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Cnil contre Google : quelle organisation du déréférencement sur internet ?
©Reuters

Un oubli de taille

Au mois de mars dernier, la Cnil s'est attaqué à Google, jugeant son action en matière de déréférencement trop pauvre et incomplète. En effet, jusqu'à présent, un contenu déréférencé en Europe était accessible depuis les autres continents. Pour autant si le combat de la Cnil semble louable, il soulève de nombreuses questions.

Rodolphe Durand

Rodolphe Durand

Rodolphe Durand est professeur de stratégie à HEC, fondateur du Centre Society And Organizations.

Il est l'auteur de L'organisation Pirate et de La Désorganisation du Monde.

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Depuis la décision de la Cour de justice de l’Union européenne le 13 mai 2014, les moteurs de recherche sur internet sont tenus, au nom du principe de respect de la vie privée, de faire valoir le "droit à l’oubli" de leurs utilisateurs. Le droit européen leur impose donc désormais de déréférencer les informations "inappropriées, hors de propos ou qui n’apparaissent plus pertinentes", lorsqu’un internaute le leur demande.

Concrètement, tout particulier qui réside en Europe et qui le souhaite peut désormais remplir un formulaire (disponible en ligne pour les moteurs de recherche Google et Bing) pour demander la suppression d’un ou plusieurs résultats de recherche qu’il estime préjudiciable à son encontre. Au 24 mars 2016 (soit en près de deux ans), plus de 400 000 demandes ont été déposées, concernant majoritairement des atteintes à la vie privée, à la réputation ou à l’image.

Google, le plus emblématique des moteurs de recherche en Europe, s’est conformé à cette obligation en créant une procédure ad hoc de  déréférencement des informations dénoncées par les particuliers sur les différentes extensions nationales de sa plateforme (.es ; .fr ; .co.uk ; etc.). La Commission nationale de l’informatique et des libertés ("Cnil") a, en mai 2015, mis Google en demeure d’étendre son déréférencement à toutes les extensions de son moteur de recherche hors d’Europe, y compris par exemple l’américain "Google.com". En effet, une information déréférencée sur un google européen pouvait être accessible à un utilisateur accédant à une extension en dehors du vieux continent (google.br au Brésil ou google.jp au Japon par exemple).

Pour répondre à ces nouvelles exigences, le géant de Mountain View a accepté de mettre en place un système de filtrage des résultats de recherche selon l’origine géographique de l’internaute, grâce aux adresses IP des ordinateurs utilisés : un individu connecté à "Google.com" depuis l’Europe ne pourra désormais plus accéder aux informations dont la demande de déréférencement a été acceptée.

A la fin du mois de mars dernier, la Cnil a jugé ce dispositif incomplet et condamné Google à une amende de 100 000 euros. L’autorité française considère en effet que le "droit à l’oubli" doit concerner l’ensemble des portails des moteurs de recherche, qu’ils soient ou non situés dans l’Union européenne. Google est donc sommé de faire disparaître des informations de l’Internet mondial.

Cette demande pose de nombreux problèmes juridiques, au premier titre, celui de l’extra-territorialité de l’application des lois. En outre, elle place les moteurs de recherche dans la situation d’arbitre des libertés publiques à l’échelle mondiale : quelle posture adopter lorsqu’une personne d’un Etat jugé peu démocratique souhaitera faire déréférencer un contenu jugé immoral ou offensant ?

A quoi sert d’ailleurs d’opposer des principes ("le droit à l’oubli") à d’autres principes ("les libertés publiques") sans avoir réuni des éléments factuels sur l’organisation concrète du déréférencement ? Qui pour opérer le déréférencement chez Google ou Bing ? Combien de personnes ? Selon quels algorithmes et règles de délégation de responsabilité ? Concrètement, comment mettre en pratique ce suivi qu’exige la Cnil et pour combien d’individus parmi des milliards d’humains ? Quelles heuristiques employer lorsqu’un cas délicat ou singulier se présente ? Combien de demandes émanent de quels pays ? Combien y a-t-il de consultations des informations jugées "inappropriées" par des demandeurs locaux et étrangers ? Des instances de médiation supplémentaires ne pourraient-elles pas exister pour aider à juger des cas difficiles sans chercher à imposer des règles identiques en tous lieux ?

Plutôt que d’intimer à des opérateurs d’appliquer des principes de façon unilatérale partout dans le monde, il est urgent de mieux connaître en termes quantitatif et qualitatif l’organisation et les pratiques concrètes actuelles du déréférencement des contenus. Et de déterminer si d’apparentes bonnes intentions ne réduisent pas au silence des paroles de liberté.

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