Comment la Russie a réussi à se tailler une sphère d’influence en Afrique à bas coût<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président russe Vladimir Poutine a jeudi 27 juillet le sommet Russie-Afrique
Le président russe Vladimir Poutine a jeudi 27 juillet le sommet Russie-Afrique
©Pavel BEDNYAKOV / POOL / AFP

Concurrence déloyale

La crise au Niger est le dernier exemple en date de la croissante influente russe. Celle-ci s'installe, notamment, au détriment de la France.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : Les 27 et 28 juillet, Vladimir Poutine a accueilli 17 chefs d'État africains et des dizaines de délégations au sommet Afrique/Russie. Alors que le sentiment anti-français se développe sur le sol africain, la Russie tisse des liens étroits avec un nombre croissant de pays. Comment expliquer ce succès et quelles sont les motivations de Moscou ?

Michael Lambert : Le succès de la Russie en Afrique s'explique par la combinaison du sentiment anti-français déjà présent du fait de son passé colonial ainsi que par la capacité de Moscou à répondre aux besoins fondamentaux des populations locales, notamment en leur fournissant ces cereales (le budget alimentaire représente parfois 80% des dépenses des ménages) des ressources énergétiques et une assistance à la lutte contre les groupes terroristes.
Pour les populations concernées, la mentalité plus conservatrice de la Russie joue également en faveur du Kremlin, les valeurs africaines étant plus traditionnelles. Il ne fait aucun doute que la stratégie de communication de la Russie est simple et axée sur des éléments clés, sans réelle ambiguïté, ce qui va à l'encontre d'un discours plus complexe prôné par la France.
A cela s'ajoutent les relations soviéto-africaines, l'URSS ayant été l'un des pays les plus actifs dans la promotion de la décolonisation (avec les Etats-Unis et la Chine), donnant à la Russie l'image d'un protecteur des peuples en quête d'autonomie.

Pour la Russie, l'idée reste naturellement de déloger la France de l'Afrique afin de s'accaparer les ressources du continent, dans le double but de s'assurer une manne pécuniaire et d'affaiblir la chaîne d'approvisionnement du continent européen. Si l'on prend le cas du Niger, qui fournit 15-30% des besoins en uranium de la France et représente un cinquième des importations totales d'uranium de l'Union europeenne, cela se traduira par une hausse significative des prix au cours des prochains mois, et favorisera in fine les résultats des groupes d'extrême droite et populistes, généralement plus enclins à soutenir la Russie que les partis politiques modérés.

S'il y a une chose à retenir, c'est que la Russie est capable de répondre aux besoins alimentaires des pays africains dans un monde où les ressources s'amenuisent en raison de la surpopulation et du rechauffement climatique. Cela laisse peu de marge de manœuvre aux Etats européens qui n'ont pas de réelle alternative à proposer.

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Quelle est la stratégie de la Russie pour s'implanter à moindre coût en Afrique ?

Michael Lambert : Fournir des céréales à bas prix, ce que la Russie peut facilement faire compte tenu de ses importantes ressources agricoles, ainsi que de l'énergie, Moscou disposant d'abondantes ressources en hydrocarbures. En ce qui concerne la propagande russe, elle est relayée sur les réseaux sociaux et dans les médias avec un discours sobre et dénué de subtilité, qui répond à une attente des populations faiblement éduquées. Cette propagande russe est promue par les gouvernements africains eux-mêmes, qui préfèrent le soutien d'un pays autocritique comme la Russie, qui vise à instaurer une stabilité politique bien que sans respect des droits de l'Homme. En somme, les gouvernements autocratiques préfèrent soutenir la Russie plutôt qu'une démocratie comme la France, qui les critique pour leur mauvaise gestion.

Quelle est la véritable nature des activités russes sur le continent ? Qu'en est-il des mercenaires des sociétés militaires privées telles que Wagner ?

Michael Lambert : Les opérations de stabilité visant à lutter contre les groupes terroristes sont les plus emblématiques. La Russie et des groupes comme Wagner, dont la structure s'apparente davantage a celle d'un cartel soutenu par la Russie, ne se soucient guère des droits de l'homme et peuvent neutraliser des groupes terroristes sans qu'il soit nécessaire de procéder à des frappes chirurgicales. Ces opérations brutales produisent des résultats qu'un pays occidental soucieux des droits de l'homme ne pourrait pas se permettre.
Wagner assure également la formation des forces de police et des militaires, ainsi que la livraison d'armes russes dans certains cas, ce qui permet de développer les compétences des armées africaines.
L'autre volet de l'action vise l'extraction de ressources, notamment minières, en Afrique. Le groupe Wagner envoie des ingénieurs et des équipements pour développer les infrastructures de production africaines, ce qui permet d'offrir de meilleures conditions de travail dans les mines, d'augmenter les revenus des gouvernements et, à terme, d'accroître les quantités de minerais expédiées vers la Russie et la Chine.

Encore une fois, le respect des droits de l'homme et de l'environnement ne sont pas des priorités pour la Russie, contrairement aux pays occidentaux, ce qui facilite l'implantation de Wagner.

La pression monte également au Niger, l'un des derniers alliés de Paris au Sahel, qui a subi un coup d'État le mercredi 26 juillet. Des milliers de personnes ont manifesté devant l'ambassade de France à Niamey, dimanche 30 juillet, aux cris de "Vive Poutine", "Vive la Russie" et "A bas la France". Paris a-t-il encore une "chance" d'inverser la tendance ?

Michael Lambert : La situation au Niger était prévisible et connue des services de renseignement. Le Niger produit l'uranium dont la France a besoin, ce qui place le pays dans la ligne de mire de Moscou pour déstabiliser Paris en augmentant les coûts énergétiques. Le Niger est également limitrophe des pays alliés de la Russie, dont le Burkina Faso, ce qui permet de déstabiliser plus aisément les gouvernement voisins.
Pour la France, les options sont malheureusement restreintes, le plus urgent étant de trouver de nouveaux partenaires capables de lui fournir de l'uranium et de freiner une hausse rapide des prix de l'électricité. S'il est peu probable que le Niger revienne sous influence française, il constitue un laboratoire des stratégies russes qui doit servir d'exemple pour éviter que cela ne se reproduise à l'avenir.
A cet égard, il est urgent que les Occidentaux regardent ce qui se passe en Egypte et en Afrique du Sud, deux pays qui se rapprochent de Moscou. L'Afrique du Sud est de loin le pays le plus préoccupant, puisqu'il est en proie à une crise énergétique majeure, avec des coupures d'électricité pouvant aller jusqu'à 10 heures par jour, combinée à une crise sanitaire et alimentaire qui s'aggrave de semaine en semaine.

Si le Niger est un échec, il démontre que les Occidentaux doivent s'adapter et prendre les devants en nouant des partenariats plus fiables avec des pays d'avenir. 

A ce titre, il serait plus pertinent pour les europeens de relancer l'extraction d'uranium en Republique tcheque ainsi qu'en Roumanie, deux pays plus stables et membres de l'Union europenne.

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