Derrière la visite d’Emmanuel Macron à Marseille, le mal français de la concentration du pouvoir aux mains d’un seul homme<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron, président de la République.
Emmanuel Macron, président de la République.
©LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

Marseille en grand

A Marseille, Emmanuel Macron a multiplié les annonces sur le cannabis, sur l’école, etc. Des annonces qu’on imaginerait volontiers chez des ministres plutôt que chez le président.

Christophe Seltzer

Christophe Seltzer

Christophe Setlzer est directeur général chez GenerationLibre think tank.

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Frédéric Mas

Frédéric Mas

Frédéric Mas est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef de Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).

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Atlantico : A Marseille, Emmanuel Macron a multiplié les annonces sur le cannabis, sur l’école, etc. Des annonces qu’on imaginerait volontiers chez des ministres plutôt que chez le président. Comment en sommes-nous arrivés à cette concentration du pouvoir aux mains d’un seul homme particulièrement manifeste sous le mandat actuel ?

Christophe Seltzer : Pour être franc, je n’ai pas la force de m’intéresser au tour du vieux Port par le Président de la République. Le grand débat, on a déjà payé pour voir. 

A mon sens, Emmanuel Macron n’a toujours pas compris que les Français ne lui avaient pas donné de majorité à l’Assemblée nationale en juin 2022. Du point de vue de la Constitution et au regard de sa victoire à la présidentielle de 2022, son seul mandat est de présider le pays, pas de le « gouverner » (c’est le rôle du Gouvernement) ni de voter les lois (c’est le rôle du Parlement) – ni de se substituer aux collectivités territoriales (n’a-t-on pas décentralisé – quoi qu’imparfaitement ?). 

En dramatisant et en personnalisant ce déplacement à Marseille, Emmanuel Macron joue contre les institutions. Il abîme sa fonction en se préoccupant de choses qui ne sont pas de son niveau. Il affaiblit le principe de la séparation des pouvoirs. Il met à mal la démocratie en s’attribuant une légitimité forfaitaire et globale qu’il n’a pas obtenue. En somme, il exacerbe à son paroxysme la potentialité populiste de la Ve République : le face à face entre un homme et une foule. On voudrait accélérer la polarisation qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

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Comment en sommes-nous arrivés là ? En renforçant continuellement les pouvoirs du Président de la République contre ceux du Gouvernement et du Parlement. Élu directement par les Français depuis 1965, le Président fait concurrence à la légitimité des députés. Avec la synchronisation des élections présidentielle et législatives depuis 2002, le fait majoritaire systématique renvoie tout le pouvoir politique à l’Elysée - très peu aux élus, et plus rien aux Français.

Frédéric Màs : Alors, selon moi, il est possible de distinguer deux grandes raisons : une raison structurelle et une raison conjoncturelle. La raison structurelle réside dans la tendance observée depuis près d'un siècle en France, à savoir la centralisation du pouvoir politique et l'autonomisation croissante du pouvoir exécutif. Cette autonomisation a atteint son apogée avec l'adoption de la 5e République, qui a rompu avec la tradition républicaine et libérale précédente en accordant un pouvoir considérable à un seul homme, renforcé davantage par des modifications constitutionnelles telles que l'élection directe du président de la République et la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans. Cela a entraîné une concentration importante du pouvoir au sein de l'exécutif, qui se retrouve également en position d'influer sur les résultats des élections législatives. Les parlementaires dépendent ainsi largement de l'élection présidentielle pour leur propre réélection, ce qui constitue l'aspect structurel de la situation.

Quant à l'aspect conjoncturel, il réside spécifiquement dans le cas de la présidence d'Emmanuel Macron et de son mouvement politique, La République en Marche. Macron a du mal à s'entourer car sa principale valeur repose sur sa propre personne. Il est à la fois le produit et le visage de son mouvement. Par conséquent, il devient inévitablement le principal communicant de la majorité présidentielle et se retrouve à la fois en position de président et de porte-parole du gouvernement. Cela pose un problème car ses collaborateurs, qui sont pour la plupart des personnes de second plan, ne possèdent ni le charisme ni la légitimité nécessaire pour défendre efficacement le bilan du gouvernement. Ainsi, Macron se retrouve à jongler entre les rôles de président et de communicant, une tâche difficile à concilier pour les membres de son équipe qui ne disposent pas de la même stature politique.

Qu’est-ce qui explique que le président actuel maximalise son rôle et ne se contente pas de son rôle d’arbitrage politique et de garant des institutions ? 

Christophe Seltzer : L’hyper-présidentialisation de notre régime est tellement avancée qu’Emmanuel Macron n’a pas même su ou voulu respecter l’esprit de la Constitution après les élections législatives de 2022. On s’est tellement habitué à un président omnipotent que lui, comme nous, avons oublié que le général de Gaulle concevait la fonction présidentielle comme une position d’arbitre, et que même François Mitterrand laissait de la marge de manœuvre à son Premier ministre lorsqu’il était socialiste . 

Dans un esprit gaullien, je crois qu’un Président tenu en minorité à la suite des élections législatives doit démissionner ou renvoyer la responsabilité de la constitution d’une majorité de gouvernement à l’Assemblée nationale. Si cette dernière est introuvable, il peut alors recourir au droit de dissolution. Ou démissionner. La séquence des retraites est catastrophique : le Président seul est passé en force.

Frédéric Màs : Pour moi, il y a une raison assez simple à cela. Le passage du septennat au quinquennat a permis au président de la République de devenir un candidat permanent. En tant que chef de l'État, représentant de la majorité et chef de parti, il est constamment sollicité pour défendre à la fois le bilan du gouvernement et le parti qu'il représente. Ainsi, il n'occupe plus une position de surplomb des institutions, comme c'était le cas avec le septennat et la Constitution d'origine. Aujourd'hui, le président est un candidat permanent, et certains de ses prédécesseurs, tels que Nicolas Sarkozy et François Hollande, l'ont déjà démontré. Ils étaient les avocats permanents de leur formation politique tout en étant au gouvernement.

Dans quelle mesure cette hyper activité présidentielle masque-t-elle l’impuissance de l’Etat sur les grands sujets et la faiblesse du personnel politique (ainsi que celle des directeurs d’administrations) ?

Christophe Seltzer : On a beau jeu de reprocher aux hommes politiques et aux parlementaires de ne pas savoir faire de compromis. Mais il n’y a aucune incitation institutionnelle à réaliser des compromis aujourd’hui puisque tout le monde a les yeux rivés sur l’Elysée. Et le Président le premier cherche encore à avoir le beurre et l’argent du beurre.

Cette hyperactivité hyper présidentielle, et cette élection présidentielle permanente, qui prend toute la bande passante médiatique et politique, empêche toute réflexion de fond au quotidien, disqualifie les partis pour l’élaboration de programmes politiques de long cours, affaiblit la portée des élections, désincite à la délibération parlementaire, tue l’action politique. 

Il faut absolument sortir de l’hyper présidentialisme ! Par le pouvoir démesuré qu’elle confère au président de la République, la France est une anomalie parmi toutes les démocraties occidentales. Même le Congrès américain est plus puissant face au président des Etats-Unis d’Amérique !

Frédéric Màs : Je pense qu'il est possible de distinguer deux éléments importants. Tout d'abord, la fonction de représentation du président de la République sert en réalité à compenser sa perte de pouvoir réel par rapport aux institutions européennes. Au fur et à mesure de l'intégration de la France au projet européen, la souveraineté française s'est fragmentée et déplacée. Ainsi, le poids réel du président de la République, bien qu'il ait réussi à se libérer des pouvoirs politiques intérieurs tels que le législatif et le judiciaire, est complètement subordonné aux institutions européennes. Par conséquent, l'un des principaux rôles de l'exécutif en matière de communication est de se justifier et de justifier son existence, de plus en plus problématique.

De plus, cette personnalisation au sommet du pouvoir politique est également une réaction face à la rigidité bureaucratique qui caractérise l'appareil d'État dans son ensemble. Aujourd'hui, pour renforcer leur pouvoir politique, de nombreux acteurs politiques et courtisans se retrouvent à la tête de la monarchie républicaine dans le but d'influencer le cours des événements. Ils sont conscients que la base est figée et stratifiée, d'où la nécessité de cette personnalisation au sommet.

A quel point cette concentration du pouvoir croissante est-elle délétère pour la prise de décision publique ?

Christophe Seltzer : On s’imagine bien qu’un pays de 68 millions d’habitants ne peut pas voir des choses aussi différentes que ses trains, ses caméras ou ses préservatifs gérés personnellement par le Président de la République lui-même.

Aujourd’hui, l’impuissance politique est le sentiment le mieux partagé parmi les citoyens comme les élus politiques, à commencer, et à raison, par le Président de la République. Il faut d’urgence retrouver une répartition des pouvoirs pour clarifier les responsabilités.

Frédéric Màs : À mon avis, il y a plusieurs éléments liés au problème de la concentration du pouvoir. Tout d'abord, il y a le développement de l'arbitraire du pouvoir, où l'égalité devant la loi n'est plus garantie, et c'est la personne la plus proche du centre du pouvoir qui peut faire avancer ses intérêts. Cela crée des effets d'influence où les individus les plus connectés au sommet de l'État exercent une pression sur les centres de décision, ce qui favorise leurs propres intérêts au détriment du reste de la population.

D'autre part, il y a le problème de l'inefficacité. La concentration du pouvoir au sommet ne garantit pas l'efficacité de l'action publique. Peu importe la concentration du pouvoir et la concentration de la bureaucratie au sommet, la taille de l'État est si vaste et remplie de bureaucratie que rien n'est assuré quant à la prise de décision à la base de l'appareil bureaucratique. Cette démonstration d'inefficacité érode également la légitimité de l'action politique globale.

Quels sont les exemples les plus prégnants de la tendance actuelle ? A quel point cela s'est-il accentué ?

Christophe Seltzer : Depuis vingt ans, la politique ne change plus la vie. En période de cohabitation, on avait privatisé avec la droite ou bien instauré les 35 h avec la gauche plurielle. Depuis, plus rien. Sinon peut-être l’auto entrepreneur sous Nicolas Sarkozy (en réalité piloté par des ministres comme Hervé Novelli) qui a permis à des millions de Français d’entreprendre, et le mariage pour tous sous François Hollande (défendu dans les faits avec panache par Christiane Taubira), qui a permis à 150 000 Français de même sexe de pouvoir se marier. 

Pourtant, en matière de politiques publiques, tous les indicateurs sont au rouge, de l’école aux retraites en passant par la dépendance, de l’université à l’hôpital, de la justice à la police… Les idées ne manquent pas, mais les partis politiques ne sont plus là, et le courage politique a disparu. On ne fait plus que du paramétrique à grands frais et sans résultats.

Beaucoup incriminent les Français, qui se désintéresseraient de la chose publique, ou le personnel politique, qui ne serait plus au niveau. C’est sans doute vrai, mais c’est un peu court. Je crois qu’avant même d’aller vers de la démocratie participative, il faut restaurer les piliers de notre démocratie représentative qui ne tiennent plus. Comment faire pour que le Gouvernement gouverne, le Parlement vote les lois, les élus locaux exercent librement leurs responsabilités ? Il faut un électrochoc institutionnel ! Et si on en finissait avec l’élection présidentielle ?

Frédéric Màs : L'exemple de Marseille est particulièrement intéressant. Il illustre de manière frappante la théâtralisation de l'action politique en France. On constate que la fonction présidentielle a évolué vers celle d'un hyper président, qui ne se limite plus à un rôle politique, mais intègre également une dimension communicationnelle. L'exécutif se retrouve ainsi chargé de promouvoir le bilan d'un gouvernement qui, de toute évidence, est devenu totalement absent du débat public et pratiquement invisible pour la majorité des Français.

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