions. Les grandes entreprises soulignent leur objectivité. Mais sont-ils aussi neutres qu’ils prétendent être ? Peuvent-ils l’être puisqu’ils sont tributaires de leurs créateurs ?

Ce n’est pas parce qu’une machine prend une décision que cette décision est neutre. Il faut entendre qu’un système informatique, comme un algorithme, est pensé, dessiné et codé par un humain. Il est naturellement l’expression des valeurs morales et de la manière de voir le monde de son concepteur. Il est temps que l’on assume le fait qu’un algorithme qui censure un propos est un objet hautement politique. Lorsque l’on éduque un algorithme à censurer un sein nu, il témoigne d’une forme de puritanisme très en vogue aux Etats-Unis. Les entreprises qui utilisent des outils de censure automatique devraient publier le corpus politique qui soutient cette censure.

Les algorithmes de modération sont-ils construits autour d’une vision structurellement, et sans doute inconsciemment, favorable à l’idéologie Woke ? Est-ce ce qui peut expliquer, par exemple, que les comptes de Mila aient été plus suspendus que ceux de ses harceleurs ?

Il est incontestable que la sociologie et l’idéologie dominante dans les entreprises comme Facebook, Twitter et Google sont très favorables à la pensée woke. Dans le cas de l’affaire Mila, je ne pense pas que la question soit celle de l’idéologie woke mais plutôt d’un modèle de société américain qui est très éloigné du nôtre. Nous sommes très attachés au droit aux blasphèmes. C’est pour nous un corollaire de la liberté d’expression. Ce n’est pas le cas de la société américaine qui est une société plus religieuse où le respect de la diversité l’emporte sur le droit de blasphémer. Facebook censure les français comme des citoyens américains ordinaires. Ce faisant, Facebook impose, partout dans le monde, un modèle de société américanisé. C’est un rouleau compresseur qui impose des codes moraux qui ne correspondent pas à notre histoire.

Peut-on accepter que des acteurs privés pèsent aussi lourd sur les débats publics ? N'a-t-on pas d'autres choix ?

La place que prend Facebook dans le débat démocratique est inacceptable. Il est invraisemblable que l’on ai pu laisser Facebook devenir un monopole. Il est symptomatique d’une forme d’ignorance digitale de nos gouvernants. Facebook a pu racheter l’ensemble de ses concurrents : Instagram puis WhatsApp sans qu’aucune autorité de concurrence ne s’en émeut. Imagine-t-on Bank of America racheter l’ensemble des banques américaines pour former qu’un seul acteur en position de monopole absolu? Assurément pas.

Nous allons devoir démanteler Facebook. Le débat aux Etats-Unis commence à mûrir. A la fois dans le camp républicain et démocrate. Je suis persuadé qu’avant la fin de la décennie cette entreprise sera démantelée. C’est une question de survie démocratique.

Pour sauver l’économie basée sur la libre concurrence, il faut en finir avec les monopoles de l’économie numérique. Il ne faut pas seulement démanteler Facebook, Google, Amazon et très sévèrement contingenter les nouveaux entrants chinois, mais élargir très massivement la notion de monopole et d’entrave à la concurrence en intégrant les données dans leur définition. Il faut imposer le partage de la donnée pour revenir à l’épure de l’économie de marché.

Que l’on se comprenne bien, je ne suis pas en train de faire l’éloge d’une posture anti-entrepreneuriale et anti-capitaliste. Je me méfie de l’Etat qui veut tout contrôler. Je n’ai aucune passion pour le collectivisme. J’aime l’entreprise. Je suis un entrepreneur qui considère le travail comme une source d’émancipation. Basquiat, Tocqueville, Ayn Rand, Levinas, Emerson, mes racines intellectuelles puisent leurs richesses dans la démocratie libérale.

Pourtant quand je regarde objectivement où nous en sommes, je me dis que nous ne pouvons plus continuer à fermer les yeux. Pour sauver la démocratie, il nous faut sortir les questions technologiques de l’entre-soi entrepreneurial.

Il est impératif que des philosophes, des économistes, des intellectuels, des syndicalistes, des politiques, des religieux se saisissent de la question technologique.

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