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Ces questions délicates que soulève le boom du business génétique
©Reuters

Dans notre ADN

26 millions de personnes à travers le monde auraient déjà eu recours à des tests génétiques et le marché pourrait peser 2,5 milliards dans 5 ans.

Axel Kahn

Axel Kahn

Axel Kahn est Président de la Ligue contre le cancer. Il a été à la tête de l'Université Paris Descartes de 2007 à 2011.

Axel Kahn est l’auteur d’une vingtaine de livres dont plusieurs ont été des bestsellers, notamment Et l’homme dans tout ça ? (NiL, 2000), Comme deux frères. Mémoire et visions croisées, avec Jean-François Kahn (Stock, 2006), L’Homme, ce roseau pensant (NiL, 2007),"Être humain, pleinement", (Editions Stock, 2016).

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Atlantico : Déjà plus de 26 millions de personnes à travers le monde ont eu recours à des tests génétiques et d'ici à 5 ans le marché pourrait peser près de 2.5 milliards de dollars. Pourquoi faire ces tests et quelles questions éthiques, ces derniers soulèvent-ils du point de vue scientifique ?

Axel Kahn : Tout d'abord ce chiffre n'est pas étonnant. Pour deux raisons. D'abord du côté des gens qui demandent à ce que ces tests soient faits volontairement, il y a toujours eu la volonté de connaître son avenir ou ses origines. A partir du moment où Madame Soleil a été remplacée très largement par les avancées de la science, en particulier de la science génétique et que certains prétendent qu'on peut lire le destin des personnes dans le génome, il y a un transfert de la cartomancienne aux généticiens. Cette tendance s'inscrit par conséquent dans la continuité de l'appétence des individus pour la prédiction de leur avenir. L'autre élément est du côté des laboratoires qui proposent ces tests. Ils les proposent avec des méthodes de marketting qui sont d'une grande efficacité.

J'avais, il y a une dizaine d'année donné des chiffres qui dépassaient un peu ces prévisions. Dans tous les cas il est certain que la pratique va se développer.

Quels sont les problèmes qui se posent ? D'abord, il n'est pas question de remettre en cause la  liberté des individus d'acquérir une information qui les concerne et qu'on peut leur fournir à travers notamment le séquençage du génome. C'est considéré de plus en plus largement comme un droit inaliénable. Du côté des promoteurs de ces tests, certaines méthodes de démarchage sont extrêmement contestables, elles sont susceptibles d'aboutir à de graves problèmes moraux, sociaux ou de santé publique.

Quelles pourraient être les dérives de ce genre de tests concernant la santé ? Ne risque-t-on pas de faire adopter de mauvais comportements, notamment alimentaires, sur la base d'informations partielles ?

La grande difficulté de la multiplication des tests génétiques est que souvent ils ne sont pas mis en parallèle avec le développement d'une information large et objective sur les résultats de ces tests et ce qu'ils impliquent.

Les gens se retrouvent avec une donnée qu'ils ne savent pas interpréter et ils le feront uniquement sur la base des informations fournies par les entreprises ou alors en fonction de motivations beaucoup plus idéologiques. La liberté d'accès à l'information est désirable à la condition que la source de son interprétation soit la plus fiable possible. 

En matière de santé c'est un problème. L'illusion est la suivante : si l'on séquence le génome d'une personne et si on détermine ses prédispositions alors il suffira que cette personne modifie son style de vie pour éviter d'attraper ces maladies.

Evidemment c'est bien plus compliqué que cela car beaucoup de maladies dont on va diagnostiquer une prédisposition par un test génétique sont multifactorielles. Elles dépendent de plusieurs gênes, du comportement et de l'environnement.

Même si un test génétique est très prédictif, cela ne signifie pas que cela induira une amélioration de la santé chez tout le monde. On sait que s'exposer au soleil prédispose au mélanome et les gens continuent de s'y exposer. On sait que fumer occasionne bon nombre de maladies et on peine toujours à diminuer la consommation de cigarettes…

L'objectivité d'une connaissance n'induit pas une amélioration des comportements. Les gens qui ont cette connaissance sont des êtres de désirs et de pulsion dont l'objectif n'est d'ailleurs pas forcément celui de vivre longtemps. C'est là une limite bien connue  de ce type de promotion de la bonne santé.

Et la possibilité d'identifier géographiquement son patrimoine génétique en ces temps de sursaut identitaire ne pose-t-il pas problème ? Est-ce qu'il n'y a pas un risque, notamment pour les suprématistes blancs de voir au-travers de ces derniers un "test de pureté" ?

Aujourd'hui les sociétés qui proposent un séquençage du génome insistent en fait surtout sur les origines. Il n'y a pas de doute qu'on peut lire dans le séquençage du génome des indications fortes sur la diversité des origines des personnes.

Encore une fois le droit de savoir des personnes est inaliénable mais on voit comment cette quête de la réalité des origines peut être intégrée dans toutes les forces de suprématisme, de racisme ou peut aboutir à une stigmatisation de pans entiers de la population. Il y a une telle pression idéologique chez les gens à l'"identité personnelle", à la connaissance et la "possibilité de retrouver ses racines" que cela peut aller à l'encontre des principes de générosité, de solidarité et de fraternité. 

Enfin, le but du jeu pour parfaire l'expérience consiste à publier les résultats de ces tests sur les réseaux sociaux. Là encore quelles sont les risques d'une telle démarche ? Ne touche-t-on pas là à ce qu'il y a de plus intime ?

Quand les tests génétiques publiés sur les réseaux sociaux ont été réalisés pour préciser les origines, cela peut  peut contribuer à la constitution de communautés ethniques mûes par l'illusion, le fantasme de l'authenticité et de la pureté des origines. On voit le phénomène fleurir sur le net malheureusement. Internet peut tout, parfois le meilleur, assez souvent le pire.  

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