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Covid-19 et souverainisme : Notre nation, citadelle ou cellule vivante ?
©JOEL SAGET / AFP

France post-coronavirus

Régis Passerieux revient sur les conséquences de la crise du coronavirus pour la France et sur les perspectives pour le pays, notamment l'importance de la souveraineté de la nation.

Régis Passerieux

Régis Passerieux

Régis Passerieux est professeur à l'école des hautes études internationales et politiques (HEIP). Auteur d' "Une France à réinventer" (Editions de Paris Max Chaleil, 2017)

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Face à la tourmente, du cauchemar certains veulent accoucher d’un rêve : celui d’une industrie re-administrée, d’un État tout-puissant restauré dans sa verticale géométrie. L’affaire tourne cependant plutôt à la pulsion, qui n’est jamais loin de la peur : stocks de masques que l’on s’arrache liasses de billets en mains sur les tarmacs, rapt des respirateurs, jeu des egos nationaux à qui fait mieux face à la mort, sinistres égoïsmes européens, tir à la mitraillette sur l’ambulance d’une OMS impotente, fermeture des frontières…  La sentence « La mondialisation m’a tué » risque de s’inscrire bientôt en lettres de sang sur les murs des casemates des gardes-frontières. Au fur et à mesure que le « déconfinement national » approche, et avec lui une lourde addition financière, et moult règlements de comptes dans une atmosphère frelatée, chacun ressent que le virus va peser de son « occupation ». Et l’affaire paraît quasi entendue : le souverainisme sortira vainqueur de cette débâcle. 

Oui, mais quel souverainisme ? Pour beaucoup, il s’agit d’extirper des placards une vision quasi archéologique de cet espoir de nation dont nous avons tant besoin. Ils imaginent que la crise pandémique va déchirer le voile posé de vieux meubles injustement remisés. Tout cela puise dans une vision erronée de la mondialisation. Il y a eu deux mondialisations. La première mondialisation, de 1860 à 1914, a été l’âge d’acier, celle de la confrontation des nations cuirassées. S’agirait-il d’y revenir, quand on en connaît la sinistre issue ? La seconde mondialisation, de 1971 à 2020, aura été celle des transnationales et de la finance ; la revanche des acteurs privés contre des États devenus impuissants. Elle était l’inverse de la première.  En tout cas jusqu’à ce que la Chine se sente assez forte pour sortir des bois, et que l’Amérique populaire, inquiète, ne commence dès lors à vouloir se ressaisir en son empire. Elle vient donc de se terminer.  Il n’y a finalement plus que la naïve Europe pour y croire encore. Mais faudrait-il quitter les affres de la seconde pour retrouver celles de la première ?  

Le virus solde la période, décapant comme l’acide. La bataille ne fait que commencer : elle sera longue. Cette épidémie lancinante va révéler tout autant les fragilités de nos sociétés, meurtries et déphasées par la « glocalisation », que l’instabilité des tours de Babel économiques et financières qui les écrasent de leur poids. Ces dernières ne sont plus que des constructions d’allumettes prêtes à s’enflammer. Elles brûlent déjà. Et qui, quoi, va leur succéder ?

Le retour vers le futur d’une nation selon le modèle industriel de l’âge d’acier, mélange de Metropolis de Fritz Lang et des roues qui tournent et des cheminées qui fument des vieux films d’Eisenstein, ne fait pas sens. Ce modèle mécaniste est révolu, et nous ramènerait aux vieilles catastrophes. Le mythe de la « nation citadelle », avec ses remparts, ses douves, sous le donjon d’un État figé, dominant la piétaille de citoyens soldats passifs et soumis, est hors d’âge. Rigide, figée, défensive, elle se brisera au premier assaut, et sera prise et dévastée par les tourments à venir. Qui d’ailleurs la défendra ? Nous mourrions enfermés, protégés de rien, enfouis-en nous-mêmes, apeurés, stupéfaits et vaincus.

C’est d’une vision fluide, biologique, vivante de la nation que notre futur doit hériter. Dans cette métaphore et cette approche, c’est la vitalité du tissu social, la puissance reliée des consciences solidaires, qui nous rendra forts et souverains. La densité des relations au sein de nos bassins de vie, de nos régions, de nos entreprises, de nos associations, leurs liens, fera seule la fermeté de chair de la communauté nationale, et sa capacité de résistance. Dans cette nation-là, l’État ne sera pas au-dessus mais réparti, « rizhomique », mithocondrique centrale énergétique d’une société tramée, résiliente, consistante ; un État « au service », respectueux de l’ADN de notre imaginaire et de notre histoire. 

La force d’une nation n’est plus verticale. Ce n’est pas un château fort habité par un seigneur, mais une cellule vivante, souveraine en elle-même, dans toutes ses composantes et par ses composantes.  Cette crise a montré que les pays les plus décentralisées, où les sociétés étaient les plus innervées, et les briques bureaucratiques les moins pesantes, s’en sont le mieux sortis. Rien ne serait pire que de retomber dans la passion de la symétrie et du chiffre, de la quantité et du nombre, même pour les lits d’hôpitaux. Ce n’est pas de forteresses hospitalières dont nous avons besoin, mais d’un système de santé relié, souple, inclus dans la société où l’on communique, se respecte et s’écoute. Et c’est vrai pour tant de choses.

Cette « nation cellule vivante » ne peut être ouverte à tous les vents, sans être protégée, équilibrée, dans son énergie et son être propre. Elle doit être balisée, définie. Non par un rempart qui cédera, mais par une membrane souple, élastique et ferme, qui ne rompra pas, consolidée par la densité de la matière sociale accumulée dans cette cellule, la force nouée de ses liens ; de l’extérieur, elle filtrera avec intelligence, pour protéger les tissus, sans les fermer aux nourritures dont ils ont besoin, et à leur apport d’oxygène ; et elle résistera alors sagacement à tous les virus, quel qu’en fusse la nature. Dans ce projet national, chacun de nous sera porteur, émetteur relié à l’autre, de notre souveraineté. La nation sera souveraine parce que chacun sera souverain en sa conscience. Vive le souverainisme ! 

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