"Don Juan" de Serge Bozon : Singulier, romantique et en même temps, très moderne…<!-- --> | Atlantico.fr
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Virigina Efira et Tahar Rahim à Cannes.
Virigina Efira et Tahar Rahim à Cannes.
©VALERY HACHE / AFP

Atlanti-Culture

"Don Juan" de Serge Bozon est à retrouver au cinéma à partir d'aujourd'hui avec Tahar Rahim, Virginie Efira et Alain Chamfort.

Dominique Poncet pour Culture-Tops

Dominique Poncet pour Culture-Tops

Dominique Poncet est chroniqueuse pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).
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THÈME

Dans une mairie de Paris, Laurent, comédien de son état (Tahar Rahim) attend Julie, la femme qu’il doit épouser (Virginie Efira). Elle ne viendra pas. Totalement déboussolé, il part répéter le Dom Juan de Molière à Granville. Contrairement au héros qu’il va interpréter, non seulement Laurent ne va pas séduire de femmes, mais il va « voir » désormais celle qui l’a abandonné dans toutes celles qu’il va rencontrer. La vraie Julie va bien réapparaître, mais comme partenaire, sur scène face à lui, pour jouer Elvire. Le « jeu » va rapprocher un moment les deux anciens amants. Mais comme dans la pièce, l’évocation puis l’arrivée du Commandeur (Alain Chamfort) va définitivement briser tout espoir de retrouvailles entre les interprètes.

POINTS FORTS

Décidément, Serge Bozonest le cinéaste de toutes les surprises. Après s’être aventuré, à sa manière, iconoclaste, dans le film de guerre, puis dans le polar, le voilà qui se lance, encore une fois sans le filet de l’expérience, dans un genre qu’il n’avait encore, celui-là non plus, jamais exploré : l’histoire d’amour, pour dit-il, faire quelque chose qui soit davantage dans l’émotion. Comme il trouvait plus simple de prendre un point de départ que tout le monde connaît ( d’autres que lui auraient eu au contraire une peur bleue !), il est parti d’un des héros les plus mythiques de la littérature, Don Juan. Mais parce qu’il ne fait jamais rien comme tout le monde, le cinéasteest parti sur l’idée d’un Don Juan inversé. Au lieu de conquérir toutes les femmes qu’il rencontre, son Don Juan va être abandonné dès le début et il le sera encoreà la fin. De victorieux, cynique et manipulateur chez Molière, sous la plume de Bozon et celle de sa co-scénariste Axelle Robert, le séducteur légendaire est devenu perdant, sincère et malheureux.

Cette idée audacieuse, bien que toute simple, aurait pu faire flop. C’est tout le contraire. Elle donne au film son intérêt, l’embrase, le pare à la fois d’un romantisme fou et d’une nostalgie désespérée. Cela ne signifie paspour autant que ce Don Juan à l’envers sombre dans une noirceur uniforme. Paradoxalement, de la franche gaité à l’espièglerie, en passant par l’incompréhension, l’amertume et le chagrin, il scintille de nombreuses couleurs.

On marche d’autant plus dans cette proposition que Bozon a donné à son film des allures de comédie musicale. Musiques, chansons et danses sont ici comme un prolongement desdialogues. Elles les emportent, entraînant avec elles les personnages et… ceux qui les regardent.

Deux acteurs mènent cet étrange et fascinant bal, Tahar Rahim qui compose un Don Juan magnifique de témérité, de fragilité et de douleur et Virginie Efira, qui joue ici avec une grâce infinie une Elvire, à chaque fois différente et en même temps toujours recommencée.

Il est impossible de passer sous silence le Commandeur d’Alain Chamfort. Sous les traits d’un pianiste désespéré, le chanteur fait montre d’une élégance exquise. Une belle entrée dans le septième art !

QUELQUES RÉSERVES

Aucune réserve à émettre, sauf si l’on pense que la liberté prise par le cinéaste en détournant le mythe de Dom Juan est inacceptable et/ou si l’on a un goût modéré pour les films intello.  

ENCORE UN MOT...

D’Alan Crosland  à John Berry  en passant par Marcel L’Herbier, Carlos Saura et quelques autres, le mythe de Don Juan a souvent inspiré les cinéastes hommes. Cette année, c’est au tour de Serge Bozon d’en proposer sa version. Une version iconoclaste - cela n’étonnera pas les fans de ce cinéaste si joueur et si singulier ! - et surtout féministe, puisque, pour la première fois, Don Juan est non celui qui séduit, mais  celui qu’on abandonne. Est-ce cet inversement de la situation du héros légendaire qui a valu  à ce Don Juan d’être sélectionné cette année à Cannes Première? Ou sa distribution, en tête de laquelle un Tahar Rahim, plus investi et ardent que jamais ?

L'AUTEUR

Dans le monde du cinéma, Serge Bozon est l’un des réalisateurs les plus décalés de l’Hexagone. 

Après un bac A3 cinéma, Serge Bozon, né à Lyon le 8 novembre 1972, monte à Paris. Il  y rencontre Axelle Ropert -  qui sera la scénariste de tous ses films et la mère de ses deux enfants - , y découvre la musique des années 65 à 67 ainsi que les films des cinéastes Allan Dwan, Edgar George Ulmer et Jacques Tourneur.

En 1997, après avoir réuni ses économies personnelles, il tourne L’Amitié, son premier film, avec du matériel emprunté et parallèlement, « pige » pour Trafic, La Lettre du cinéma, Vertigo et Les Cahiers du cinéma.

Après un projet de film avorté qu’il avait écrit pour Bill Murray, il sorten 2003 Mods, qui est sélectionné dans une trentaine de festivals internationaux. En 2007, c’est La France, unfilm de guerrequi obtient le Prix Jean Vigo. En 2013, c’est Tip Top, un polar décalé avec Isabelle Huppert qui est sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. En 2018, c’est Madame Hyde, toujours avec Isabelle Huppert qui, malgré une prestation sensationnelle de Romain Duris, n’obtient pas le succès escompté.

Don Juan est le sixième long métrage de ce réalisateur qui aime de temps à autre faire l’acteur dans les films de ses amis (Valérie Donzelli, Mathieu Amalric, Pierre Léon…).

ET AUSSI

FRÈRE ET SOEUR d’ ARNAUD DESPLECHIN -  Avec MARION COTILLARD, MELVIL POUPAUD, PATRICK TIMSIT, GOLSHIFTEH FARAHANI…

Entre Alice, comédienne de théâtre reconnue (Marion Cotillard) et son frère (Melvil Poupaud), un prof devenu d’abord écrivain alcoolique et opiomane, puis, paysan à la mort de son fils , rien ne va plus depuis vingt ans. Chez lequel des deux cette détestation réciproque est-elle née et pourquoi ? On ne le saura pas vraiment. On va comprendre qu’elle lui a reproché d’avoir écrit des horreurs sur elle, mais il s’en défend. Peut-être a-t-il été blessé par la notoriété qu’elle a acquise ? Au fond, qu’importe. Bien que proférée avec assez peu de violence, leur haine est telle qu’ils ne veulent même plus se croiser même dans les fêtes de famille. 

Ce frère et cette sœur en apparence irréconciliables vont pourtant être amenés à se rapprocher, lorsqu’à la suite d’un terrible accident de voiture, leurs deux parents se retrouvent, à l’article de la mort, dans le même hôpital. Leurs vies actuelles et passées, réelles ou fantasmées vont défiler, sous le regard d’un psy fraternel (Patrick Timsit). Parviendront-ils à se réconcilier et à s’aimer de nouveau ?

Après Roubaix, une lumière, inspiré par un fait divers et Tromperie, librement adapté du roman éponyme de Philip Roth, Arnaud Desplechin revient (en grande forme) au film de famille, dans la droite ligne de ses  Rois et Reine ( 2004) et Un Conte de Noël ( 200 ). Ici, il est à son meilleur, avec son sens des dialogues ciselés et des rapports (compliqués) entre les humains. Ce n’est pas la première fois que le cinéaste explore les haines qui déchirent parfois  les familles, mais ce qui subjugue ici, c’est la fluidité de son récit en dépit des allers et retours incessants entre passé et présent, évènements vécus et fantasmés. C’est aussi, et paradoxalement, la douceur et le chagrin qui sous-tendent la détestation entre les deux héros : aucune injure, aucune grossièreté, ni dans son scénario, ni dans ses dialogues. Et puis certains plans qui sont d’une beauté et d’une poésie à couper le souffle. Et enfin, la distribution, qui frise la perfection : Marion Cotillard, tour à tour déchirante et vacharde, Melvil Poupaud dont la palette de jeu ne cesse d’étonner, Patrick Timsit, qui fait une entrée fracassante dans le cinéma d’auteur, et surtout, Goldshifteh Farahani qui subjugue dans son rôle de femme amoureuse de son mari (Melvil Poupaud), mais comme lui déchirée par la mort de leur fils et dont le jeu époustouflant de sincérité, de maitrise de soi, et d’abandon mériterait de lui valoir la Palme du second rôle à Cannes où Frère et  Soeur a été présenté le 20 mai dernier, parallèlement à sa sortie, ce même jour, sur les écrans français.

Recommandation:  4 coeurs ( déjà sorti).

LES CRIMES DU FUTURde DAVID CRONENBERG - Avec VIGGO MORTENSEN, LÉA SEYDOUX, KRISTEN STEWART…

Dans un futur proche complètement chamboulé par la crise climatique et la surpopulation, les corps des humains connaissent de nombreuses mutations. Saul, célèbre artiste d’avant-garde (Viggo Mortensen) organise des spectacles clandestins autour des transformations de ses propres organes, aidé par une complice, la sensuelle Caprice (Léa Seydoux). Timlin, une enquêtrice du registre national des organes (Kristen Stewart)  suit de près leurs pratiques. C’est alors qu’un groupe mystérieux d’activistes  va se manifester…

Après huit années d’absence, David Cronenberg revient sur les écrans avec un film bien dans sa manière, un film de science-fiction en forme de fable dont une fois encore, le centre est  le corps humain, qu’il dissèque et explore. Le corps, mais aussi le sexe, la technologie et la jouissance par la souffrance. « La chirurgie, c’est le nouveau sexe » dit la Timlin de Kristen Stewart. Ce petit chef d'œuvre (mais oui! ) de cruauté futuriste qui entre ce 25 mai en Compétition officielle au Festival de Cannes risque de provoquer quelques évanouissements dans les salles où il sera projeté. Officiellement, il est interdit  aux moins de 12 ans. Mais on conseille vivement  aux âmes sensibles de s’abstenir, quel que soit leur âge.  

Recommandation : 4 coeurs

HOMMES AU BORD DE LA CRISE DE NERFS d’AUDREY DANA - Avec MARINA HANDS, THIERRY LHERMITTE, LAURENT STOCKER, PASCAL DEMOLON, MAX BAISSETTE DE MALGLAIVE…

 Du frêle jeune homme de dix-sept ans au vieux ronchon de soixante-dix, en passant par une grande gueule à la cinquantaine cabossée, sept hommes que tout oppose, sinon d’êtres tous au bord du pétage de plombs ou de la dépression, se retrouvent embarqués dans une thérapie de groupe en pleine nature sauvage. Première surprise en arrivant à ce stage mystérieux exclusivement réservé aux personnes de sexe masculin, le coach est une femme excentrique, peu conventionnelle, et surtout diablement persuasive. Rebelles, les nouveaux stagiaires?  Avec ou sans leur consentement, cette guide aussi belle qu’énergique va leur en faire voir et subir de belles…Le prix à payer pour que ces messieurs retrouvent équilibre et joie de vivre?

Comment ne pas aimer Audrey Dana dont les films ressemblent à la vie, où on rit et on pleure parfois en même temps, et qui sont portés par un humanisme, une bienveillance, une drôlerie et aussi une tendresse qui réchauffent le coeur ? Après Sous les jupes des filles, la cinéaste s’est amusée à mettre en scène le sexe fort dans ses faiblesses : ses doutes, sa mauvaise foi, ses trouilles, ses crises d’orgueil et ses coups de mou. Le résultat est ce désopilant feel good movie,  plus profond qu’il n’y paraît, puisqu’au bout du compte, et sans donner de leçon, il est une histoire d’hommes qui se réconcilient avec la vie et la nature. Un régal !   

 Recommandation : 4 coeurs

ÇA TOURNE À SAINT-PIERRE ET MIQUELON de CHRISTIAN MONNIER - Avec CÉLINE MAUGE, PHILIPPE REBBOT, JULES SITRUCK…

Actrice renommée mais en attente de rôle, Céline se voit proposer un tournage avec Milan Zodowski, un réalisateur célèbre. Elle ne sait rien du film, sauf qu’il va se passer à Saint-Pierre et Miquelon. Aventureuse dans l’âme, elle accepte. Quand elle arrive sur place, son enthousiasme retombe. Elle s’aperçoit que l’équipe ne se compose que d’un ingénieur du son et d’une régisseuse. Milan, lui, est invisible, refusant obstinément de sortir du cabanon où il s’est enfermé pour « créer », fait-il dire. Le grand metteur en scène, aussi connu pour ses films que pour sa bizarrerie a-t-il vraiment l’intention de faire tourner Cécile, ou l’a-t-il fait venir sur l’archipel pour une toute autre raison ? 

Pour son deuxième long métrage, le réalisateur et photographe Christian Monnier avait envie d’une histoire pétillante et bienveillante qu’il pourrait tourner dans l’archipel de Saint Pierre et Miquelon, cette région du monde qu’il affectionne particulièrement pour sa beauté sauvage. Il a donc écrit ce scénario qui allie humour, décalage, tendresse, fantaisie, émotion et…suspense. Cela donne ce film qui tient à la fois de la fantaisie, de la comédie et du drame. Ses héros, Céline Mauge (l’actrice) et Philippe Rebbot sont  formidablement « castés ». A la fois loufoque et poignant. Dépaysant, aussi .  

Recommandation : 3 coeurs

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