Comment Vladimir Poutine nourrit les droites extrêmes et radicales en Europe <!-- --> | Atlantico.fr
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Une des figures de proue du Parti de la liberté autrichien est le russophone Johann Gudenus, qui rencontre fréquemment des hommes politiques russes et biélorusses de haut rang afin d’établir de meilleures relations avec le Kremlin.
Une des figures de proue du Parti de la liberté autrichien est le russophone Johann Gudenus, qui rencontre fréquemment des hommes politiques russes et biélorusses de haut rang afin d’établir de meilleures relations avec le Kremlin.
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THE DAILY BEAST

Le Kremlin, qui ne tolère aucun séparatisme au sein de la fédération de Russie, l’encourage partout ailleurs en Europe.

Anna Nemtsova

Anna Nemtsova

Anna Nemtsova est reporter pour The Daily Beast. Elle est basée à Moscou.

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Copyright The Daily Beast -  Anna Nemtsova. 

Vienne - Victor Orban, le leader de la droite hongroise, a proposé à son peuple une formule simple : venez voter au référendum contre les migrants et les demandeurs d’asile et vous serez en sécurité contre le terrorisme dans votre pays. Le Premier ministre Orban a également précisé que si le peuple n’allait pas voter au référendum sur les migrants, la Hongrie aurait gaspillé plus 36 millions de dollars,  la somme utilisée pour organiser le vote afin de rejeter le quota de 1228 réfugiés imposé par l’Union Européenne. C’est le prix pour arrêter le terrorisme, d’après Orban. (D’après ses opposants, c’est plutôt une dépense de 30 000 dollars par Hongrois pour un objectif anti-humanitaire).

Comme c’est souvent le cas en Europe en ce moment, les résultats étaient troublants et inquiétants. Orban avait comparé l’immigration à un ''poison''. la Hongrie ''ferait un doigt d'honneur à l’Europe'' avait-il dit, en promettant de changer la constitution hongroise de sorte que l’Union Européenne ne puisse rien imposer au pays sans l’aval du parlement.

Souvenez-vous, c’est le même pays qui – il y a douze ans à peine – célébrait son entrée dans l’Union Européenne. Maintenant, il veut tout restructurer. Au final, les électeurs ne sont pas allés voter en masse pour soutenir Orban. Seulement 43,3%,  3,58 millions d'électeurs, ont participé au référendum, ce qui veut dire que le scrutin n’est pas valide. Mais 98% de ceux qui ont voté ont dit ''non'' à l’accueil de nouveaux migrants. Comme nous le savons, la Hongrie n’est pas le seul pays où des leaders d’extrême-droite – qui sont inspirés par la xénophobie et aspirent à l'installer – miitent pour plus d’autonomie au sein de l’Europe.

Dans l’Autriche voisine, près de 52% de l’électorat soutient le Parti de la Liberté, d’extrême-droite. Ici, dans ce pays à l'architecture gracieuse, aux beaux paysages et à la meilleure musique classique au monde, le nationalisme d’extrême-droite ne cesse d’augmenter.

Récemment, à Vienne, les leaders européens se sont rencontrés pour parler du destin de centaines de milliers de réfugiés. L’Allemagne en a assez de son rôle de héros humanitaire qui gère seul la plus grande crise migratoire en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle a fait son devoir en ouvrant la porte à plus de deux millions de personnes mais maintenant "d’autres pays européens devront aussi participer", la chancelière allemande Angela Merkel a prévenu les chefs d’Etats et de gouvernements lors du sommet européen. Angela Merkel, dont le parti a subi des pertes lourdes lors des dernières élections régionales, semblait accuser le coup après les critiques envers sa politique généreuse pour les migrants. Elle a proposé que l’Europe négocie avec les pays en voie de développement comme l’Afrique, le Pakistan et l’Afghanistan, pour renvoyer les migrants non réfugiés chez eux. Aucun de ses collègues européens n’était enclin à prendre le relai. Les principaux décideurs européens se sont plaint que les économies de leurs pays étaient en mauvais état et que la crise des migrants inclinait leurs peuples à penser à leurs biens privées et aux identités nationales. Les politiques se sont mis d’accord que le moment était bon pour fermer la route ouest en direction des Balkans ''pour de bon''. Le Président du Conseil Européen, Donald Tusk et les participants du sommet ont cherché à se défausser et le hongrois Orban a critiqué la Grèce pour ne pas avoir réussi à protéger sa frontière des migrants.

Un éléphant invisible dansait triomphalement durant ce sommet à Vienne : l'extrême-droite... Les jeunes journalistes, éditeurs et entrepreneurs autrichiens ont peur pour le futur de leur démocratie. Indiana Leibovici, un éditeur, dit qu’il n’a plus confiance dans les informations de la télévision : "La télévision est encore remplie de propagande et de manipulations politiciennes. Je ne regarde plus les télévisions nationales. Je ne regarde pas Russia Today (la chaine d'informations russe très pro Kremlin, ndr) non plus" a-t-il ajouté. "Ma plus grande crainte c’est la montée de l’extrême-droite d’inspiration nazie". Les anti-réfugiés sont regroupés dans une union solide qui comprend des politiciens autrichiens, hongrois, italiens, roumains et français. Certains d’entre eux se revendiquent d'héritages fascistes voire nazis. Et c’est Moscou qui les encourage tous depuis le début.

"Plus les politiciens français, italiens, hongrois ou d’autres pays européens, vont vers l’extrême-droite et plus il y a de chances qu’un jour ou l’autre ils parlent en faveur des intérêts du Kremlin'' dit Anton Shekhovtsov, chercheur à l’Institut des Sciences Humaines à Vienne. Norbet Hofer, le candidat du Parti de la liberté autrichien, a de très bonnes chances de devenir le prochain président de l’Autriche lorsque les élections auront finalement lieu le 2 décembre prochain.

Au sommet de la crise migratoire, 10 000 réfugiés entraient en Autriche chaque jour. Les politiciens d’extrême-droite ont rapidement perçu l’opportunité qui se présentait. Tout comme Donald Trump et son mur, ou Orban et sa frontière au sud de la Hongrie protégée par des hommes en armes et des barbelées, ils ont eux aussi promis de réprimer l’immigration.

Comme l’a dit au Daily Beast Alexandre Warzilek, le président de l’Association autrichienne de la presse, le Parti de la liberté "a mis l’immigration au centre des débats depuis des décennies et maintenant les Autrichiens ont peur". Il plane l' impression générale que les millions de musulmans qui fuient les guerres en Syrie, Irak et Afghanistan vont ramener avec eux la violence comme une infection. La preuve en a été trouvée avec quelques djihadistes qui se trouvaient parmi eux et que l’extrême-droite a exploité de façon démagogique."Nous sommes plus en danger que ce qu’on pense" dit Antal Rogan, membre du gouvernement hongrois. Si l’Union Européenne arrive à ses fins, dit-il, il y aura des immigrés dans chaque ville et chaque village de Hongrie.

La Russie joue un rôle peu constructif dans tout ça. Une des figures de proue du Parti de la liberté est le russophone Johann Gudenus, qui rencontre fréquemment des hommes politiques russes et biélorusses de haut rang afin d’établir de meilleures relations avec le Kremlin.

Lors d’une conférence de presse en janvier, il a chanté les louanges du président russe Vladimir Poutine car celui-ci agissait dans l’intérêt du peuple russe et appelait les leaders européens à agir comme le fait Poutine. Ils devraient "agir selon les attentes de leurs peuples et non pas dans l’intérêt des américains ou de l’OTAN" a dit Gudenus. Il a reproché aux Etats-Unis de "dicter" à l’Europe la mise en place de sanctions économiques envers la Russie après l'annexion de la Crimée. "Si d’un côté l’Union Européenne met en place des sanctions contre la Russie - un pays pourtant européen – et de l’autre côté elle négocie l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne, alors elle prend une route dangereuse" dit Gudenus. Le père de Gudenus, John Gudenus, a eu sa petite notoriété en 1995 quand il a nié l’existence des chambres à gaz nazis durant l’Holocauste. 10 ans plus tard, un peu comme un Jean-Marie Le Pen en France, il continue à jouer avec cette rhétorique sinistre. Quand on lui a demandé si les chambres à gaz ont réellement existé durant le Troisième Reich, il a répondu "Je pense qu’on devrait débattre de ce sujet avec sérieux, et ne pas être forcé de répondre 'oui' ou 'non'".

En juin 2014, alors que pas un seul membre de l’ONU n’a soutenu l’annexion de la Crimée par la Russie, le jeune Gudenus était invité à Moscou par le président de la Douma (le parlement russe) Serguei Naryshkin. Là-bas, Gudenus a accusé l’Union Européenne, cet "otage de l’OTAN" d’être responsable de la crise en Ukraine et a félicité le Kremlin pour sa politique. Orban, le leader hongrois, approuve également "la démocratie illibérale" de Poutine. "La Russie n’est pas un ennemie de la Hongrie. C’est notre partenaire" a déclaré Orban un peu plus tôt cette année, se mettant ainsi aux côtés de Poutine et promettant que bientôt l’Union Européenne annulera les sanctions économiques contre la Russie.

C'est assez ironique. Alors même que les leaders d’extrême-droite en Hongrie, Italie, France, Pays-Bas Autriche et même en Allemagne poussent en faveur des frontière et veulent abandonner le rêve d’une Europe unie en faveur de vieux nationalismes, et alors même que Moscou chasse les séparatistes au sein de la fédération russe, le Kremlin, lui, encourage les mouvements qui peuvent fracturer les vieux états-nations de l’Europe de l’ouest.

La Russie a accueilli à Moscou les républiques non reconnues officiellement, y compris les séparatistes catalans, ceux de l’Irlande du Nord et même des Etats-Unis, avec la Californie et le Texas. Pourquoi le Kremlin a-t-il choisi de s’allier avec l’extrême-droite et les séparatistes ? "Le Kremlin a besoin d’une autre carte, en plus de celle du gaz de Gazprom, pour faire face à l’Occident et dire voici qui nous avons comme amis et alliés" dit Alexander Verkhovsky, le dirigeant du Centre d’information et d’analyse Sova, basé à Moscou.

Une majorité de la population russe ne soutient pas sa propre extrême-droite, dont le parti Rodina et le Parti Libéral Démocrate de Russie. Quant aux mouvements ultra-nationalistes, ils étaient populaires il y a 4 ou 5 ans. Certains meneurs se sont fait arrêter, d’autres ont fui vers l’Ukraine. Le Kremlin a interdit Mein Kampf d’Hitler (pourtant récemment publié de nouveau en Allemagne), mais il prend soin de soutenir la droite extrême en Europe de l’ouest et aux Etats-Unis pour créer des "mécanismes alternatifs" qui lui permettent d’étendre son influence, analyse Shekhovtsov. La situation en est arrivée à un tel point que l'on entend, de la part des libéraux européens un étonnant discours optimiste basé sur du pessimisme : l’extrême-droite gagnera, mais elle échouera. "Une fois le parti d’extrême-droite au pouvoir, les gens vont rapidement réaliser qu’ils ne sont pas capables de changer les choses en mieux, simplement en faisant des discours qui flattent les peurs des gens" a déclaré Michael Plankensteiner, un entrepreneur autrichien, au Daily Beast. En Autriche, au minimum, ce raisonnement pourrait être mis à l'épreuve très prochainement.

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