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Comment Gilbert Renault, catholique pratiquant profondément patriote, est devenu le fameux "colonel Rémy"
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Bonnes feuilles

À travers vingt-sept portraits choisis, d'hommes et de femmes catholiques, protestants et orthodoxes, Dominique Lormier retrace l'histoire de la résistance chrétienne face à Hitler. Il démontre l'incompatibilité du christianisme avec le nazisme, s'opposant en cela à la thèse défendue par Michel Onfray dans son ouvrage Décadence. Extrait de "Ces chrétiens qui ont résisté à Hitler" de Dominique Lormier, aux éditions Artège (2/2).

Dominique Lormier

Dominique Lormier

Dominique Lormier, historien et écrivain, est considéré comme l'un des meilleurs spécialistes de l'histoire militaire. Membre de l'Institut Jean-Moulin et membre d'honneur des Combattants volontaires de la Résistance, il collabore à de nombreuses revues historiques. Il est l'auteur d'une centaine d'ouvrages.

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Gilbert Renault, qui prendra le nom de Rémy dans la Résistance, est né le 6 août 1904 à Vannes, en Bretagne. Aîné d’une famille catholique pratiquante, profondément patriote, son grand-père, Étienne, a participé à la guerre de 1870-1871. Le père de famille, Léon, enseigne l’anglais au collège jésuite de Jersey, puis au collège Saint-François-Xavier de Vannes. Si l’on remonte l’arbre généalogique de la famille, on découvre un curieux assemblage d’Écossais, d’Irlandais et de Bretons. Léon élève son fils Gilbert dans la ferveur de la foi catholique, avec un attachement particulier à la Vierge Marie, à laquelle il voue une vénération absolue. Il lui inculque un patriotisme ardent, fondé sur l’esprit d’honneur et de sacrifice. Sa mère, Marie Decker, est l’aînée d’une famille luxembourgeoise de quatorze enfants. Gilbert passe le bac et obtient un poste honorable à la Banque de France. Il doit cependant effectuer son service militaire dans l’artillerie à Nantes. Son père tombe gravement malade et meurt en 1924. Renvoyé dans ses foyers comme soutien de famille nombreuse, Gilbert, l’aîné de dix enfants, doit compléter au plus vite les ressources de la fratrie. Désirant gagner plus et tout de suite, il est reçu à la Banque d’Indochine, puis rejoint la Banque commerciale africaine.

Le 15 mars 1928, Gilbert rencontre, lors d’une soirée, Édith, fille d’un Écossais plein d’humour, James Anderson, buveur invétéré de whisky, et d’une mère bretonne, Marie-Christine Legouix. Blonde, mince et souriante, Édith enflamme le cœur du jeune homme, qui peut après demande sa main à la future belle-famille. Cependant, la séparation guette les amoureux, car Gilbert doit occuper un poste au Gabon. Au bout de quelques mois, estimant ses revenus insuffisants, il quitte la Banque pour se lancer dans l’exploitation forestière. Souhaitant surtout revoir Édith, il revient en France, où sa fiancée et sa mère l’attendent à La Rochelle. Les deux jeunes gens se marient à l’église Saint-Pierre de Neuilly, le 19 septembre 1929. Quelques semaines plus tard, ils partent pour le Gabon, à Libreville, accompagnés de Marie, l’aînée des Renault. Édith, qui contracte le paludisme, doit être rapatriée en France, tandis que les bénéfices de la société tournent à la faillite. Gilbert rentre également en France en août 1930. Les difficultés financières s’accumulent, le jeune ménage se trouve dans l’obligation de vendre l’appartement acquis depuis peu. Les parents d’Édith accueillent le couple chez eux. Gilbert fait divers métiers (livreur de viande, vendeur d’informations aux journaux, assureur…) et commet bien des imprudences qui exaspèrent ses banquiers, ainsi que sa belle-mère… En revanche, il donne à Édith de beaux enfants : Catherine en 1930, Jean-Claude en 1931, Jean-Luc en 1933, Cécile en 1935 et Manuel en 1939. Au total, le couple Renault aura huit enfants.

Bel homme, à la solide carrure, Gilbert Renault a l’élocution facile et le compliment enjôleur : c’est un charmeur. Chaleureux, fier et impulsif, il se décide vite, trop vite parfois. Sympathisant actif de l’Action française, il est un monarchiste convaincu. Le 6 février 1934, il n’hésite pas à faire le coup-de-poing avec les camelots du roi et les militants de l’Action française sur la place de la Concorde.

Après de longues recherches, il décroche une place de chef de service commercial à la Compagnie générale de garantie, spécialisée dans les questions fiduciaires. Malheureusement, il se dispute avec son chef de service, après quoi il adresse sa démission. La cohabitation avec la belle-famille s’étant détériorée, il fait replier ses enfants et sa femme au sein de la famille Renault, à Vannes. Quant à lui, il part pour Paris, afin de lancer avec des amis fortunés une affaire de production de films. Les fonds affluent rapidement, si bien qu’il installe rapidement sa famille dans un hôtel particulier, rue Jean-Goujon, avec chauffeur et gouvernante. Les vedettes se pressent à ses bureaux, dont Mistinguett, Elvire Popesco, Erich von Stroheim, Sacha Guitry… Menant la belle vie, il adore côtoyer les célébrités du cinéma, tandis que sa femme Édith souffre en silence, car réservée et prudente, elle se méfie des courtisans intéressés. En 1937, un premier film, Les Perles de la Couronne, de Sacha Guitry, remporte un énorme succès. Hermétique à des conseils de prudence, Gilbert monte l’année suivante, avec Abel Gance, une nouvelle version du film J’accuse! réalisé une première fois au lendemain de la Grande Guerre de 1914-1918. Le film est une catastrophe financière qui engloutit toutes les économies du ménage. Lâché par tous ses associés, il est aux abois, doit se séparer des biens qui lui sont chers, dont le piano d’Édith. Accablé, le couple se trouve à la dérive.

Le 6 août 1934, jour de son anniversaire, Gilbert entre dans un café, place de l’Alma, pour s’offrir un dernier plaisir, un paquet de cigarettes, valant sept francs. Il donne son dernier billet de cent francs à la buraliste qui, se trouvant sans monnaie, lui rend en contrepartie plusieurs billets de la Loterie nationale. Le lendemain, à sa grande stupéfaction, Gilbert découvre que l’un de ses billets, portant le numéro 779599, lui permet de gagner le gros lot d’un montant de cinq millions de francs, somme considérable pour l’époque. La famille Renault, réduite à la misère, redevient subitement riche en l’espace d’une journée! Gilbert et Édith passent une nuit à remplir des chèques pour éponger leurs dettes dont certaines remontent à plusieurs années.

Adversaire résolu de l’Allemagne d’Hitler, dont il ne supporte pas l’arrogance, le fanatisme et le pangermanisme, Gilbert Renault désire réaliser un film sur l’Europe centrale, menacée par la botte nazie. En juillet 1938, il saute dans un avion pour Prague, en Tchécoslovaquie, afin de rencontrer de futurs partenaires. Les pourparlers tournent en longueur, si bien qu’il décide de rentrer à Paris le 13 août. Dans la nuit du 12 au 13, il est réveillé à plusieurs reprises par une voix féminine intérieure qui lui conseille, avec insistance, de ne pas prendre l’avion. Il obéit à cette injonction spirituelle, recule son départ au 16. Le 15, fête de la Vierge Marie, il se promène dans Carlsab, passe à côté d’un kiosque à journaux et sursaute en découvrant à la une des quotidiens que l’avion PragueParis du 13 août s’est écrasé en Bavière, descendu par « erreur » par la Luftwaffe. On ne compte aucun survivant. La Loterie nationale et l’avion de Prague : Gilbert juge ces événements comme autant de signes de la Providence, ce qui renforce sa dévotion en faveur de la sainte Vierge, sous la protection de laquelle il se sent placé.

La guerre qui éclate en septembre 1939 pousse Gilbert Renault, bien qu’exempté de mobilisation en tant que père de famille nombreuse (cinq enfants à l’époque), au bureau de recrutement de Vannes, où il tente d’intégrer une unité combattante. Le capitaine qui le reçoit lui fait comprendre que l’armée française a plutôt trop d’hommes que pas assez. C’est ainsi, qu’il assiste impuissant à la défaite militaire de la France en mai-juin 1940. Horrifié par le spectacle de l’exode et de la débâcle, il envisage de rejoindre l’Afrique du Nord pour continuer le combat contre l’Axe. Le 18 juin, jour même de l’appel à la résistance du général de Gaulle à la BBC de Londres, qu’il n’entend cependant pas, Gilbert décide de quitter Vannes pour gagner Lorient et trouver un bateau à destination de l’Afrique du Nord ou de la Grande-Bretagne. Bien plus tard, il expliquera sa décision dans ses souvenirs :

Le réflexe qui m’a fait partir pour l’Angleterre trouvait son origine dans l’enseignement que depuis vingt ans je recevais quotidiennement sous la signature de Charles Maurras. Nourri de L’Action française, il ne m’était pas possible de reconnaître comme définitive la défaite de la France. J’allais tout naturellement là où il m’apparaissait qu’on allait continuer à se battre.

Tandis que sa famille reste sagement à Vannes, Gilbert se prépare à partir pour l’aventure. Il brûle des papiers compromettants sur l’Allemagne nazie, qu’il avait rédigés pour un de ses films. Accompagné de son frère cadet Claude, il circule à bord d’une voiture Citroën, en direction de la mer. Évitant les barrages, la voiture se faufile par des petites routes, en pleine campagne. À Hennebont, Gilbert se heurte à un adjudant français qui lui barre le passage. Avec un culot monstre, il fait croire au gradé que l’amiral de Penfentenyo a donné l’ordre à tous les hommes valides de rejoindre son escadre. Médusé, l’adjudant lui ouvre le barrage. À Lorient, la confusion est à son comble. La voiture, à bout de souffle, doit être abandonnée. Gilbert et son frère parviennent à monter à bord d’un chalutier à vapeur, La Barbue, qui prend la direction du Verdon. Arrivés à destination, malgré les attaques de l’aviation allemande, ils grimpent à l’échelle de corde du Lista, un bateau norvégien, qui lève l’ancre, le 20 juin 1940, et gagne le large pour rejoindre l’Angleterre. Le navire entre en rade de Falmouth, encombrée de divers bâtiments de guerre. Gilbert est hébergé dans un foyer plein à craquer. À l’heure du petit-déjeuner, un voisin hollandais lui montre un exemplaire du Sunday Times, où un gros titre annonce que Pétain a accepté l’armistice aux conditions imposées par Hitler. Gilbert ne peut retenir ses larmes, qui sont celles de la colère et du désespoir. Gilbert et Claude rejoignent un centre de tri, en direction de Paddington, puis le lendemain même de leur arrivée en Angleterre, ils se présentent au quartier général de la France libre, à Londres, pour s’engager dans les Forces françaises libres (FFL). Peu après, Gilbert rencontre le capitaine Dewavrin (Passy), chargé du service de renseignements des FFL. Gilbert lui explique qu’il dispose de plusieurs visas pour l’étranger, du fait de ses activités dans le cinéma, qu’il peut notamment se rendre en Espagne, acheminer des messages et des courriers soit vers la France, soit vers Londres. Son frère Claude intègre de son côté une unité combattante, qui va se battre sur les champs de bataille d’Afrique du Nord, de Bir Hakeim à Tunis.

Gilbert fait la connaissance de Maurice Schumann, qui chaque soir à la radio de la BBC galvanise l’esprit de résistance des Français. C’est par son intermédiaire que Gilbert peut parler un soir à la BBC, annonçant ainsi à sa femme qu’il est bien arrivé en Angleterre, sans bien entendu décliner son identité. Édith, qui écoute radio Londres tous les soirs, est stupéfaite et bouleversée d’entendre une voix anonyme qui lui est si chère.

À Londres, le capitaine Dewavrin fait connaître à Gilbert le commandant Kenneth Cohen, officier de l’Intelligence Service (services spéciaux britanniques). Dès juillet 1940, Gilbert débute sa formation d’agent secret de la France libre. Deux Britanniques se chargent de l’initier aux mystères des codes secrets radios. Durant les semaines de formation, Dewavrin a pu juger sa nouvelle recrue :

Gilbert Renault est intelligent et tenace, précis et rapide. Il a beaucoup d’entregent et fera jouer les multiples relations qu’il possède dans différents milieux. Il pourra notamment utiliser ses contacts en Espagne, tout particulièrement ceux qu’il entretient avec son ami Jacques Pigeonneau, consul de France à Madrid.

Un soir d’août, alors qu’il va bientôt accomplir sa première mission d’agent secret, Gilbert Renault descend lentement l’escalier du Carlton Gardens, siège de la France libre à Londres. Du palier du premier étage, il voit s’avancer un général de grande taille, en uniforme kaki : pas de doute, c’est bien le général de Gaulle. Les deux hommes se croisent. Par respect, Gilbert le laisse passer et le salue. De Gaulle lui répond de manière distraite. Gilbert s’enhardit : « Mon général, je suis un de vos soldats. Je pars demain en mission pour La France. Je voudrais avoir l’honneur de vous serrer la main. » Le général, agréablement surpris, s’arrête, le regarde fixement et lui parle : « Suivez-moi, venez avec moi dans mon bureau. » Gilbert raconte brièvement son aventure. De Gaulle, fort aimable, l’encourage dans son action et l’assure de son soutien.

Un hydravion britannique le dépose au large des côtes portugaises en août 1940. Il rejoint ensuite Madrid, rencontre son ami Jacques Pigeonnau, consul de France à Madrid et favorable à la France libre du général de Gaulle. Gilbert adresse régulièrement des courriers à Londres, chargés d’informations sur l’état militaire et politique de l’Espagne franquiste. Il décrit l’opposition de Franco au passage des Allemands à travers le pays. Il réclame avec insistance qu’on lui envoie un poste radio et un opérateur radio, afin de communiquer plus rapidement avec Londres. Puis il décide de se rendre en France pour monter un vaste réseau de renseignement. Il devient alors le colonel Rémy.

Extrait de "Ces chrétiens qui ont résisté à Hitler" de Dominique Lormier, aux éditions Artège

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