Danger sur l’économie mondiale : l’effondrement des exportations chinoises pourrait provoquer un effet domino global<!-- --> | Atlantico.fr
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Un porte-containers dans le port de Hong Kong.
Un porte-containers dans le port de Hong Kong.
©PETER PARKS AFP

Ralentissement sec

Les derniers mois ont été marqués par un ralentissement des exportations chinoises, signe que le commerce mondial va mal.

Eric Chaney

Eric Chaney

Eric Chaney est conseiller économique de l'Institut Montaigne depuis janvier 2017.

De 2008 à 2016, il est le chef économiste d’AXA pour ses activités mondiales. Il conseille également diverses entreprises, financières et non-financières, sur les questions économiques et géopolitiques, par l’intermédiaire de sa société, EChO. De 2000 à 2008, Eric Chaney était le chef économiste Europe de Morgan Stanley, qu’il avait rejoint en 1995, après avoir dirigé la Division Synthèse Conjoncturelle de l’INSEE, où il animait en particulier la publication trimestrielle ‘Note de Conjoncture’. Il a été Maitre de Conférences à l’ENA (1993-1996), a siégé au Conseil des Prélèvements Obligatoires auprès de la Cour des Comptes (2010-2014), au Conseil Economique de la Nation (1997-2014) et au Conseil scientifique du Fonds AXA pour la Recherche. Il est membre du Conseil scientifique de l’Autorité des Marchés Financiers et, depuis 2014, est vice-Président du Conseil d’administration de l’Institut des hautes Etudes Scientifiques de Bures-sur-Yvette.

Ancien professeur de mathématiques et éditeur d’une publication mathématique de l’Université Louis Pasteur de Strasbourg, Eric Chaney est aussi ancien élève de l’ENSAE-Paris-Tech.

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Atlantico : Quelle est l'ampleur de la chute des exportations et importations chinoises et comment s’explique-t-elle ?

Eric Chaney : Il y a énormément de fluctuations du commerce mondial. Nous sommes encore dans les soubresauts post-Covid. Pendant un temps, le monde était privé de biens de consommation. Et quand on a pu consommer à nouveau, ça a explosé. Depuis, le commerce mondial fait une sorte de va-et-vient. Les exportations chinoises, sur les six premiers mois de l'année, sont encore 42% au-dessus de ce qu'elles étaient en 2019, qui était la dernière année normale. lI ne faut donc pas trop exagérer les mauvais chiffres de juin et juillet. Ce ne sont pas simplement les exportations et les importations chinoises qui baissent, mais le commerce mondial dans son ensemble. D'ailleurs, lorsqu'on lisse un peu les choses, on s'aperçoit que les exportations chinoises baissent au même rythme que le commerce mondial.

Y-a-t-il des raisons particulièrement chinoises à ce problème ou est-ce un problème global ?

C'est un problème global. Les plus grands marchés pour la Chine, et pour la plupart des pays du monde, sont les États-Unis et l'Union européenne. Or, les importations de ces derniers ont fortement baissé depuis le début de l'année. Les Chinois exportent moins parce que leurs partenaires importent moins. Dans le détail, les exportations d'automobiles électriques explosent, mais pour d'autres biens, surtout électroniques, la chute est très importante.

Ce grippage du commerce mondial est la conséquence de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, des restrictions que les États-Unis ont introduites et de celles, certes plus faibles, que l'Europe a aussi introduites. Les politiques de reshoring ou de friendshoring visant à se passer, par exemple, des composants électroniques venus de Chine, commencent à faire effet.

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La Chine se retrouve-t-elle handicapée, menacée ? À quel point cette baisse met-elle de la pression sur le pays et son économie ?

Ça met une pression importante parce que la croissance chinoise, depuis 2000, a été principalement tirée par le commerce mondial. Mis à part la crise de 2008, où la Chine a mené une politique de forte relance, les exportations sont le moteur principal de la croissance chinoise. Si le commerce mondial se porte mal, la Chine a un problème pour trouver des moteurs de croissance. Si ça ne peut pas être les exportations, ça doit être venir de la demande intérieure. Or, les Chinois, à chaque fois qu'ils ont eu un problème de croissance, ont recouru principalement à l'investissement dans les infrastructures, financé souvent par la dette des autorités locales. Or, la dette va aussi avec la corruption. Et ça fait plusieurs années que la direction chinoise veut réduire la corruption et donc réduire la dette. L'investissement dans les infrastructures n'est donc plus le joker que la Chine utilisait auparavant.

Dans le même temps, les prix à la consommation en Chine ont aussi baissé en juillet. Y-a-t-il un problème de consommation en Chine ?

La Chine est le seul pays dans le monde qui subit une déflation, ce qui prouve bien qu'il y a un problème. Il est largement lié à la réduction du crédit et surtout à ce qui se passe dans le marché immobilier. Même si c'est plutôt une bonne nouvelle pour les consommateurs car les prix baissent, quand on regarde les ventes au détail en Chine, les chiffres sont assez bas et on ne peut pas dire que la consommation en Chine soit prête à prendre le relais de ces deux gros moteurs qu'étaient les exportations et les investissements dans les infrastructures. 

C'est un sujet qui n'est pas du tout nouveau. Depuis 2008, les dirigeants chinois disent qu'il faut rééquilibrer la croissance en faveur de la demande intérieure. On a compris que ça voulait dire construire encore plus de lignes de TGV, d'infrastructures énergétiques, mais aussi stimuler la consommation. Or, ça n'avance pas. À mon avis, la raison principale, c'est que pour consommer, il faut ne pas être obsédé par la nécessité d'épargner. Or, en Chine, les ménages épargnent parce que l'assurance maladie est très déficiente et qu’il n'y a pas véritablement d'assurance vieillesse et d’assurance chômage. S'ils se retrouvent au chômage - ce n'est pas vraiment un problème jusqu'à présent en Chine, où le taux de chômage est très faible, mais on voit qu'il augmente pour les jeunes - l'indemnisation est misérable.

Quand on n'a pas ces trois grands piliers de l'État-providence que sont l'assurance maladie, l'assurance vieillesse et l'assurance chômage, on épargne. Il y a une autre solution qui est de faire des enfants, mais les logements sont trop petits, l'éducation coûte extrêmement cher, et les Chinois n'ont pas envie de faire d'enfants même si l'Etat a levé les restrictions sur le nombre d'enfants. 

La Chine n'a pas avancé assez vite sur des réformes structurelles visant à construire un véritable Etat-providence et le résultat est que les gens ne dépensent pas suffisamment pour que la consommation intérieure soit un moteur de la croissance.

Y-a-t-il encore quelques secteurs qui marchent pour la Chine à l'export ? 

Les Chinois proposent des bons véhicules électriques relativement bon marché, et donc ces exportations explosent. À part ça, tout le reste baisse. Le pire, ce sont les smartphones, les ordinateurs, les tablettes, tous les biens électroniques achetés par le grand public. Cela vient en partie des mesures qui ont été progressivement introduites par les États-Unis et qui bénéficient clairement à la Corée et à Taïwan.

Ils ont un petit client qui est la Russie, qui est un immense pays, mais minuscule d'un point de vue économique. Exporter des biens de consommation électroniques à la Russie représentera à peu près un 20ème des exportations vers l'Europe ou les États-Unis. Ce n’est donc pas un substitut viable.

La tendance actuelle est-elle amenée à se poursuivre et à perdurer, ou est-ce une phase temporaire pour la Chine ?

Entre 2000 et 2008, le commerce mondial croissait deux fois plus vite que le PIB mondial. On était sur un rythme de croissance de 7 à 8% par an. C'était ce qu'on peut appeler la mondialisation heureuse. Après la crise financière, on est tombé à un rythme de croissance du commerce légèrement supérieur à celui du PIB mondial, ce qui était déjà un nouveau régime. Maintenant, depuis la guerre commerciale avec les États-Unis, on est plutôt dans une baisse du commerce mondial alors que le PIB mondial augmente. C'est vraiment un monde complètement nouveau.

Je ne vois pas par quel miracle le commerce mondial pourrait redémarrer, même sur les rythmes connus après la crise financière. On est dans un nouveau monde où les rivalités commerciales, géopolitiques, géostratégiques amènent à réduire l'importance du commerce mondial pour toutes les économies. Cela touche davantage les pays qui sont les grands exportateurs, comme la Chine et l'Allemagne. Vous remarquerez que l'Allemagne est dans une situation aussi difficile que la Chine. Même cause, mêmes effets.

S'il est peu probable que le commerce international redémarre, si la solution de construire des infrastructures n'est plus viable et si la Chine ne peut pas compter sur sa consommation intérieure, elle a un problème important pour l'avenir ?

Oui, absolument. La population chinoise en âge de travailler baisse depuis cinq ans environ. Et une autre chose est en train s'écrouler en Chine, c'est l'investissement en logements. C'est la conséquence d'un excès de dettes dans le secteur du logement en général, largement financé par des collectivités locales. 

Il y a deux conséquences. D'une part, le taux de croissance va probablement converger vers 3 % ; c'est encore beaucoup, alors que la population décroit, mais pas autant que les Chinois le souhaitaient. Le risque pour la Chine est d'être piégé dans ce qu'on appelle le « middle income trap », le piège du revenu moyen qu'on n'arrive pas à dépasser. L'autre conséquence, c'est que les Chinois vont devoir prendre des mesures de court terme. Je pense qu’ils vont recourir à nouveau à l'investissement en infrastructures et donc vont laisser la dette à nouveau s'accumuler. Mais aussi, je pense que ça va être un accélérateur des réformes structurels sur l'État-providence. Il faudra bien que la Chine accepte de consacrer plus de ressources publiques aux systèmes de santé, au chômage et aux retraites. 

Un ralentissement de la croissance chinoise est-il probable ?

Des rythmes de croissance de 5 %, comme les dirigeants chinois le souhaitent, peuvent peut-être être atteints à coup de relance et d'investissements en infrastructures, mais ce n'est pas du tout la tendance. La tendance va plutôt aller, au cours des années prochaines, vers un rythme de croissance, à mon avis, de l'ordre de 3%. Il n'y a pas si longtemps, c'était 7 % par an. Un très fort ralentissement est donc en train d'arriver.

Quelles conséquences cela pourrait avoir sur le commerce mondial et sur l'économie mondiale ?

Les conséquences sont importantes pour le commerce mondial parce que les exportations chinoises ont un très fort contenu en importations. Pour exporter, les Chinois importent des biens intermédiaires, semi-finis. Quand ils exportent moins, tout ça se casse la figure. D'ailleurs, les importations chinoises chutent encore plus que les exportations. C'est une très mauvaise nouvelle pour tous les pays pour lesquels la Chine est un très gros marché, en particulier les pays d'Asie du Sud-Est. Il y a un effet dominos de baisse de la croissance, de ralentissement de la croissance qui va aller de la Chine vers d'autres pays d'Asie du Sud-Est. On peut y mettre l'Allemagne aussi : les industriels allemands ont énormément développé leurs exportations vers la Chine et leur implantation en Chine même.

On a évoqué rapidement la déflation des prix en Chine. Comment s'explique ce particularisme chinois ?

Je pense que c'est lié à la faiblesse de la demande intérieure, mais aussi et surtout à l'implosion du marché immobilier qui a des conséquences sur les prix. Une grande partie de l'inflation chez nous venait des goulots d'étranglement qui sont apparus en Chine du fait de la pandémie. La Chine en a moins souffert que le reste du monde, parce que ça touchait ses secteurs exportateurs beaucoup plus que le secteur intérieur. Il y avait donc des facteurs inflationnistes qui venaient de Chine, mais qui se répercutaient chez des clients de la Chine, pas pour la Chine elle- même. Et là, dans cette situation de faible croissance, de faible demande intérieure, de contraction du marché immobilier, on arrive à une situation de déflation. Mais il ne faut pas exagérer, on est à -0,1% sur les prix. C'est une situation de stabilité des prix, celle que le Japon a connu pendant 30 ans. Il y a beaucoup de parallèles à faire d'ailleurs entre la situation chinoise d'aujourd'hui et le Japon d'après 1975, où l'excès d'endettement et la baisse de la démographie ont abouti à une situation de faible croissance et de légère déflation des prix.

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