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Éric Ciotti et Olivier Marleix.
Éric Ciotti et Olivier Marleix.
©THOMAS SAMSON / AFP

Loi immigration

En présentant leur proposition de loi Immigration, Les Républicains assument de vouloir remettre en cause la hiérarchie des normes, y compris au prix d’un rapport de force avec l’Union européenne. Tiendront-ils cette fois-ci cette ambition lors de la campagne des élections européennes qui s’annonce en 2024 ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Les LR ont présenté un plan pour lutter contre l’immigration, à contrôler, qui prévoit notamment de revenir sur la hiérarchie des normes européennes. Les LR sont-ils capables d’aller au bout de leur logique et comment ? Au niveau national comme au niveau européen ? (Quels alliés trouver ailleurs en Europe alors que le PPE est déjà très affaibli ?)

Christophe Boutin : Les propositions présentées par Éric Ciotti, Olivier Marleix et Bruno Retailleau, visent à « changer totalement de cadre en matière de politique migratoire ». Or l’un des éléments importants, qui recoupe les analyses faites, par exemple, chez Reconquête ou au Rassemblement national, et que confirment les juristes, est la difficulté qu'il y aurait à pouvoir procéder à une vraie modification de la règle du jeu dans le cadre juridique actuel. 

C’est pourquoi le projet des Républicains envisage d’abord une révision constitutionnelle dont le premier point serait de permettre la primauté du droit national sur le droit international, qu’il soit normatif ou jurisprudentiel - et, dans ce dernier cas, qu’il soit l’œuvre de la Cour de justice de l’Union européenne ou de la Cour européenne des droits de l’homme qui, on s’en souviendra, est une structure liée au Conseil de l’Europe et non pas à l’Union européenne. Il s’agirait pour cela d’inscrire dans la Constitution le principe selon lequel, lorsque les « intérêts fondamentaux de la nation » sont menacés, on pourrait déroger au principe la primauté du droit européen, par une loi organique votée par les deux assemblées ou approuvé par référendum. C’est cela le « bouclier constitutionnel », terme déjà utilisé par Marine Le Pen comme l’ont souligné un certain nombre de commentateurs.

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Sont-ils capables d’aller jusqu’au bout sur la scène nationale ? Quant aux instruments législatifs – les LR en dehors de la révision constitutionnelle évoquent 48 mesures -, Olivier Marleix a expliqué que si le gouvernement présentait en retour un projet « trop laxiste », il y aurait dépôt d’une motion de censure. Mais il est évident que cette motion de censure, qui ne serait jamais votée, et au mieux, que par LR et le RN, n’obtiendrait pas la majorité : ce n’est donc qu’une menace en l’air. Quant à la révision constitutionnelle envisagée, elle supposerait (art. 89) l’aval des deux Chambres avant un référendum – obligatoire puisque ce serait une proposition. Cela supposerait à l’Assemblée une coalition de toutes les oppositions, qui semble bien peu crédible sur ce sujet de l’immigration – à moins que la question de la souveraineté (primauté du droit national) n’en soit clairement détachée. Mais comme la proposition LR envisage aussi, toujours dans le cadre de la révision, l’obligation d’assimilation faite aux immigrés, cela ne peut que capoter.

Au niveau européen, par contre il y a effectivement y compris, au sein du PPE, de plus en plus de représentants au Parlement européen qui estiment qu’il y a une dérive importante des pouvoirs de l’Union européenne, dérive qui se cristallise notamment en matière d’immigration, avec la volonté de la Commission de faire passer, avant les prochaines élections européennes, son Pacte sur l’immigration et l’asile qui viendrait limiter encore les pouvoirs des États-membres en la matière, facilitant par exemple la répartition la Commission des vagues de migrants sur leurs territoires au nom de la « solidarité européenne ». Mais quels sont les pouvoirs du Parlement ?

À quel point les élections européennes seront-elles déterminantes pour ce parti ?

Le parti sort très affaibli de l’épisode de la réforme des retraites, où il s’est montré divisé et a braqué une partie de son électorat - les partisans de la réforme en ne la votant pas, ses détracteurs en ne votant pas la censure du gouvernement. Or, la question de l’immigration, qui préoccupe les Français au premier chef, lui offre ici une intéressante possibilité d’action.

En effet, le gouvernement est manifestement en situation de faiblesse sur cette question : on devait avoir un texte puis deux, pour revenir finalement à un, qui devait être présenté avant juin, puis en septembre, puis peut-être, au printemps, 2024, cacophonie où se croisent les voix du président de la République, de la Première ministre et du ministre de l’Intérieur. 

Cela permet aussi de court-circuiter le Rassemblement national et Reconquête, ou au moins de montrer qu’ils ne sont pas seuls sur la question de la défense de la souveraineté nationale – et ce alors même que depuis maintenant des décennies les Républicains sont favorables à la poursuite de l’intégration européenne. 

Enfin, puisqu’il s’agit de poser la question du rapport entre le pouvoir des États et celui de l’Union européenne et de trouver un nouvel équilibre, les Républicains se placent au centre d’une question qui sera, n’en doutons pas, un élément clé des débats des élections de 2024, en France, mais aussi dans tous les autres États membres de l’union européenne, et les Républicains prennent date de manière claire. Mais sont-ils eux-mêmes si clairs sur cette question ? On parle à nouveau d’unité, n’est-ce pas un vœu pieu ?

Comment défendre des orientations incompatibles avec le droit européen, sans prôner une sortie de l’Union européenne ? LR prend-il un gros risque avec ses propositions ?

Quand Olivier Dussopt dit qu’en souhaitant des référendums les Républicains sont à rebours de la construction européenne, il n’a pas tort : elle s’est effectivement faite sans demander l’avis du peuple souverain dans la plupart des cas, et quand on le lui a demandé et qu’il a mal répondu, en allant contre cet avis. Mais gageons que ce n’est sans doute pas ce qu’il voulait dire, et qu’il cherche à montrer combien la volonté de mettre en place une primauté du droit national allait à l’encontre du principe dit de la primauté, mais du droit européen, qui, depuis l’affaire Costa contre Enel est un élément essentiel de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Pour elle en effet, le droit communautaire - c’est-à-dire à la fois les traités, mais aussi le droit dérivé, règlements et directives -, est supérieur à toute norme nationale, y compris constitutionnelle. 

Cette approche ne va pas sans heurts, avec des politiques étatiques (Hongrie) comme avec des jurisprudences de cours constitutionnelles (Allemagne, Pologne), et à l’avenir, comme la Commission européenne étend ses pouvoirs de manière tout à fait indue, il ne pourra y avoir que d’autres conflits. C’est donc une vraie question. En France, pour le cas très particulier de la transcription des directives, le Conseil constitutionnel a considéré qu’il pouvait y avoir un conflit entre une directive européenne et « l’identité constitutionnelle de la France », qui pouvait primer – mais pour l’instant une seule décision est intervenue sur le sujet, jugeant en 2021 qu’était conforme à « l’identité constitutionnelle de la France », que les transporteurs aériens réacheminement à leurs frais un ressortissant étranger dont l’entrée en France avait été refusé, ce qui n’est pas vraiment un conflit majeur avec l’Union.

Le problème vient de ce que ce n’est pas parce que la France décide seule d’avoir une « identité constitutionnelle » ou de protéger ses « intérêts fondamentaux » en tant que nation que l’Union européenne va cesser de prendre des actes, ni même se poser la question de cette identité ou de ces intérêts. Il peut donc y avoir des conflits de normes, qui seront alors jugés, conformément aux traités, par la Cour de justice de l’Union européenne - dont on n’a pas l’impression qu’elle soit prioritairement favorable aux intérêts des différents États-membres. 

Que faire alors ? Sortir de l’Union ? Renégocier les traités ? Les Républicains sont-ils prêts à aller jusque-là ? Si ce n’est pas le cas, si le dernier mot appartient toujours à un pouvoir supranational, il n’y aura que vaine gesticulation. Or subsiste au sein des Républicains une division entre une ligne européiste, favorable au développement de l’intégration, et une ligne plus souverainiste, très critique sur les dérives actuelles de la Commission. Un clivage qui pourrait être source de bien des divisions en 2024.

Cela fait des années qu’on entend des voix dans le parti qui tiennent ce type de propos en dehors de périodes électorales, mais qui finissent par y renoncer, au pied du mur, à la veille des élections. N'est-ce pas une énième promesse des Républicains sur l'immigration ?

Les promesses, c’est bien connu depuis Henri Queuille, « n’engagent que ceux qui les écoutent ». LR est loin d’être le seul parti qui connaisse ce problème, inhérent à la compétition électorale : dans l’opposition tout semble sinon facile, au moins possible, et une fois au pouvoir on découvre que l’on est pieds et poings liés. Mais cela n’est donc plus une découverte, mais une constatation banale : entre les textes européens et les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme, la marge de manœuvre des États dans le domaine de l’immigration est particulièrement réduite. 

Or justement, parce que tout le monde le sait, il sera sans doute très difficile aux Républicains de prétendre à leurs électeurs qu’ils ne peuvent, trois fois hélas, mettre en place les projets législatifs annoncés au motif qu’il n’y aurait pas de compatibilité avec la jurisprudence de la CEDH ou avec les normes de l’Union. Les trois représentants du parti qui ont présenté ces propositions ont insisté sur l’indispensable révision constitutionnelle qui devait précéder, mais dont ils ne peuvent ignorer qu’elle n’est pas suffisante à elle seule. Il leur appartiendra donc de pousser jusqu’au bout leur choix pour rétablir une part de cette souveraineté française qu’ils disent vouloir défendre s’ils veulent rester crédibles.

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