Discours sur l’état de l’Union : Ursula von der Leyen entre véritables espoirs et optimisme (très) forcé<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, devant le Parlement européen à Strasbourg, le 14 septembre 2022
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, devant le Parlement européen à Strasbourg, le 14 septembre 2022
© AFP / FREDERICK FLORIN

La part du vrai, du faux

Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a tenu un discours sur l’état de l’Union mercredi à Strasbourg. Sans manquer de saluer certaines réussites européennes, elle a aussi passé sous silence quelques manquements

Guillaume Klossa

Guillaume Klossa

Penseur et acteur du projet européen, dirigeant et essayiste, Guillaume Klossa a fondé le think tank européen EuropaNova, le programme des « European Young Leaders » et dirigé l’Union européenne de Radiotélévision / eurovision. Proche du président Juncker, il a été conseiller spécial chargé de l’intelligence artificielle du vice-président Commission européenne Andrus Ansip après avoir été conseiller de Jean-Pierre Jouyet durant la dernière présidence française de l’Union européenne et sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe (Conseil européen) pendant la dernière grande crise économique et financière. Il est coprésident du mouvement civique transnational Civico Europa à l’origine de l’appel du 9 mai 2016 pour une Renaissance européenne et de la consultation WeEuropeans (38 millions de citoyens touchés dans 27 pays et en 25 langues). Il enseigne ou a enseigné à Sciences-Po Paris, au Collège d’Europe, à HEC et à l’ENA.

Voir la bio »
Bruno Alomar

Bruno Alomar

Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).

 
Voir la bio »

Atlantico : Ursula von der Leyen a tenu son discours sur l'État de l’Union, que faut-il en retenir ?

Guillaume Klossa : La présidente de la Commission européenne a acté un changement d’ère. L’entrée dans une ère éminemment géopolitique où les grandes puissances sont de plus en plus amenées à être en concurrence les unes avec les autres. Et Ursula von der Leyen a pris acte de cette nouvelle étape de la globalisation. Le soutien sans réserve à l’Ukraine est aussi le signe d’un changement majeur du logiciel européen. C’est un soutien très clair : militaire, avec des armes, économique, avec des crédits et énergétique, avec la connexion du réseau ukrainien au système européen. Il est aussi numérique, réglementaire et politique. C’est l’entraide de l’Union dans une dynamique de puissance. Cette transformation de l’Union s’est faite de manière extrêmement rapide. La présidente de la Commission, avec courage, est revenue sur les hésitations initiales  de certains États membres qui doutaient de la volonté guerrière et violente du président russe alors que les pays les plus proches de la Russie étaient plus informés. Elle a aussi reconnu que la guerre était au porte de l’Europe, ce qui revient à reconnaître que nous sommes revenus dans le monde des guerres où il est nécessaire d’avoir une position sans ambiguïté. Elle a aussi expliqué que tout serait fait pour faciliter l’intégration économique et politique de l’Ukraine, son accès au marché européen, afin de faciliter une reconstruction rapide. Il faudra d’ailleurs en tirer les conséquences. Si l’Europe est le principal acteur de la reconstruction, il faudra s’assurer, comme les Américains l’avaient fait avec le plan Marshall que les intérêts européens soient servis et que les financements européens ne financent pas que des entreprises extra-européennes et que cela servira aussi à rebâtir des entreprises ukrainiennes fortes et modernes. 

Sur le chantier énergétique, je pense que le problème a été posé. Il faut d’une part sortir de la dépendance à l’égard de la Russie mais aussi aux énergies fossiles. Cela devient une obligation économique, géopolitique et morale. Deuxièmement, il faut aussi accélérer le développement d’alternatives aux énergies fossiles en conformité avec l’objectif de décarbonation de l’Union. Pour cela il faut créer des conditions financières crédibles, d’où la proposition d’investissements massifs dans l’hydrogène. C’est aussi l’annonce, sans le dire, d’une grande politique industrielle dans l’hydrogène, les microprocesseurs, etc.

Elle a aussi été claire sur le fait qu’il est important que l’Union européenne ne soit pas seulement une puissance réactive mais en mesure d’agir de manière proactive. Pour cela, il faut adapter les institutions, les réformer avec suffisamment d’ambition. Une ambition qui devra aussi intégrer les résultats de la Conférence sur l’avenir de l’Europe qui s’est terminée le 9 mai dernier à Strasbourg et a mis en avant les très attentes démocratiques des citoyens européens qui souhaitent être associés de manière transnationale et continue aux décisions européennes. 

Bruno Alomar : D’abord une remarque : l’UE, en la matière, singe les Etats-Unis. Cela peut se comprendre, puisque l’ambition des Pères fondateurs était – elle le reste, quoique de moins en moins – de créer les « Etats-Unis d’Europe ». 

Ceci me semble en réalité assez artificiel. Non seulement parce que l’UE ne peut nullement prétendre constituer un pays à part entière : sa géographie, son histoire l’interdisent. Mais plus encore car même les plus fervents fédéralistes européens – ils sont de moins en nombreux – n’y croient plus vraiment. 

Ensuite, la mise en scène de ce discours avec les habits bleus et jaunes de la Présidente et de plusieurs commissaires, la place absolument disproportionnée de l’Ukraine, sont extrêmement choquantes. L’Ukraine n’est pas membre de l’UE. Et si tout un chacun comprend la crise et la douleur des Ukrainiens, il y a une forme de jusqu’au boutisme de la part de la Commission, qui semble avoir décidé seule de faire entrer dans l’UE ce pays de plus de 40 millions d’habitants. Est-il permis de rappeler que ce pays est beaucoup plus pauvre que le plus pauvre des Etats membres, alors même que beaucoup de dirigeants à l'Ouest ne font pas mystère des regrets nourris par un élargissement à l'Est trop rapide ? Est-il permis de rappeler, alors que l'on fait la leçon ici et là à la Pologne ou la Hongrie que l'Ukraine est un pays très profondément corrompu ? Une UE avec l’Ukraine, une UE à 35 membres, telle qu’envisagée par le Chancelier Scholz dans son discours de Prague il y a quelques jours, est condamnée à ce que j'ai appelé l’insignifiance. 

La présidente de la Commission a salué plusieurs réussites européennes, a-t-elle raison ? Dans quelle mesure a-t-elle insuffisamment souligné les manquements de l’Union et passé sous silence certains échecs ?

Guillaume Klossa : L’Union européenne a des grands succès à son actif. Ursula von der Leyen a le mérite de rappeler contre la bien-pensance qui estime que l’UE ne délivre pas, elle délivre et a changé de braquet. Elle est passée d’une Union de la régulation à une Union de l’action. Elle a délivré sur les vaccins, nous avons la population au monde la plus vaccinée et avec les meilleurs vaccins. On souligne trop facilement les échecs, mais il y a des réussites historiques. De même, avec la guerre en Ukraine, on pariait sur un éclatement de l’unité européenne, et pourtant elle a tenu, alors même que les Russes avaient parié sur la désunion rapide. Depuis 2016, l’unité tient et étonne tout le monde. Il y a une dynamique plus profonde qui permet à l’UE de tenir. Les intérêts sont imbriqués et il y a une vraie société européenne, avec une dynamique civilisationnelle que l’Union incarne.

Je vois donc de grands succès européens sur lesquels il faut insister car ils sont inattendus. Cela prouve une maturité des Etats, des institutions et des citoyens pour aller plus loin. Les niveaux d’adhésion à l’UE sont député quelques années au plus haut depuis le début des années 2000. L’UE fait preuve de créativité et va au-delà de ses compétences habituelles. Elle devra néanmoins répondre de maniere ambitieuse sur les attentes civiques européennes qui se sont manifestées lors de la Conférence sur l’avenir de l’Europe.

Bruno Alomar : La Présidente de la Commission fait de la politique. Or, en l’état actuel, cela signifie marketer des réussites réelles ou supposées, et non pas produire un discours en raison qui fasse la part des choses. 

La réalité est que l’UE - qui a commencé à se désintégrer avec le Brexit - est dans une situation plus difficile qu’elle ne l’a jamais été.  

Politiquement, elle est écartelée entre l’Est et l’Ouest sur la question des valeurs. Les sociétés des États membres sont particulièrement à cran. L’inflation s’apprête à soumettre les classes moyennes à très rude épreuve. 

Institutionnellement, elle est en crise. Les institutions marchent mal. Au sein de la Commission, qui regroupe l’essentiel des effectifs, la crise couve chez les fonctionnaires. La gestion par la Commission actuelle ce sont des fonctionnaires que la commissaire Dalli traite de « structurellement racistes » (sic). C’est une réforme du statut qui se profile et qui va amputer les rémunérations. C’est l’importation d’une série de gadgets (télétravail mal pensé, suppression des bureaux etc.) qui exaspèrent à juste titre les fonctionnaires européens. On pourrait continuer.

Monétairement, la zone euro est dans une impasse. La remontée puissante des taux est à terme mortifère pour les pays du Sud, dont la France. Le maintien en l’état d’une inflation élevée est le symptôme d’un échec majeur de banquiers centraux qui ont renoncé à leur indépendance et à leur rôle de gardiens de la valeur des monnaies, de peur de remettre en cause la folie dépensière des gouvernements. Dans ce contexte, la zone euro est particulièrement mal placée : la baisse de l’euro est assez inéluctable, avec les effets d’inflation importée qu’elle charrie.  

Géopolitiquement, l’UE s’est trompée depuis 30 ans. Elle a cédé au modèle de grande Suisse que l’Allemagne souhaitait, et créé les conditions de la crise énergétique à laquelle on assiste à peine au commencement. 

Commercialement, on frise le ridicule. Mme Von der Leyen nous dit qu’elle poussera à la ratification de l’accord commercial avec la Nouvelle-Zélande. Cela fait des années que l’UE, qui regroupe 450 millions d’habitants, négocie avec un pays de quelques millions d’habitants ! Est-cela l’Europe puissance ? Est-ce cela le fameux effet de taille qui est à la racine de toute la logique communautaire ?   

Économiquement, l’UE va souffrir beaucoup plus que les Etats-Unis et la Chine, même si ces deux acteurs ont aussi des difficultés.  

Bref, le bilan est plus que terne. Mais, surtout, surtout, emportée par son lyrisme, Mme Von der Leyen ne veut pas voir l’essentiel : en fait de levier d’actions sur la vie des européens, l’essentiel reste dans les mains des gouvernements nationaux. Ceci la dédouane un peu… 

Justement, ses perspectives pour l’avenir sont-elles suffisamment ambitieuses ? Faut-il une refondation ?

Guillaume Klossa : Il n’y a pas besoin d’une refondation. L’Union européenne a montré qu’elle était flexible dans ses traités. Mais il faut définir collectivement un nouvel horizon européen dans un monde en mutation rapide et radical et déterminer les amendements aux traités à faire pour y arriver. c’est un sujet qui doit concerner les Etats membres, leur population, leurs politiques, etc. autant que la Commission.

Les mesures annoncées par la Commission européenne notamment dans le domaine énergétique vont-elles dans le bon sens ?

Guillaume Klossa : La filière hydrogène, la stratégie de réduction de la consommation, de diversification des énergies fossiles, tout cela se sont des stratégies très concrètes qui sont en marche et vont infiniment plus loin que ce qu’on aurait pu imaginer possible il y a quelques mois encore.

Bruno Alomar : Bien sûr, tout n’est pas à rejeter dans ce discours, en dépit des graves manquements évoqués supra. Par exemple, nul ne conteste qu’en matière énergétique, un effort soit nécessaire en matière d’hydrogène, et notamment d’hydrogène vert. Il s’agit d’une des clefs pour réussir la transition énergétique, et la Commission européenne a raison de vouloir avancer sur ce sujet.  

Mais toute la question est dans l’exécution. Bien sûr, sur le papier, il est facile de réaliser de beaux discours irrigués de bons sentiments. Là, nous avons à faire à une bonne copie de Sciences Po…ou du collège de l’Europe. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !