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Discours intimidants : ces "mots-pièges" qui formatent insidieusement nos esprits à l'ère du mondialisme
©Pixabay

Bonnes feuilles

L’idéologie contemporaine, "migratoire", mondialiste, antiraciste, multi-culturaliste, présente comme des vérités ce qu’on imaginait être des "positions", empêche le débat d’idées et fausse la compétition démocratique. Elle stigmatise tout individu qui oserait mettre en doute ce qui apparaît comme un dogme incontestable. Extrait de "Face au discours intimidant", de Laurent Fidès, aux éditions du Toucan (2/2).

Laurent Fidès

Laurent Fidès

Laurent Fidès est ancien élève de l'Ecole Normale Supérieur et agrégé de philosophie.

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Les mots sont des pièges. Prenons l’exemple du mot « extrémisme » dans le discours politique contemporain. Est « extrémiste » celui qui se positionne à l’extrémité de l’échiquier politique. Mais qu’est-ce qu’un échiquier politique ? C’est un espace orienté, avec un centre, des extrêmes, et des zones intermédiaires. Définition circulaire. La topographie parlementaire nous est familière et nous empêche, sous peine d’oxymore, de parler d’un extrémisme de centre-droit ou d’un extrémisme de centre-gauche. Nous ne sommes donc pas tentés d’envisager sous l’angle de l’extrémisme les programmes d’action émanant de ces formations politiques. Et pourtant certains de ces programmes produisent des ruptures radicales et irréversibles, engagent le pays dans une voie sans issue ou vont à contre-courant de la volonté du peuple. Nos manières de parler occultent l’aspect « extrême » de telles décisions, parce que l’usage conventionnel du mot « extrémiste » est réservé à d’autres courants, représentés en d’autres points de l’hémicycle. En utilisant le langage qui tient à la topographie parlementaire, on détourne l’attention du public des solutions extrêmes décidées par la classe politique dite « légitime ». La terminologie fonctionne ici comme un piège, puisque le citoyen est incité automatiquement à considérer comme raisonnable et modéré ce qui se rapproche du « centre ». À l’inverse l’imputation d’extrémisme est infamante. Elle est rarement objective, elle relève généralement d’une tactique partisane et peut servir d’alibi pour se donner une posture moralisatrice. Rien ne nous empêche cependant de donner au mot « extrémisme » une autre interprétation : rien, sauf justement l’usage établi, et c’est là, en résumé, tout le problème. On voit ici comment le langage agit pour dessiner une zone d’acceptabilité qui est finalement fictive puisqu’elle ne correspond pas à ce que le citoyen ordinaire serait prêt à accepter si on lui laissait réellement le choix. Cette réflexion n’a pas pour but de banaliser les partis extrémistes. Elle vise plutôt à faire remarquer ceci : dans une démocratie qui fonctionnerait à peu près normalement, la question « qu’est-ce qui est extrême ? » devrait être constamment posée et non jugée d’avance.

>>>>> A lire également : La notion de "zone d’acceptabilité", ou comment les universitaires en viennent à ostraciser ceux qui osent s'affranchir de la pensée dominante

Les mots entrés dans notre vocabulaire orientent de l’intérieur notre vision des choses. Pour celui qui s’intéresse aux mécanismes de l’idéologie il y a là un phénomène à étudier attentivement. Ce qui est étonnant, ce n’est pas qu’on puisse manipuler l’opinion des gens au moyen de procédés rhétoriques, c’est plutôt que les gens puissent s’abuser eux-mêmes en faisant des phrases qui énoncent réellement ce qu’ils souhaitent exprimer.

Ce phénomène s’explique notamment par la tendance à essentialiser ce qui ne devrait pas l’être si l’on s’en tenait à une version conventionnaliste et instrumentale du langage. Il est frappant de constater que les gens sont plus enclins à objectiver ce qu’ils disent qu’à considérer que « ce ne sont que des mots », comme s’il suffisait de tenir des propos qui ont un sens pour que quelque chose soit montré (alors qu’un mot peut avoir un « sens » bien qu’il n’ait pas de « référence »). L’explication qu’on propose est la suivante : la présence d’un mot appelle une représentation ; or il est difficile de ne pas croire en la réalité de ce qu’on se représente.

La première partie de ce chapitre s’applique à analyser sur des exemples précis les mécanismes du processus essentialiste. En deuxième partie, on montre que le penchant essentialiste est renforcé par l’isomorphisme entre nos manières de parler et nos manières de penser, lesquelles ont en commun leur rapport aux structures de l’expérience et au contexte environnemental des sociétés (Henri Bergson, Pierre Janet). La logique de l’action et des conduites sociales est un principe qui non seulement permet de rendre compte du relativisme linguistique étudié par l’anthropologie cognitive (Benjamin L. Whorf), mais explique également le verrouillage du sens inhérent aux contraintes du langage (dans ses aspects formels et pragmatiques). En s’appuyant sur des modèles de pensée critique aujourd’hui marginalisés (Marcuse et Illich) on montrera (en troisième partie) qu’en amont des stratégies discursives calculées, la langue commune enferme nos manières de parler et nos manières de penser dans des schémas standardisés.

Pour annoncer schématiquement notre propos, disons que l’adaptation du langage aux évolutions de la société restreint le champ des possibilités d’expression pertinentes et oriente tendancieusement les usages de la langue. La dernière partie indique les conséquences de ce verrouillage idéologique sur nos représentations et notre perception de la réalité, ainsi que les enjeux politiques qui en découlent. L’objet de ce chapitre (un peu plus technique que le précédent) sera de montrer comment les individus deviennent à leur insu les vecteurs du système des idées dominantes sans avoir été positivement endoctrinés.

Extrait de "Face au discours intimidant - Essai sur le formatage des esprits à l'ère du mondialisme", de Laurent Fidès, aux éditions du Toucan, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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