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Darwinisme : la féroce guerre de l’évolution entre les humains et le Covid-19
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Bataille biologique

Alors que la lutte contre la pandémie de Covid-19 se poursuit à travers le monde, la question de l'évolution du virus SARS-CoV-2 et la multiplication des variants nous amènent à nous interroger sur les racines de ces mutations.

Samuel Alizon

Samuel Alizon

Samuel Alizon est directeur de Recherche au CNRS, affecté au laboratoire MIVEGEC à Montpellier. Il travaille en écologie évolutive, plus précisément sur la modélisation des maladies infectieuses. Ses recherches portent en particulier sur les parasites humains (HPV, VIH, VHC, paludisme).

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Atlantico : Alors que la lutte contre la pandémie de Covid-19 se poursuit à travers le monde, la question de l'évolution du virus SARS-CoV-2 et la multiplication des variants nous amènent à nous interroger sur les racines de ces mutations. N'assistons-nous pas à une évolution "traditionnelle" et à l'un des exemples concerts du darwinisme à travers les évolutions du virus, cherchant à se perfectionner pour contaminer un maximum d'hôte et en essayant de franchir les barrières inter-espèces afin de s'adapter pour ne pas disparaître ? 

Samuel Alizon : Les mutations apparaissent toujours au hasard. C’est l’une des bases du Darwinisme.  Les virus évoluent à chaque fois qu’ils produisent de nouveaux virions.  La sélection naturelle va entrer en jeu car certaines mutations ont un effet sur l’infection, effet le plus souvent délétère, mais parfois aussi avantageux du point de vue du virus. Ces virus vont être plus ou moins favorisés ou plus ou moins se répliquer. C’est une constante de l’évolution et de la vie que l’on voit à tous les niveaux d’organisation du vivant.

Attention, quand on dit que certaines mutations vont être avantageuses, c’est un raccourci car il y a plusieurs niveaux d’adaptation. Pour un virus humain, un premier niveau d’adaptation, c’est celui de l’environnement intra-patient, ou intra-hôte. Autrement dit, du point de vue du virus, comment faire pour produire des nouveaux virus, échapper à la réponse immunitaire, causer une infection qui soit la plus longue possible, s’approprier le plus possible les ressources de cet hôte ? Un second niveau d’adaptation, qui se superpose à ce premier niveau intra-hôte, c’est celui du niveau populationnel. Cela va faire entrer en jeu les processus de contagion. Vont être favorisés les virus qui parviennent à infecter le plus grand nombre d’hôtes possibles. Ces deux dimensions, intra-hôte et populationnelles, peuvent être parfois contradictoires. Par exemple, les virus portant des mutations les rendant plus adaptés à exploiter un hôte ne seront pas nécessairement les virus qui sont les plus adaptés du point de vue de la transmission. 

Comment expliquer la résistance spécifique et les capacités d'adaptation du virus de la Covid-19 ?

Il est vrai que le SARS-CoV-2 semble déjà très bien adapté aux populations humaines. Au niveau intra-hôte par exemple, sa capacité à infecter des cellules humaines et produire des nouveaux virions est très élevée. Pour certaines souches de virus, il y a aussi une forte capacité à échapper à la réponse immunitaire de l’hôte. En revanche, d’autres aspects semblent moins bien adaptés. Par exemple la Covid-19, la maladie en tant que telle, ne semble pas avoir de composante adaptative du point de vue du virus. Autrement dit, des lignées de virus qui causeraient plus de symptômes très sévères ne seraient pas à priori favorisées par rapport aux autres. 

Cette question de l’adaptation se pose aussi au niveau populationnel. Là, on pourrait dire que le virus est extrêmement bien adapté aux populations humaines de par sa contagiosité, son mode de transmission. On est aujourd’hui à peu près certains qu’il peut être transmis par voie aéroportée. Son potentiel de transmission est donc sans comparaison avec celui d’un virus qui, pour prendre un cas extrême, ne serait transmis que pendant les rapports sexuels et dont les opportunités de transmissions, du point de vue du virus, seraient bien plus réduites. Un second aspect très important concerne le fait qu’une proportion significative de la transmission se produit en l’absence de symptômes. Là encore, du point de vue du virus, cela rend l’infection extrêmement adaptée pour se propager rapidement dans les populations humaines. 

Alors que les gouvernements sont mobilisés dans la lutte contre la pandémie et tentent de trouver les solutions les mieux adaptées, est-ce que la clé face à la pandémie ne serait-elle pas la compréhension de l'évolution des virus en nous, les hôtes, et comment ils changent la façon dont ils passent d'une personne à l'autre, permettant de mieux définir la prochaine phase de la pandémie ?

Il est certain que la dimension évolutive est extrêmement importante pour comprendre et lutter contre cette pandémie. Même l’évolution neutre, puisque certaines de ces mutations n’ont pas d’effet, peut être utile pour suivre à la trace ce virus par exemple. 

Il faut aussi faire attention aux raisonnements finalistes. L’évolution est un processus qui se produit toujours à partir du moment où vous avez des mutations qui conduisent certains individus à avoir plus de descendance que d’autres. Si on se place du côté de l’adaptation de populations virales, en raisonnant plutôt sur le moyen terme que sur le court terme, il est certain qu’elles vont s’adapter aux types d’hôtes qu’elles rencontrent. C’est probablement cela qui est à l’œuvre dans le cas du variant V3 qui a émergé au Brésil, dans une population où beaucoup d’hôtes ont été immunisés après la première vague. Mais, plus généralement, il faut prendre en compte le fait que les politiques de santé publique que l’on implémente, ce sont des pressions de sélection auxquelles les virus sont soumis. 

On retrouve cette idée pour les infections bactériennes, avec l’exemple classique de l’évolution de l’antibiorésistance en réponse à la sélection imposée par l’usage (parfois abusif) d’antibiotiques. Là encore, il ne s’agit pas d’un processus finaliste. Les bactéries ne décident pas de devenir résistantes.

 Mais les bactéries qui, par hasard, se trouvent porter des gènes d’antibiorésistance sont favorisées dans les populations où on utilise plus d’antibiotiques. 

Au final, on peut voir cela comme un processus co-évolutif. Du coté humain, cette évolution n’est pas une évolution génétique à court terme car nos génération durent plus de 20 ans. Mais on sait que cela a joué sur des échelles de temps plus longues. Mais, même si à court terme les populations humaines évoluent peu, on peut quand même y voir des processus co-évolutifs. D’une part au sein d’une personne infectée, le système immunitaire va évoluer très rapidement en fonction des virus qui causent l’infection. D’autre part, à un niveau populationnel, on peut voir les politiques de santé comme une réponse à l’évolution virale.

Cette co-évolution entre les politiques de santé publique et l’évolution virale est importante à prendre en compte pour avoir un temps d’avance sur les virus.  

Quelles leçons peut-on tirer du Darwinisme face à la crise du Covid-19 ? La façon dont le virus évolue, les principes fondamentaux de l'évolution, ne sont-ils pas les mêmes ?

Depuis l’émergence de cette nouvelle espèce virale qu’est le SARS-CoV-2 dans la population humaine, les éléments de sélection naturelle ont été relativement limités.

On a vu un premier événement assez tôt dans la pandémie qui était la mutation D614G dans la protéine de Spicule du virus. Celle-ci s’est propagée car elle conférait probablement un léger avantage au virus en termes de transmission. Aujourd’hui, quasiment tous les coronavirus qui circulent ont cette mutation D614G.

Fin 2020, il y a eu l’émergence très médiatisée des trois variants V1, V2 et V3 respectivement au Royaume-Uni, en Afrique du Sud et au Brésil. Pour le variant V1, sa propagation est vraisemblablement due au fait que les qu’il porte dans son génome lui confèrent une contagiosité plus élevée et donc un avantage au niveau populationnel. Pour les variants V2 et V3, leur avantage sélectif semble plutôt venir de leur capacité à échapper à la réponse immunitaire pré existante, donc plutôt un avantage intra-patient. On retrouve là  cette co-évolution entre l’homme et ces microbes. Notamment dans le cadre des variants V2 et V3, vous avez des populations humaines qui vont s’immuniser naturellement au fur et à mesure que l’épidémie se propage. C’est ce qui s’est passé malheureusement au Brésil, notamment dans la ville de Manaus il y a eu une vague épidémique majeure dont on pense qu’elle a reflué par l’immunité collective. Cette « évolution » de la population humaine, qui n’est pas une évolution au sens génétique mais plutôt une au sens immunologique, a entraîné une réponse évolutive du côté de la population virale notamment via la mutation E484K, elle aussi dans la protéine de Spicule, qui confère au virus un certain échappement à la réponse immunitaire.

Les pandémies semblent se produire uniquement parce que des chaînes d'événements aléatoires - certains biologiques et d'autres sociaux - créent une population vulnérable et des circonstances qui sont favorables pour le virus et dommageables pour son hôte. Mais comment arriver à triompher dans cette bataille subtile ? Comprendre l'évolution virale va-t-elle permettre aux scientifiques de déterminer si le vaccin Covid devra être renouvelé chaque année comme contre la grippe ? La clé de l'évolution du virus permettra-t-elle de freiner réellement l'épidémie ?

Pour les débuts d’épidémie, de même que pour les processus de mutation dont je vous parlais tout à l’heure, il y a une grande composante de hasard. Lorsque seule une poignée de personnes est infectée, il suffit que par hasard ces personnes aient peu de contacts pour que l’épidémie s’éteingne. De même, quand un virus porteur d’une mutation apparaît, si la personne qui est infectée par ce virus « mutant » n’infecte personne d’autre, cette nouvelle lignée virale est perdue. 

Il n’en reste pas moins qu'en plus de ce hasard, vont se superposer certaines tendances. Si l’on raisonne en termes de probabilité,  certes le fait qu’une épidémie émerge ou n’émerge pas dépend du hasard, mais la probabilité associée peut être plus ou moins forte en fonction de co-facteurs. Pour prendre l’exemple de la pandémie que l’on vit actuellement, on sait aujourd’hui que tout ce qui concerne l’augmentation des contacts entre les populations humaines et les faunes sauvages par exemple par le biais de processus d’urbanisation, de déforestation, cela augmente le risque et donc la probabilité d’émergence.

Pour prendre un autre exemple d’un point de vue plus de l’évolution, l’immunisation naturelle des populations augmente le risque  qu’émerge un variant  échappant à l’immunité mais cela reste un processus soumis au hasard (il faut que la mutation se produise, soit viable et que le virus soit transmis à des nouveaux hôtes). Dans cette pandémie, on a vu certaines lignées apparaître qui portaient la mutation dont je vous parlais tout à l’heure, la E484K, et pourtant se sont éteintes a priori par hasard. Mais là où la recherche peut nous aider c’est qu’elle peut essayer de nous informer sur est-ce que ce risque est plus ou moins élevé en fonction des conditions environnementales.   

Samuel Alizon  a publié « Evolution, écologie et pandémies. Faire dialoguer Pasteur et Darwin »  aux éditions Points

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