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Discours de la méthode : le quinquennat Macron est-il encore sauvable ?
©YOAN VALAT / POOL / AFP

Elysée

Mathieu Mucherie évoque les difficultés rencontrées par Emmanuel Macron depuis le début de son quinquennat. Il décrypte également les enjeux de la fin du mandat du président de la République et analyse la méthode du chef de l'Etat.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Ce quinquennat ne mène nulle part, chacun désormais en convient ; mais les explications les plus souvent avancées (le manque de chance et/ou le cycle global, la personnalité dysfonctionnelle et narcissique du président…), si elles ne sont pas fausses, manquent de méthode. Mon hypothèse est justement que l’échec pathétique de Toutanmakron est d’abord une affaire de méthodologie : qui trop embrasse mal étreint.

Presque tous les échecs dans la vie, en amour, en politique ou dans les arts, sont liés à une incapacité à se focaliser, à bien concentrer son énergie. Cela ne date pas d’hier. Bernard Schnetzler notait qu’en 1942 réduire de moitié l’intensité de la guerre sous-marine aurait permis aux nazis de doubler les effectifs de la Panzerwaffe en construisant 6000 Panzer IV supplémentaires, chiffre en théorie suffisant pour une victoire sur le front russe. Hitler n’était pas assez concentré. En gestion d’actifs, la diversification des portefeuilles est devenue une religion, poussée si loin que désormais tout le monde ou presque se contente de la moyenne ; cela se fait au nom de la maîtrise des risques, alors qu’investir sur de nombreuses choses que l’on ne connait pas est bien plus risqué que d’investir sur un faible nombre de choses que l’on connait. En politique monétaire, une détente (achat d’actifs, taux négatifs…) risque fort d’échouer si au même moment vous dites que tout cela est dangereux et ne va pas durer, ou si au même moment vous augmentez la TVA. En politique française, on connaissait déjà la tendance au « tout vouloir », les 110 propositions, le chiraquisme, la grosse commission Attali et autres gloubi-boulga ; Macron n’a pas rompu avec cette tendance, tout au contraire, et il a ajouté le « en même temps », une sorte d’hermaphrodisme post-politique, proche de la double-pensée de 1984 : célébrer la même semaine l’héritage gaulliste et le fédéralisme européen, adouber la même semaine la fermeté policière et la famille en or Traoré, visiter le professeur Raoult tout en laissant faire la campagne de désinformation du ministre de la santé, célébrer la liberté d’expression tout en essayant de faire passer la loi Avia, etc.

D’où lui vient au fond cette culture du non-choix, et ce culte de l’irréel ? Il ne faut pas oublier que notre Président est (comme pratiquement toutes nos élites parisiennes) un Khâgneux, malgré ses échecs au concours de Normale Sup’, ou peut-être justement en raison de ces échecs. Un Khâgneux, c’est un très bon élève qui croit que l’on peut exceller en tout, passer de la philo à l’histoire ou à la littérature avec un égal bonheur, et ce dès le plus jeune âge, à 20 ans. Cette croyance naïve, scolaire et quasi-animiste, qui se situe aux antipodes des enseignements de tous les grands créateurs et de tous les vrais entrepreneurs (ces gens se sont focalisés de façon souvent monomaniaque pour atteindre l’excellence), est encore renforcée à Sciences-po et à l’ENA, où l’idée est d’avoir au moins 12/20 partout, et non pas d’approfondir un ou deux sujets que l’on trouve importants et sur lesquels on pourrait au bout d’un moment se forger quelques convictions. Gérer, et ne surtout pas focaliser, creuser, vérifier ; les gens qui se concentrent et qui sont animés par des convictions sont perçus comme de doux dingues. Nos élites doivent briller en droit, en économie et en diplomatie, et dans huit autres matières, et surtout ne fâcher personne, pas même la femme du sous-préfet. Macron et les siens (la centaine d’énarques de centre-gauche et de centre-droit qui gèrent ce pays) ont donc appris à dire ce que les examinateurs aiment entendre, et à faire ce que personne ne leur reprochera vraiment de faire. A la fin de ce type de parcours, on croit sincèrement que financer une baisse des charges par une hausse de la CSG (la politique constante de TOUS les gouvernements français depuis 1991) est une réforme fiscale révolutionnaire. Et si vous ajoutez à cette formation d’autres étapes généralistes du même tonneau (comme la commission Attali et ses centaines de propositions), vous obtenez le portrait-robot du Diafoirus moderne : expert en tout c'est-à-dire expert en rien, expert tout de même en diversions et en diffraction du blâme ; un gros carnet d’adresses et une petite bibliothèque, et René Char plutôt que Baudelaire ou Céline ou Cioran.

Dès le début, j’avais prévenu les lecteurs d’Atlantico : quand vous n’utilisez pas les 100 premiers jours du mandat (au moment où vous êtes « légitime », et où les oppositions sont dispersées) pour de vraies réformes de fond (la libéralisation du foncier, la refonte de la carte territoriale, la participation…), et que vous préférez alors utiliser votre crédit pour des gadgets politiciens comme la pseudo-loi sur la moralisation de la vie politique (loi qui ne touchait à aucun des sujets sensibles de la vie politique française ! et qui, par exemple, n’interdisait pas à un haut fonctionnaire de monnayer son carnet d’adresses pour se faire 6 fois plus d’argent que Penelope en 12 fois moins de temps), vous êtes cuit. Pas tout de suite bien entendu, mais vous êtes cuit. Car il faut s’attendre ensuite à des obstacles croissants, surtout à l’âge des nouveaux médias, alors que votre élan s’essouffle, et alors que les 2,5% de croissance du PIB chaque année des prévisions officielles n’ont pas l’air de vouloir s’accomplir ici-bas. Cette théorie des 100 jours, bien documentée, a été jugée inadéquate pour notre Guide suprême, persuadé de pouvoir tenir un rythme de classe prépa pendant 5 ans. Et, par la suite, Macron a continué sur le même chemin, le seul qu’il connait, celui des priorités qui sont toutes prioritaires de sorte qu’aucune n’est prioritaire. Concrètement : un déferlement continu de lois bavardes et de circulaires de 60 pages (dont certaines consacrées à la simplification administrative), en pleine application des anciennes critiques de Joseph de Maistre. Les usines à gaz se multiplient, par exemple sur les retraites, les indemnités chômage, la sécurité publique, etc. Chaque soucis, réel ou potentiel, doit trouver sa solution technique et bienveillante ; jusqu’au grotesque de cette « conférence citoyenne » (150 membres, 149 propositions, j’imagine que 300 membres auraient accouché de 299 propositions ?), qui calmera sans nul doute les gilets jaunes en étendant aux autoroutes les limitations de vitesse, et qui au passage soutiendra à fond cette industrie automobile thermique et hexagonale qui est massivement renflouée par le contribuable, « en même temps ».

Dépassant héroïquement le « ni-ni » et le « bof-bof » de ses maîtres Mitterrand et Hollande, Macron innove avec le « oui et non, et plus encore ». Jadis, notre personnel politique manquait de cohérence temporelle, l’Algérie française puis tout le pouvoir au FLN trois ans plus tard, les lendemains socialistes qui chantent puis tout le pouvoir à la Bundesbank deux ans plus tard. De nos jours, il n’y a plus aucune cohérence temporelle puisque même la cohérence intellectuelle a disparu : au prétexte de remplacer les idéologues par les techniciens, « on » a évacué les idées, les convictions, le conséquentialisme. L’incohérence devient immédiate, dès les premières minutes, et si on peut en rire on peut aussi noter que cela coûte fort cher, car toutes les politiques publiques se retrouvent en quelque sorte dédoublées.

Avec 6 grandes priorités, 15 axes indispensables et 9 chantiers urgents, le saupoudrage généralisé qui caractérise de plus en plus notre système s’est retrouvé dopé à partir de 2017 ; comme un pilote d’hélico qui ferait du sur-place au dessus d’une mine de talque. J’aurais préféré la monnaie hélicoptère, mais le pilote Macron n’ayant pas la licence monétaire, nous avons récolté la poudre aux yeux des lois et des règlements, en attendant le changement d’un mot et d’une virgule dans la Constitution qui va tout changer à l’avenir de la biodiversité sur cette planète. Cela a commencé avec la farce d’un secteur privé qu’il fallait conduire depuis l’Elysée vers le capitalisme moderne (alors que ce sont nos administrations qui auraient besoin du vent du changement) : dès 2017, les réformes envisagées touchaient surtout le secteur privé, exposé au monde, déjà très efficace et maintes fois réformé dans ce pays ; elles touchaient très peu un secteur public notoirement inefficient. Le bon élève Macron a-t-il jamais lu le texte de Soljenitsyne de 1978 sur le déclin du courage ?

Il est incapable de fixer un cap, et en plus il pense que c’est une péninsule. Nous avions eu un avant goût de ce donquichottisme avec la libéralisation des bus entre Albi et Charleville-Mézières, présentée comme une réforme digne de Reagan et Thatcher réunis. Devenu président, sa « stratégie » d’allégeance à l’Allemagne a échoué tout de suite, et sa « start-up nation » a fait pshiiiit peu après. Les mesurettes se prennent, les vraies réformes se trainent. Maintenant, il dit avoir une stratégie d’indépendance nationale, parce que 200 emplois vont être relocalisés et quelques doses de vaccins vont être produites sur la terre sacrée de la République. Au fond, c’est toujours le mythe de la 3e voie chère à Philippe Pétain et à Francisque Mitterrand. « Soyez socialiste ou soyez libéral, mais ne soyez pas menteur », aurait répliqué Jacques Rueff, que Macron n’a jamais lu non plus (sinon, il saurait que les deux « redressements productifs » que notre pays a connu au XXe siècle, à partir de 1926 et de 1958, ont été orchestrés par Rueff dans la foulée de dévaluations). 

Faute de clarté, nous voilà bien avancés. Une presse libre, et subventionnée. Le soutien à l’écologie, et à Airbus, et à Air France. Une forme de dialogue avec Philippe de Villiers, et l’aide aux communautés transgenres. Le respect pour les forces de l’ordre, et pour le milicien Benalla. La réforme de l’Etat, sans aucune diminution des effectifs. Le refus du cumul des mandats, sauf pour les copains. La lutte contre les inégalités, dans un ordre monétaire déflationniste. La promotion de la culture, mais comme le moindre sous-chef l’affirme de nos jours « je n’ai plus le temps de lire ». Une justice archi-indépendante, ceci dit les juges sont invités à traiter certains dossiers avec un zèle particulier. Le gouvernement des meilleurs, mais Moscovici à la Cour des comptes. La droite draguée, mais Sibeth N’Diaye comme porte-parole. Pas de grand remplacement, mais un grand déplacement à venir (concept de « réfugiés climatiques »). La fin des régimes spéciaux, mais en 2053. Nos voisins, qui nous prenaient déjà pour des grands diseux petits faiseux, des gens qui se payent de mots et dont les principales industries sont le sophisme et la moraline, sont consternés : relisez le fumeux fameux discours europhile d’El Presidente à la Sorbonne le 26 septembre 2017, et jugez ensuite de ce qu’il nous reste de crédibilité en Europe.       

Il existe toute une novlangue pour masquer ces non-choix. Dans le nucléaire, on ne parlera ni de soutien indéfectible à la filière ni de fermeture accélérée de centrales, on dira qu’il faut « un nucléaire sécurisé, dans le cadre d’un mix énergétique renouvelé ». Ca ne veut rien dire, mais ça passe. Un style boyscoutiste et ampoulé, où les sujets qui fâchent ne sont pas abordés, à partir d’un niveau déjà élevé en phraséologie vide de sens. Et toute cette présidence se met à ressembler au gag du fakir, avec Francis Blanche et Pierre Dac : « Il peut le faire ? oui, mesdames et messieurs, il peut le faire ! il peut le faire ! ».

Incapable de choix courageux c'est-à-dire tranchés, expliqués, assumés, et qui ne seraient pas durs aux faibles et complaisants vis-à-vis des puissants, une présidence de Diafoirus se doit tout de même d’occuper le terrain médiatique. Aucun axe ne peut être écarté, ni aucun instrument. Face à une crise de coronavirus, par exemple, seront exploités des dizaines de dispositifs au même moment, ce qui empêcha toute évaluation sérieuse (c’est d’ailleurs un des buts recherchés ?), dans le cas où on commencerait un jour à déployer dans ce pays une évaluation sérieuse des politiques publiques. Pour une telle politique stakhanoviste et potemkiniste, il faut du lourd. L’idéal-type des énarques, Bruno Lemaire, est donc à la manœuvre pour redresser l’économie à la sueur de son front (« monsieur 2,4% », pour qui se souvient de la primaire à droite et de son programme de 900 pages plus indigestes que les œuvres complètes en 15 volumes du Maréchal Tito) ; on engage donc 400 milliards, mais rassurez-vous, nous n’avons pas l’intention de monter les impôts (avec ces gens là, tout est dans l’intention). En secret, les élites parisiennes prient pour que la BCE fasse le boulot, mais elles n’ont pas assez de courage ou de logique conséquentialiste pour exiger d’elle quoi que ce soit, et puis comptez sur les néo-économistes des plateaux TV (Nicolas Bouzou, etc.) pour nous expliquer que l’annulation au moins partielle des dettes déjà logées dans le bilan de la BCE n’est pas possible (mais alors, expliquez moi comment on peut dépenser autant et ne pas monter les impôts tôt ou tard…). 

« Populiste », c’est ce qu’on récolte quand on rappelle les principes du libéralisme classique à nos élites macronistes. Ces dernières sont hostiles aux contre-pouvoirs, ce qui dans leur logique est archi-logique : puisque le Chef opère la thèse, l’antithèse et la synthèse (comme en Khâgne), à quoi ça sert de s’opposer ? à quoi bon en effet un contre-pouvoir face au Leader sintético, qui défait dialectiquement le soir ce qu’il a ébauché le matin, tout en servant à la fin des brouets d’eau tiède (mais sur un ton martial) ? Tocqueville, Adams ou Montesquieu sont largués, qui n’avaient pas imaginé une opposition à l’intérieur même du cerveau de la tête de l’exécutif ; ces vieux auteurs naïfs seront bientôt chassés des bibliothèques, j’imagine, à moins qu’on ne laisse un collectif engagé s’occuper de leurs statues dans les parcs dans les espaces-citoyens-libérés-de-l’oppression-artificialiste (il parait que le petit cousin de Tocqueville a eu un serviteur noir, et payé au black).     

Quand il préparait le concours de l’ENA, Emmanuel Macron veillait à éviter les impasses. Devenu Président suite à un concours de circonstances, il a continué à couvrir tous les sujets, et nous voilà dans une impasse. « On » fait un peu de tout, en même temps, et en klaxonnant (mais un peu moins fort depuis qu’un virus a montré que nous n’avons peut-être pas le « meilleur système de santé du monde »). Au début, j’ai pris tout cela pour de l’infantilisme : les enfants ont une tendance au tout vouloir, et leur impatience les empêche aussi d’accéder au stade de la stratégie. A la réflexion, il s’agit plutôt de conservatisme : si la montagne accouche d’une souris, c’est parce qu’on ne veut pas qu’elle accouche de grand-chose. Mais est-ce que cela scandalise vraiment dans une nation désormais multiple et divisée, un archipel (pour parler comme Jérôme Fourquet) et non un pays « qui se tient » ?

Puisque j’ai été très clairvoyant sur ce pouvoir depuis 2017, vous allez surement me demander ce qui va se passer dans les deux dernières années du mandat inutile, et si cette engeance va durer au-delà de 2022. Je table toujours sur un quinquennat ennuyeux sponsorisé par Dunlopilo, mais animé bien entendu par des petites phrases présidentielles « provocatrices », des initiatives dans tous les sens, des controverses très organisées, et des sceaux d’argent public à diffusion large. Syncrétisme et synarchisme, pour résumer le fond, mais avec moultes diversions, et une belle touche de vert qui ne mange pas de pain à mesure que les élections se rapprochent. Le 31 juillet 2017, je finissais un de mes articles pour Atlantico par ceci : « … Notre pharaon ToutanMacron a préféré (quelle surprise, vu son CV et ses soutiens) la méthode Bercy : charges sociales versus CSG, agence de com’ sur les réformes-nécessaires-ma-bonne-dame, et courbettes à la BCE (en séminaire à sciences-po cela s’intitule la « gouvernance européenne en mutation »). C’est déjà fichu avant d’avoir commencé, et il faudra beaucoup d’ingéniosité (mais il n’en manque pas !) pour dissimuler le plus longtemps possible cet échec économique (je prévois de nombreuses mesures sociétales et constitutionnelles, peut-être des avancées cruciales dans des domaines peu consensuels comme la souffrance animale ou la lutte contre l’obésité) ». J’aimerais pouvoir dire que j’ai un peu forcé le trait, mais pas du tout. Savoir si cette comédie macronienne du Yin et du Yang va durer après 2022 est plus délicat. Il n’est pas certain que ce pouvoir perturbe le noyau central de la société française et ses diverses ramifications archipelisées qui veulent le changement sans rien changer (l’électeur médian aura bientôt 50 ans). Le non-choix permet le non-faire, et il ne faut jamais prendre les français pour des conservateurs mais ne jamais oublier qu’ils le sont ?

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