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les politologues Gaël Brustier et David Djaïz formulent 10 propositions pour donner à la gauche les moyens de reprendre l'offensive culturelle face à la domination idéologique de la droite.
les politologues Gaël Brustier et David Djaïz formulent 10 propositions pour donner à la gauche les moyens de reprendre l'offensive culturelle face à la domination idéologique de la droite.
©Flikcr

Mouvement dextrogyre

Dans une note de la fondation Jean-Jaurès intitulée "Les outils du combat culturel", les politologues Gaël Brustier et David Djaïz formulent 10 propositions pour donner à la gauche et à son principal parti, le Parti socialiste, les moyens de reprendre l'offensive culturelle face à la domination idéologique supposée de la droite.

Atlantico : Dans une note de la fondation Jean-Jaurès (voir ici), vous expliquez que le centre de gravité du pays s'est aujourd'hui déporté à droite. Pourtant politiquement, la gauche est majoritaire partout et elle est également dominante dans les médias. Comment expliquez-vous ce paradoxe ? Peut-on vraiment affirmer comme vous le faites que la droite a gagné "le combat culturel" ?

Gaël Brustier : Vous avez raison de souligner qu’il y a un paradoxe français. La « social-démocratie », le Parti Socialiste et ses alliés, sont majoritaires à la fois dans les collectivités locales et sur un plan national. Vous auriez raison de souligner qu’entre 2007 et 2012, les positions de la droite parlementaire (qu’on n’ose plus dire « républicaine ») se sont effritées un peu partout. Mais, il est une autre réalité qui se fait jour, ce sont les idées de droites qui gagnent dans les têtes quand la gauche gagne dans les urnes.

Ce qui domine c’est une idéologie que porte la droite et qui lui permet, sur le temps long, de fixer son agenda.

David Djaïz : Tout dépend de ce qu’on entend par « domination ». Si la domination consiste simplement à remporter les élections et détenir provisoirement les leviers du pouvoir, comme le voudrait une lecture « institutionnelle » et un peu superficielle de la domination, alors oui la gauche est dominante. Mais dans notre travail nous essayons d’aller derrière  l’« écorce institutionnelle ». C’est pourquoi nous défendons l’idée que, malgré une provisoire domination électorale, la gauche est en train de perdre la bataille culturelle et idéologique qui se joue sur le temps long. Les droites sont en mouvement vers l’hégémonie. Pas plus tard que cette année, le mouvement social de la « Manif pour tous » leur a donné un véritable momentum.

Vous évoquez également de nouveaux clivages territoriaux, sociaux et idéologiques. Quels sont-ils ?

Gaël Brustier : Il faut procéder à une analyse des nouveaux clivages idéologiques. Ils sont liés à l’évolution de notre système économique, plongé dans la globalisation, de notre système politique, qui mute sous l’effet de l’accroissement des interdépendances entre États et de la mondialisation (et dont l’un des produits est le processus d’intégration européenne). Notre urbanisme, l’aménagement de notre territoire ont changé et, en changeant, ils ont contribué à modifier les représentations du monde de nos concitoyens. On parle beaucoup – souvent à tort et à travers – du phénomène périurbain qui est une des données du problème. On peut aussi parler du foisonnement que représente la mondialisation. A bien des égards, nos pays qui sont d’anciennes puissances coloniales n’ont pas assez pensé la situation nouvelle dans laquelle nous nous trouvons depuis trente ou quarante ans, d’où une part du malaise et une source de paniques morales pour le pays…

Selon nous, il existe une « idéologie de la crise ». Ce qui est remarquable, ces derniers jours, c’est que François Fillon est presque parvenu à l’incarner parfaitement. Il invoque sans cesse le « déclin ». C’est, chez lui, devenu une espèce d’obsession, qui explique pourquoi, ensuite, dans l’affolement, il tente un rapprochement avec le FN, sous couvert « d’union nationale » et de « redressement national » (sic)… Cette peur du « déclin » civilisationnel le pousse à conspuer le système français et à exiger une « thérapie de choc ». Fillon ne nous parle pas de données quantifiables – la désindustrialisation ou le déclassement – qui ne lui seraient guère favorables, non, il nous parle de « déclin »…

David Djaïz : La « lutte des classes » n’a pas disparu mais elle a profondément muté. Elle ne passe plus par une simple opposition socio-économique comme autrefois mais, sous l’effet de la mondialisation et de la multiplication des interdépendances, par ce qu’il faut bien appeler une « fracture » qui est tout à la fois économique, sociale et territoriale. Il y a d’un côté les hypercentres, ces pôles de création de richesse, à forte densité humaine, intellectuelle et morale, et en contrepoint les périphéries, ces territoires toujours plus délaissés, désindustrialisés, mal desservis, où les services publics se raréfient. Les hypercentres sont de plus en plus prospères (le « Grand Paris », qui ne représente que 15% de la population nationale produit pourtant presque 30% de sa richesse) quand les périphéries, elles, s’enfoncent dans la crise et dans l’oubli. Le vrai problème, c’est que la gauche n’a pas été capable d’adapter son logiciel à ces changements, qui constituent pourtant notre quotidien depuis trois décennies !

Le résultat est qu’elle s’enferme souvent dans des batailles artificielles entre les « Anciens », partisans d’une lutte des classes inadaptée aux nouveaux clivages, et les « Modernes », tout aussi myopes, qui défendent un modèle « social-démocrate » qui, en plus de n’avoir presque jamais existé en France, à cause de la faiblesse de l’encadrement syndical, n’a eu que peu d’effet pour empêcher le creusement de cette « fracture territoriale ». La gauche sera idéologiquement reconstruite quand elle aura dépassé ces deux archaïsmes. Nous sommes en 2013, il faut arrêter de rejouer les oppositions entre « socialisme de 1981 » et « socialisme de 1983 ».

Comment la gauche peut-elle reprendre l'offensive culturelle ?

David Djaïz : Il y a deux terrains à réoccuper. D’une part le terrain, horresco referens, de l’idéologie. La gauche réformiste a besoin d’une nouvelle plateforme idéologique et intellectuelle. Cela suppose que les politiques, élus et militants, se nourrissent de certaines productions intellectuelles qui peuvent constituer l’ossature d’une social-démocratie du XXIe siècle. Les travaux d’un Philip Pettit, sur le nouveau pacte républicain, ou d’un Thomas Piketty, dont le dernier livre est remarquable, constituent deux exemples de cette vitalité de la production contemporaine. Le travail des politiques, c’est de s’emparer de ces travaux pour élaborer une nouvelle plateforme, mais aussi de traduire cette production nécessairement « abstraite » et un peu aride en un récit « concret » accessible à tous : nous en venons au second terrain, celui de la « propagande », ou pour utiliser un terme moins controversé, de la pédagogie. Idéologie et pédagogie : voilà les deux terrains que la gauche doit réinvestir. Dans la note, nous nous sommes concentrés sur les « outils » du combat culturel, c’est-à-dire sur la pédagogie. Comment véhiculer à nouveau un imaginaire de gauche, sur le terrain, au plus près des citoyens ? Si nous arrivons à rénover les structures, le temps de la refondation idéologique viendra aussi.

Gaël Brustier : Il faut lier d’une part la question économique et sociale qui doit renouer avec la question de l’émancipation et d’autre part la question des représentations, de l’idée que l’on se fait du monde. Le combat culturel c’est un tout. Nous assistons au retour de Gramsci. Aux Etats-Unis, un auteur comme Michael Bérubé permet de rompre avec la « gauche manichéenne », celle qui, d’ailleurs, se manifeste aujourd’hui en France en voulant fracturer la gauche…

Quelle doit être sa stratégie ? De quels outils dispose-t-elle pour cela  ? 

David Djaïz : Dans cette note, nous ne proposons pas autre chose que l’acte II de la rénovation du parti. Les primaires citoyennes de la gauche ont été le premier temps de cette rénovation : elles ont permis d’ouvrir les portes et les fenêtres du PS et ont amené vers lui 3 millions de citoyens. C’était inédit, et cela a donné un souffle nouveau au parti. Mais les primaires n’ont lieu qu’une fois tous les cinq ans. Pour que la dynamique des primaires ne retombe pas, nous proposons aux élus et aux militants de rénover le parti lui-même. Nous nous fixons trois objectifs : redonner du sens et du souffle au militantisme, redessiner la « géométrie militante », aller vers le parti de masse « nouvelle génération ».

Gaël Brustier : Et pour mettre en œuvre ces trois objectifs, nous faisons dix propositions qui ont vocation à être expérimentées, discutées, améliorées, augmentées. Parmi nos propositions fortes, il y a la volonté de remettre la formation au cœur du Parti Socialiste, de créer une « Ferme politique », de développer les Universités populaires itinérantes, de favoriser l’ancrage de la Revue Socialiste et des réflexions qu’elle porte dans le Parti, le développement d’une « bouquinerie militante ». Il faut également s’orienter vers une nouvelle géométrie militante, c'est-à-dire prendre en compte ce qu’est la société, quelles sont les aspirations de nos concitoyens, comment ils conçoivent leur éventuel engagement. Nous proposons de distinguer militants, volontaires et soutiens selon leur degré d’engagement. La création de « Maison de la Gauche » et l’engagement du PS dans des prestations de services non marchands peuvent contribuer à connecter la gauche avec des formes sociales nouvelles et innovantes. Il s’agit là de propositions en faveur d’une reprise de l’offensive culturelle.

Le PS, parti d'élus, peut-il vraiment devenir un parti de masse comme vous le préconisez ? 

David Djaïz : Nous parlons de parti de masse « nouvelle génération ». Il ne s’agit pas d’enrôler dans le PS des millions de militants qui ne savent pas ce qu’ils font là. Au lieu de cela, nous prônons une organisation plus souple, par « cercles concentriques ». Le premier cercle, celui des militants, n’augmenterait pas exponentiellement. Mieux vaut 150 000 militants politisés et bien formés que 500 000 « groupies ». Mais il est impératif d’ajouter à ce premier cercle deux autres cercles tout aussi structurés : celui des volontaires, qui s’inspire des volunteers qui s’étaient engagés pour Obama en 2008 et 2012 sans pour autant être encartés au Parti démocrate, et celui des soutiens, qui accompagnent le parti d’une autre manière (en faisant un don, en étant actifs sur les réseaux sociaux, en écrivant des textes…). 

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