Congrès du PPE : la droite européenne dans tous ses états<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président du groupe du Parti populaire européen (PPE) Manfred Weber à Bruxelles, le 21 février 2024.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président du groupe du Parti populaire européen (PPE) Manfred Weber à Bruxelles, le 21 février 2024.
©Kenzo TRIBOUILLARD / AFP

Avenir de l'Europe

Le congrès du Parti Populaire Européen s’est ouvert depuis mercredi en Roumanie. Le PPE élabore la stratégie pour les élections au Parlement européen et va désigner le principal candidat à la tête de la Commission européenne.

Pierre Clairé

Pierre Clairé

Pierre Clairé est analyste du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques diplômé du Collège d’Europe

Voir la bio »
Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

Voir la bio »

Atlantico : Quels sont les principaux enseignements du Congrès de deux jours du PPE qui s’est ouvert ce mercredi ? Quels sont les premiers faits marquants ? Qu’est-ce que cela traduit sur l’avenir de la droite européenne ?

Pierre Clairé : Même si le Congrès n'est pas terminé, nous pouvons déjà dresser un bilan positif de ces deux jours roumains. Tout d'abord le manifeste du parti en vue des élections européennes de juin a été adopté facilement, les questions qui fâchent n'ayant pas été abordées. Ensuite, Ursula von der Leyen devrait être choisie ce jeudi comme spitzenkandidat, ou tête de liste du centre droit en vue des élections européennes de juin, sans aucune difficulté sachant qu'elle ne disposait d'aucune forme de concurrence et faisait déjà l'unanimité. En plus des postes de président de la Commission et de président du Parlement, les discussions ont aussi porté sur l'identité du Haut Représentant aux affaires étrangères et à la sécurité, sans aboutir réellement.

Ces deux jours de Congrès ont plutôt été l'occasion de resserrer les rangs au sein du PPE, et ainsi d'offrir une photo de famille de belle facture. En d'autres termes, nous avons eu le droit à un incubateur des idées du premier parti au parlement européen, un parti qui reste en tête des sondages et qui ne devrait pas avoir besoin de faire campagne de manière intensive. La montée de l'extrême droite faisait craindre le pire quant à l'unité des membres du Parti Populaire Européen, mais il n'en fut rien. On craignait pour l'avenir de VDL (surnom d'Ursula Von Der Leyen à Bruxelles) alors que ses prises de décisions sont vues comme trop verticales et alors que sa politique environnementale est décriée par certains partis nationaux. Mais ce premier test pour cette dernière s'est bien passé et elle a une autoroute devant elle en vue d'une reconduction pour 5 années supplémentaires.

On ne peut pas dire grand chose de l'avenir des droites européennes après ce Congrès, mais en tous cas le centre droit (PPE) apparaît comme uni derrière sa candidate, ce qui n'était pas le cas il y a quelques mois (on se souvient de la loi sur la préservation de la nature, que le chef du PPE, Manfred Weber, avait dans sa ligne de mire et voulait faire capoter, ce qui explique son alliance de circonstance avec des partis plus à droite). La possible alliance avec des partis plus à droite ne fut pas abordée, même s'il semble qu'en adoubant VDL, les partis de centre droit ont implicitement fait un pas vers le renouvellement de l'alliance traditionnelle centre-droit/libéraux/centre-gauche.

A l’occasion du Congrès du PPE, où va la droite européenne en termes de ligne politique et sur les objectifs de politique européenne ?

Pierre Clairé : 3 axes principaux ressortent du manifeste voté ce mercredi, et qui servira de base à la campagne de Ursula von der Leyen et tiendra lieu de feuille de route en vue de son nouveau mandat: Immigration, Environnement et Défense.

Sur l'immigration, la question de l'envoi des immigrés à des pays tiers, sur le modèle de ce qui est fait par le Royaume-Uni, a été abordée. Le PPE veut renforcer la "forteresse" Europe en externalisant les demandes d'asile vers des pays tiers, s'inspirant du "modèle rwandais" britannique. Ils proposent également de renforcer Frontex, l'agence européenne des frontières, et de conclure des accords avec les pays d'origine et de transit pour réduire les flux migratoires. Cette tendance a été dictée par la montée de l'extrême droite, qui a érigé l'immigration en thème de campagne, ce qui appelait à une réponse forte du PPE pour éviter d'être dépassé sur un sujet d'intérêt des électeurs.

Malgré des critiques antérieures, le PPE s'engage à soutenir la "prochaine phase" du Green Deal européen. Ils veulent prioriser les technologies "fabriquées en Europe" pour stimuler la compétitivité et proposent d'offrir  un soutien financier aux agriculteurs, pêcheurs et PME pour s'adapter à la transition climatique. Cependant, des frictions sont possibles, notamment sur des politiques environnementales clés. La question de la fin des moteurs thermiques, point de friction avec la CDU/CSU allemande (parti de VDL et de Weber) a été passée sous silence. 

Alors que la question de la défense est très présente dans le débat actuellement, notamment avec la Guerre en Ukraine et l'incapacité pour les pays européens de produire et fournir en masse Kiev, le thème a été qualifié comme très important. Le PPE met l'accent sur la défense, appelant à des mesures supplémentaires telles qu'un commissaire européen dédié à la sécurité et à la défense, la priorité aux achats européens d'équipements militaires, et des restrictions aux exportations d'armes. Ils soutiennent également la création d'un fonds européen dédié à la défense dans le budget pluriannuel de l'Union, visant à terme un "marché unique de la défense". La possibilité d’un emprunt collectif pour soutenir l’industrie de défense et permettre la fourniture à l’Ukraine, sur le modèle de ce qui à été fait durant la crise du coronavirus, a été éludée pour ne pas froisser, notamment les membres du Nord de l’Europe.

Christophe Bouillaud : La majorité pro-européenne au sein du Parlement européen se réduit mais elle n'est pas en voie de disparition. Selon tous les sondages pré-électoraux, il y aura encore une majorité pro-européenne au lendemain de l'élection du 6 au 9 juin 2024. La droite européenne reste fidèle à elle-même. Elle reste partisane du libre marché, de la concurrence internationale et de l'ouverture de l'Europe aux grands vents de la mondialisation. Elle reste très néo-libérale à ce niveau. 

Dans la plupart des pays en Europe de l'Ouest, les droites traditionnelles essayent de séduire l'électorat d'extrême droite sur la thématique de l'immigration en promettant les mêmes mesures que l'extrême droite mais de le faire dans l'ordre et la discipline. Cette stratégie a été partout un échec sur le plan électoral pour la droite traditionnelle. L’exemple cuisant concerne la situation aux Pays-Bas. Mark Rutte, qui représente le parti libéral local a pris une position très anti-immigration mais cela n'a pas empêché le succès du parti de Geert Wilders, qui est situé plus à sa droite sur ce sujet. La même situation s’est produite en Suède. 

En Allemagne, la situation est plus contrastée. La CDU - CSU est sur une ligne très néolibérale, très pro-marché mais il y a une rupture complète avec la Russie notamment vis-à-vis de l’AfD, le parti d’opposition d’extrême droite. Au sein des pays européens, lorsque l'extrême droite est pro-russe, la droite traditionnelle est généralement atlantiste.

Au regard du congrès du PPE, quelles sont les orientations et les différences entre les libéraux et les conservateurs au sein de cette droite européenne ? 

Christophe Bouillaud : En fait, il y a deux familles. Traditionnellement, il y a les purs libéraux qui sont regroupés d'ailleurs dans le parti l'Alliance des libéraux et démocrates pour l'Europe. Ils sont favorables aux libertés économiques et pour l'ouverture des marchés à la fois à l'intérieur et à l'extérieur.

Il y a aussi la famille conservatrice qui concerne l’Europe continentale et qui regroupe les héritiers des chrétiens démocrates. Ils sont aussi néo libéraux en économie mais ils insistent beaucoup plus sur les valeurs traditionnelles. 

Les conservateurs libéraux sont regroupés dans la grande famille du Parti Populaire Européen. Le PPE est d'origine démocrate chrétienne. Le mot populaire désigne cette origine démocrate chrétienne. Mais aujourd'hui, les partis d'origine démocrate chrétienne sont moins importants et ces formations politiques sont beaucoup moins attentives à la défense des valeurs traditionnelles ou de l'Eglise ou de la religion.

En Pologne, le parti de l'actuel Premier ministre, Donald Tusk, est typiquement un parti du PPE qui est libéral, conservateur et à sa droite, le parti sortant Droit et Justice est un parti. qui était plutôt social, catholique et conservateur, voilà, euh. 

Les partis libéraux et libéraux conservateurs sur le plan de l'immigration sont en train de céder aux partis d'extrême droite.

En France, Les Républicains reste un parti très néolibéral en économie mais LR est de plus en plus aligné sur les positions de l'extrême droite en matière d'immigration. Eric Ciotti affirme que la droite est beaucoup plus compétente que l'extrême droite. Cet argument est assez léger. En France, le clivage essentiel et central sur l'immigration est très visible. Les Républicains ont donc copié la stratégie du RN sur l’immigration.

Dans d’autres pays européens, le clivage concerne la Russie. L'AfD est contre l'immigration, mais est surtout neutraliste dans le cadre du conflit en Ukraine. 

Quelle est l’attitude au cœur du PPE sur le plan de l’union des droites ?

Pierre Clairé : Cette question est très problématique et n'a pas été abordée lors du Congrès de Bucarest, principalement pour ne pas fâcher. Pour autant, pour certains partis nationaux, cette question n'est plus taboue…

Manfred Weber, le chef du PPE, a souvent été critiqué par la gauche et les libéraux pour ses tentatives de rapprochement (il a rencontré Giorgia Meloni à de nombreuses reprises, et a voté contre VDL et la gauche pour la loi de conservation de la nature). Pourtant il a répété qu'il ne pouvait pas s'allier avec des gens anti Union Européenne, anti soutien à l'Ukraine et qui menacent l'état de droit. Mais certains dans le parti, surtout de l'aile droite, pourraient être tenté de briser le cordon sanitaire qui a tenu l'extrême droite éloignée du pouvoir jusqu'à maintenant (même si aucun accord officiel ne pourrait exister, comme ce fut le cas dans le cadre à l'opposition à la loi de préservation de la nature). Ainsi, certains pourraient être tentés de répondre aux appels de l'extrême droite qui se veut constructive et non destructrice, à la différence des précédentes législatures. 

Les partis les plus souvent cités comme repoussoirs sont l'AfD allemande (groupe ID), le PiS polonais (CRE), le VVD néerlandais (ID) et le Rassemblement National (ID). Mais dans ces cas précis, tous ne sont pas sur la même longueur d'onde. Les italiens de Forza Italia ne sont pas opposés à une alliance qu'ils connaissent à la maison, mais la plateforme civique du Polonais Donald Tusk y est catégoriquement opposé par exemple, pareil pour la CDU/CSU allemande, le premier contingent PPE au Parlement européen, qui ne veut pas entendre parler de l'AfD.

Une autre question reste celle de l’adhésion au sein du PPE de certains partis conservateurs. C’est le cas des Italiens de Forza Italia, qui verraient d’un bon œil l’arrivée des députés de Giorgia Meloni du parti Fratelli d’Italia, ce qui renforcerait le poids italien au sein du PPE. Cette idée, qui ne date pas d’hier, déplaît à certains qui se sentent inconfortables devant certaines idées des conservateurs. Manfred Weber a déclaré une coopération possible si certaines règles (pro-Ukraine, pro UE, pro OTAN) sont respectées, ouvrant ainsi la boîte de Pandore. Mais d’autres freinent des deux pieds.

En définitive, on reste sur un non global à un accord de coalition, mais certains sont d'accord pour des partenariats de circonstance, au cas par cas. Un agrandissement de la famille de centre-droite reste difficilement envisageable par ailleurs.

Christophe Bouillaud : Dans certains pays, l’union des droites a déjà été réalisé, notamment en Suède par exemple. Il y a des membres de la famille du PPE qui sont dans des coalitions gouvernementales avec des partis très à droite en Suède Sans qu’ils se soient fait exclure du PPE à l’échelle européenne. 

C’est la même chose en Italie où le parti qui est lié au PPE est Forza Italia, l’ancien parti de Silvio Berlusconi. Ils sont alliés avec les Frères d'Italie, le parti de la Première ministre actuelle et avec la Ligue de Matteo Salvini, qui sont deux partis classés à l'extrême droite. 

Le fait de collaborer avec des partis d'extrême droite au niveau gouvernemental ne pose pas problème à l'échelle européenne.

Eric Ciotti a annoncé que Les Républicains voteront contre Ursula von der Leyen à l’issue du Congrès de Bucarest, tout en affirmant vouloir se maintenir dans le groupe politique européen et en espérant un autre candidat « de dernière minute ». Où va la droite européenne électoralement parlant au regard des enjeux de l’élection européenne ?

Pierre Clairé : Il faut souligner que les Républicains sont marginaux au sein du parti, avec seulement 8 députés (et les derniers sondages ne laissent pas penser à une augmentation), et qu'ils n'ont pas de réels moyens de pression. Les LR sont les seuls députés ayant fait entendre leurs critiques, ce qui montre un certain consensus pour soutenir VDL. Et encore, au vu de leur poids limité, ils ont dû s'adoucir pour ne pas faire trop de bruit. J'ai l'impression que nous avons plus parlé de cette affaire en France que dans d'autres pays, à raison. En effet, les causes de cette simili révolte sont nationales, et Ciotti n'a pas supporté que VDL se rende à la rentrée politique de Renaissance, le parti d’Emmanuel Macron. En adoubant Ursula Von Der Leyen sans broncher, il aurait  montré de la faiblesse et surtout de l’incohérence alors qu’il refuse de pactiser avec Emmanuel Macron… 

On ne peut pas généraliser cela, car cette révolte est marginale, alors que le centre droit européen a montré son unité à Bucarest Ciotti est rentré dans le rang, faute de soutiens étrangers.

Les sondages indiquent la probable première place du PPE lors des élections de juin, ce qui rend le centre-droit européen euphorique et facilite l'entente. Pourtant la rébellion avortée des Républicains pourrait mettre à mal cette entente, car malgré ce qu’on nous montre, des dissensions existent et l’avenir n’est pas dégagé. Le PPE ne sait pas de quoi sera fait l’après élection de juin, sachant qu’une montée de la droite extrême est acquise et qu’ils vont se retrouver avec près de 200 députés à leur droite. Les équilibres et rapports de force devraient être modifiés à Bruxelles, mais pour le moment le PPE se repose sur sa place de première force politique du Parlement, qui devrait être confirmée en juin.

Pierre Clairé, Directeur adjoint des Études et spécialiste des questions internationales et européennes au sein du think tank Le Millénaire.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !