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Comment le glyphosate est devenu une névrose française
©INA FASSBENDER / AFP

Débat

L’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) a estimé ce mardi 2 mai que le glyphosate n’est pas cancérigène.

Marcel Kuntz

Marcel Kuntz

Marcel Kuntz est biologiste, directeur de recherche au CNRS dans le laboratoire de Physiologie Cellulaire Végétale. Il est Médaille d'Or 2017 de l'Académie d'Agriculture de France

Il est également enseignant à l’Université Joseph Fourier, Grenoble.

Il tient quotidiennement le blog OGM : environnement, santé et politique et il est l'auteur de Les OGM, l'environnement et la santé (Ellipses Marketing, 2006). Il a publié en février 2014 OGM, la question politique (PUG).

Marcel Kuntz n'a pas de revenu lié à la commercialisation d'un quelconque produit. Il parle en son nom, ses propos n'engageant pas son employeur.

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Atlantico : Alors que l'Agence américaine pour l'environnement vient de rendre un rapport qui dédouanait le glyphosate de toute nature cancérigène, la France continue de porter le combat contre le désherbant, et de nombreux titres d'articles montrent un fort pessimisme sur les conclusions scientifiques de l'agence américaine. Ne peut-on pas dire que le glyphosate est aujourd'hui devenu une obsession française ?

Marcel Kuntz : Il y a d’abord une obsession européenne des risques, qui amène souvent à sacrifier les bénéfices des technologies. En ce qui concerne les pesticides, près de 1000 molécules étaient autorisées dans l’Union Européenne au début des années 2000 et moins de 300 en 2011. Ce n’est pas forcément injustifié dans tous les cas, encore faut-il l’expliquer et ne pas laisser des fake news sur les méfaits des pesticides devenir pensée unique, alors que l’on baigne dans le précautionnisme.

La France a de plus un problème spécifique : la sur-réglementation, sous forme d’arrêté ministériel sur les modalités d’utilisation des produits phytosanitaires, de plan interministériel de réduction des risques phytosanitaires, de Grenelle de l’environnement, de plans Ecophyto….

Encore une fois, tout n’est pas à jeter, mais l’excès nuit gravement : Il y a désormais plusieurs centaines de besoins agricoles non pourvus ou mal pourvus en protection phytosanitaire. Dans certains cas, la production devient impossible et la durabilité des exploitations est en jeu. C’est le cas par exemple pour le diméthoate sur les cerises, interdit en France alors qu’il n’y a pas réellement de risque pour les consommateurs,  mais qui reste autorisé au niveau européen, d’où un handicap des producteurs de cerises français.

En  ce qui concerne le glyphosate, on peut déplorer les fausses informations, surtout  en prime time de la télévision publique, ce qui est en soi un scandale démocratique. De plus, cet herbicide a quitté l’analyse technique raisonnée pour devenir un enjeu politicien pour le gouvernement. Il s’agit de séduire une partie de l’électorat « écolo ». Le gouvernement a donc fait sien l’interdiction du glyphosate, pour aller dans le sens du vent.

Réduire son usage, s’il existe des alternatives, c’est bien, mais quand ce n’est pas le cas l’interdiction aura des conséquences négatives graves : distorsions économiques entre pays utilisateurs et pays non utilisateurs, régression des techniques de travail simplifié des sols (utiles pour leur conservation à long terme et pour le stockage de la matière organique et du CO2), augmentation de la consommation des carburants fossiles (fuel) à cause du recours accru au travail mécanique. Bref, une folie !

Atlantico : Au vu des différentes études scientifiques, que sait-on vraiment de la dangerosité du glyphosate aujourd'hui ?

Marcel Kuntz : Pendant des décennies, la molécule glyphosate a fait l’objet de multiples études dans le monde (y compris des études indépendantes par rapport à son producteur) sans qu’un risque de favoriser un cancer n’ait émergé de manière crédible (ce qui ne dispense pas de l’utiliser avec les précautions d’usage, comme tout autre produit, y compris domestique). Le glyphosate était hors des radars politico-médiatiques. Cela a changé pour deux raisons. D’abord une célèbre étude sur des rats affligés de tumeurs monstrueuses a fait la une des médias. Tout le monde a vu ces images, mais peu de personnes savent que cette étude a été retirée par le journal scientifique qui l’avait acceptée, et que des études récentes sur financements publiques (qui ont repris les expériences) ont achevé de la discréditer.

Puis, peut-être inspiré par cette étude qui illustrait le potentiel anxiogène du glyphosate, le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) s’est emparé du dossier. En réalité, le CIRC n’a mené aucune « recherche », mais a décidé dans des conditions douteuses un classement du glyphosate en « probablement cancérogène pour l’homme... » (comme la viande rouge, la combustion domestique du bois, l’exposition professionnelle des coiffeurs…).

Aujourd’hui, aucune agence officielle d’évaluation des risques n’a suivi le CIRC sur le glyphosate : ni les européennes, ni les françaises, ni états-uniennes, ni du Canada, ni du Japon, ni d’Australie… Les écologistes n’ont plus d’autres arguments que d’invoquer un contrôle de Monsanto sur la « science mondiale ». Pour qui connait le fonctionnement de la science, c’est grotesque ! Mais cela a du succès dans la « démocratie des crédules »…

Atlantico : N'y a-t-il dès lors pas un problème dans le relais des conclusions scientifiques sur les questions écologiques ? Comment y remédier ? 

Marcel Kuntz : Il y a indiscutablement une diabolisation du « chimique », et notamment de l’agrochimie. L’agriculture d’autrefois est parée de toutes les vertus. Pourtant, avant le développement de l’agrochimie au XXème siècle, on utilisant déjà des produits chimiques, quelquefois hautement toxiques pour leurs utilisateurs (à base d’arsenic, de métaux toxiques, d’acide sulfurique…).

Dans ce contexte, difficile pour les médias de relayer des conclusions scientifiques complexes et contraires à l’air du temps. On peut davantage reprocher à certains de reprendre des théories du complot (les scientifiques qui seraient des « trolls » de Monsanto, et autres insinuations qui rabaissent le débat).

Mais les scientifiques ne sont pas exempts de reproches. Il existe un vrai problème avec les publications scientifiques: des études au protocole expérimental de mauvaise qualité - et donc aux conclusions fragiles - envahissent de plus en plus les journaux scientifiques. Prétendre avoir observé un impact négatif de l’agriculture moderne ou de tel produit chimique (dont le glyphosate, bien sûr !) est souvent payant pour des scientifiques sans imagination (ou à l’imagination concentrée sur leur militantisme anti-industries). Le succès médiatique est au rendez-vous, ainsi que les subventions futures, doxa catastrophiste aidant.

Les questions de santé et environnementales méritent mieux. Comme nous y invite l’ancien Ministre Bruno Durieux dans son dernier livre (Contre l’écologisme. Pour une croissance au service de l’environnement ; Éditions de Fallois), il nous faut collectivement sortir de l’idéologie sur l’écologie pour retrouver la voie de la Raison.

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