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Disparition du PS à la sauce SFIO ou façon Pasok ? Ces scénarios que François Hollande devrait étudier d'urgence pour éviter la désintégration politique de son parti
©Reuters

Mélenchonite aiguë

Un sondage BVA publié ce mercredi 15 juin dresse un constat effrayant pour François Hollande : au premier tour de l'élection présidentielle de 2017, il serait dépassé par Jean-Luc Mélenchon. Un signe qui n'est pas sans rappeler l'épée de Damoclès qui pèse sur son parti, et la possibilité d'une scission définitive.

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Dans le dernier sondage BVA sur les intentions de vote aux prochaines élections présidentielles, François Hollande est devancé par Jean-Luc Mélenchon dans l'hypothèse d'une candidature de Nicolas Sarkozy. Au-delà du cas de Jean-Luc Mélenchon, dans quelle mesure faut-il craindre une disparition du PS aujourd'hui ? Sous quelle forme celle-ci serait la plus crédible ? Doit-on plutôt se référer à une menace du type SFIO ou à celle que représente l'effondrement, en Grèce, du Pasok ?

Christophe Bouillaud :Tant que le mode de scrutin aux législatives reste un scrutin majoritaire uninominal à deux tours, le PS - comme symétriquement Les Républicains à droite - est protégé d’un effondrement du type de celui qu’a connu le PASOK après 2012 ou que devrait connaître selon les sondages le PVdA aux prochaines législatives aux Pays-Bas. Avec un scrutin proportionnel, une force alternative peut s’affirmer plus facilement à la gauche du parti socialiste ou social-démocrate qui a trahi les aspirations de ses électeurs traditionnels au nom de la raison européiste, et ces électeurs traditionnels ont tout de même la garantie d’avoir des élus de gauche, certes s’ils le veulent encore et s’ils ne s’égarent pas à droite, à l’extrême-droite ou dans l’abstention, puisque le scrutin est proportionnel et qu’il autorise donc des partis petits ou moyens à avoir des élus. Avec le scrutin majoritaire à deux tours en vigueur en France, l’électeur de gauche risque, s’il ne vote pas PS au premier tour et au second tour, de ne pas être représenté du tout. Il laisse de fait le champ libre à la droite et à l’extrême-droite. Les législatives partielles organisées depuis 2012 l’ont montré : si le PS n’arrive pas à se qualifier au second tour, aucun parti de gauche ou aucune coalition de partis de gauche ne fait mieux que lui. Du coup, je parierais plutôt que l’on va assister à un déclin du PS qui restera encore en 2017 le plus gros parti de la gauche aux législatives, tout en étant incapable de rien proposer de bien nouveau dans un premier temps.

Jean Garrigues : Il est important de préciser, en guise de préambule, que le score de Jean-Luc Mélenchon et la situation de François Hollande dans ce sondage pré-électoral constituent une situation nouvelle que nous n'avions pas connu depuis les années 1970 : un candidat de la gauche radicale – ou au moins, de la gauche non-socialiste – est passé devant le candidat socialiste dans les intentions de vote de la prochaine élection présidentielle. Il s'agit bien évidemment d'une donnée nouvelle, et elle est inquiétante pour le PS. Cependant, n'oublions pas qu'à la veille de l'élection présidentielle de 1981, Georges Marchais était sur les talons de François Mitterrand. La situation est donc nouvelle si l'on se concentre sur les 30 dernières années, mais elle n'est pas non plus inédite. La véritable différence, c'est qu'à l'époque le Parti socialiste était dans une phase ascendante quand, aujourd'hui, il représente un parti de pouvoir – l'un des deux partis de gouvernement depuis 30 ans – et que François Hollande avait tous les éléments pour être le candidat dominant de la gauche. Dès lors, il apparaît logique que la mise en relation du faible score du PS, du sentiment de rejet de l'opinion dont le président de la République fait l'objet et des dissensions au sein de la gauche socialiste génère une situation des plus inquiétantes.

À partir de ce constat, de nombreuses incertitudes planent, dont la première d'entre elles est de savoir si François Hollande sera ou non le candidat du Parti socialiste. Bien qu'il s'agisse ici d'une quasi-certitude, quelques doutes persistent, du fait des engagements qu'il a pris (notamment en matière de lutte contre le chômage et d'inversion de la courbe du chômage) et du caractère très flou de ces derniers. 

Si l'on se réfère au passé et à la dernière élection présidentielle, il est intéressant de souligner que Jean-Luc Mélenchon partait de très bas, mais a tout de même fini par atteindre les 10 à 11% de voix. Il est possible d'y lire un potentiel susceptible de le mener devant François Hollande à la prochaine présidentielle, ce qui engendrerait naturellement une situation préjudiciable pour l'actuel locataire de l'Elysée. Et pour cause : être derrière Jean-Luc Mélenchon c'est, pour François Hollande, l'assurance de ne pas être au second tour de l'élection présidentielle. Cela correspond ni plus ni moins à l'annihilation totale de ses chances. Un échec électoral ne serait évidemment pas sans conséquences pour le Parti socialiste puisque chaque échec électoral se solde par une recomposition politique plus ou moins violente. En 2007 par exemple, après l'échec de Ségolène Royal, la recomposition a été assez mineure, voire douce, et s'est traduite par la prise de pouvoir de Martine Aubry au sein du parti, mais qui n'a pas cherché à en modifier drastiquement l'identité. Après un échec de François Hollande, une recomposition "douce" n'est pas non plus inenvisageable : elle consisterait en une réflexion menée au sein du PS, notamment sur les rapports de forces entre les différents courants. Elle bénéficierait probablement à Martine Aubry, Benoît Hamon et dans la majorité aux frondeurs… Cela serait un retour à une ligne plus orthodoxe dans l'histoire du Parti socialiste et supposerait que l'échec de François Hollande est celui de sa ligne et de la politique sociale-libérale qu'il a menée. Ce serait également l'échec de Manuel Valls et d'Emmanuel Macron.

Une autre hypothèse possible est celle d'une recomposition au sein de la gauche, d'un rapprochement de la ligne des frondeurs et de celle de Jean-Luc Mélenchon. En un sens, elle représente un danger clair pour le PS, qui ne serait plus nécessairement en position dominante et serait susceptible de se noyer dans une gauche plurielle nouvellement recréée et incarnée par une figure charismatique (qui manque à la recomposition douce de Martine Aubry, Arnaud Montebourg n'ayant vraisemblablement pas la même capacité à fédérer) comme Jean-Luc Mélenchon. C'est l'hypothèse qui correspond le plus à une situation semblable à celle du Pasok. Elle sous-entend d'ailleurs que le courant Valls-Hollande accepte une situation de minorité au sein du Parti socialiste. La troisième hypothèse voit le courant aubriste reprendre l'avantage au sein du Parti socialiste. Cela pourrait donner lieu à une solution de rupture, laquelle correspondrait à une solution lancée à l'origine par Manuel Valls : la reconstruction d'un nouveau PS sur la base d'une identité d'inspiration rocardienne, revendiquée comme sociale-démocrate (il s'agirait en effet de recréer une social-démocratie basée sur les courants intermédiaires) mais interprétée comme sociale-libérale en cela qu'elle reconnaît les contraintes de l'économie de marché. Enfin, la dernière hypothèse repose sur Emmanuel Macron : le mouvement "En marche !" pourrait, à sa manière et sans faire partie du PS, devenir une dissidence positionnée au centre-gauche de l'échiquier politique et tenter de reconstruire une majorité présidentielle (et non partisane) pour 2022. Cela correspond à beaucoup d'hypothèses qui relèvent aussi bien du passage de la SFIO au PS, qui correspondrait à l'hypothèse Manuel Valls, mais aussi à des hypothèses plus proche du Pasok, comme évoqué précédemment.

Le parti ne risque-t-il pas de rencontrer d'importantes difficultés dans la (re)création d'une ligne politique cohérente avec sa base électorale ? De quelle manière pourrait-il la consolider ou la renouveler ? Le PS a-t-il seulement, encore, une base électorale sur laquelle il pourrait s'appuyer ?

Jean Garrigues : C'est une question compliquée. Le Parti socialiste dispose toujours d'une base électorale qui n'a plus rien d'ouvrière mais qui concerne une partie des classes moyennes, des salariés et des intellectuels. Tous ces gens-là, pour des raisons idéologiques et sociologiques, se reconnaissent dans une gauche modérée, mais tout de même bien ancrée à gauche. Cependant, les différentes polémiques et tensions suscitées par les mobilisations et la loi El Khomri témoignent que, même au-delà du périmètre traditionnel de la gauche protestataire (incarnée par Jean-Luc Mélenchon, le Parti Communiste Français et l'extrême-gauche de façon générale), une partie de cette base électorale a rompu avec le PS, ne lui fait plus confiance. Il me semble néanmoins logique que cette frange de l'électorat (essentiellement des classes moyennes, des salariés, des employés, un pan du monde enseignant, les cheminots, les électriciens, etc.) n'est pas captif de Jean-Luc Mélenchon et pourrait revenir vers le PS pour peu que celui-ci revienne vers une ligne plus orthodoxe, comme celle de Martine Aubry. En parallèle, une partie de l'électorat socialiste – quand bien même c'est moins vrai pour les militants – s'est progressivement convertie aux valeurs prônées par Manuel Valls (les valeurs de l'entreprise, l'ordre républicain…). Cette frange de l'électorat socialiste est davantage composée de classes moyennes supérieures, de cadres, de seniors, et se reconnaît plus facilement dans la ligne défendue par François Hollande et Manuel Valls. Elle constitue le socle d'une recomposition politique éventuelle.

Le vrai problème vient du fait qu'entre ces différentes familles socio-culturelles de la gauche, l'écart se creuse et ressemble de plus en plus à un fossé. D'un côté, on a la gauche des cadres et des seniors, de l'autre la gauche des salariés, des employés et des intellectuels, une opposition entre une fidélité culturelle et historique à la tradition tant progressiste que démocratique que la gauche, confrontée au pragmatisme de la mondialisation et aux contraintes de notre nouvelle société numérique. Ce sont deux principes de la gauche qui s'opposent : l'émancipation face à l'ouverture à l'économie de marché. Or, ces principes se cristallisent sur des groupes sociaux-culturels différents et qui semblent de plus en plus difficiles à rapprocher…

Christophe Bouillaud :Il existe actuellement effectivement un hiatus entre la ligne économique et sociale de la direction actuelle du PS qui veut promouvoir un "néo-libéralisme à visage humain" en alliance avec la CFDT et une grande partie de la base électorale du PS qui ne veut plus entendre parler de ce genre d’accommodements avec ce que le groupe dirigeant du PS considère comme le seul réel possible. A mon sens, le PS devra choisir entre sa loyauté au projet européen comme "TINA" et les aspirations d’une partie de sa base électorale. La stratégie qui consiste à passer par pertes et profits l’ancrage populaire du PS suppose que le PS puisse gagner les élections sans ce vote populaire. Il faudrait pouvoir rassembler toutes les classes moyennes modernes, pro-européennes, mais celles-ci sont aussi loyales en partie à la droite et au centre. En réalité, le PS ne peut survivre comme parti de majorité relative que s’il retrouve un vrai contact avec les aspirations populaires. Or, pour une organisation aussi professionnalisée et vieillie que le PS, je doute que cela soit possible à court terme. Par contre, sauf à considérer un peu facilement que les classes populaires sont irrémédiablement acquises au FN, il est possible de construire un discours de gauche qui parle aux classes populaires. Le PS a réussi à le faire en 2007 dans une large mesure, et encore plus en 2012 – simplement, ce discours a été trahi par la pratique du pouvoir. Plus généralement, je ne crois pas du tout que l’électorat populaire va renoncer à son aspiration séculaire à se voir offrir par le politique une protection contre les forces destructrices du marché. Les électeurs populaires veulent de la "sécurité" à tous les sens de ce terme, et ils l’auront ! Ou alors, il faut les priver du droit de vote.

Les prochaines législatives sont-elles, ou non, la meilleure chance pour le PS de retrouver son unité ? Dans quelle mesure ces élections pourraient-elles ainsi "sauver" le parti ? Quels sont les scénarios les plus probables lors de cette échéance ? 

Christophe Bouillaud : Tout dépend de scénarios. Le plus probable est celui dans lequel François Hollande a tenu à se présenter en-dehors de toute primaire de la gauche, dans lequel il y a donc eu plusieurs candidatures à gauche et dans lequel aucun candidat de gauche n’a pu se qualifier au second tour. Le candidat de la droite l’a emporté contre celui du FN. Dans ce cas-là, il est probable que les élections législatives soient un désastre pour toute la gauche. Ne sauveront les meubles que les élus les mieux implantés localement qui joueront non pas la carte de leur appartenance partisane, mais celle de leur personnalité et de la défense du pluralisme au sein des Assemblées. Le jeu de recomposition commencera alors sur cette base. Les mesures très probablement des plus antisociales prises par la droite dans les six premiers mois du mandat présidentiel devraient permettre une remobilisation de la gauche. Mais celle-ci ne passera pas par les dirigeants actuels du PS. Il faut en effet souligner, que, contrairement à 2002, le PS n’apparaîtra pas comme le lieu naturel d’investissement à de futurs militants offusqués par la situation. Le débat sur la déchéance de la nationalité comme celui sur la loi Travail auront sans doute découragé de nombreuses bonnes volontés. Les engagements partisans pour préparer la revanche se feront à gauche dans d’autres structures.

Jean Garrigues : Là encore, il s'agit d'une question très compliquée, puisqu'il s'agit de faire de la prospective, or il n'est pas possible de prédire l'avenir. Beaucoup de paramètres en jeu… Pour se référer au passé, il est possible de souligner que les élections législatives sont le plus souvent facteur de rapprochement, d'atténuation des divergences : c'est tout l'enjeu des investitures dont la question se règle en fonction de la ligne dominante. En l'occurrence, celle-ci est tenue par Jean-Christophe Cambadélis, qui est en osmose avec la ligne de François Hollande. Il est probable qu'un certain nombre de frondeurs rentrent dans le rang, justement dans la perspective des investitures et c'est un phénomène qu'on constate également chez les autres forces politiques comme chez Les Républicains. 

Globalement, donc, les législatives sont factrices d'atténuation des conflits et d'homogénéisation des lignes. Toutefois, un certain nombre de frondeurs pourraient faire l'analyse du rejet dont souffre la ligne sociale-libérale du président de la République et être, par conséquent, tentés d'aller vers la force ascendante que représente Jean-Luc Mélenchon. C'est un véritable risque pour le Parti socialiste, qui dépendra en grande partie des cultures politiques régionales et locales, souvent très différentes les unes des autres. Dans des zones de traditions de gauche plus radicale, comme la ceinture rouge (la ceinture de la banlieue parisienne), il est fort probable que les législatives soient propices à des démarcations. Dans d'autres régions de tradition plus modérée, on restera sans doute plus fidèle à la ligne du parti.

Propos recueillis par Vincent Nahan

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