Ces profs (ou policiers et autres agents publics) que l’Etat empêche de partir même quand ils sont à bout<!-- --> | Atlantico.fr
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Un agent de la police française porte un écusson de la police municipale française sur son uniforme à la cathédrale Saint-Maclou à Pontoise, au nord de Paris, le 31 mars 2024.
Un agent de la police française porte un écusson de la police municipale française sur son uniforme à la cathédrale Saint-Maclou à Pontoise, au nord de Paris, le 31 mars 2024.
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Livrés à eux-mêmes et pris au piège

Le cas du proviseur du lycée Ravel ayant peur pour sa sécurité était simple à régler : il est proche de la retraite. Quid de ces fonctionnaires qui veulent jeter l’éponge et à qui on refuse démissions et ruptures conventionnelles.

Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Rémi Boyer

Rémi Boyer

Rémi Boyer est Président-Fondateur de l’association AIDE AUX PROFS créée en juillet 2006 : www.apresprof.org

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Xiaowei Sun

Xiaowei Sun

Xiaowei Sun est Maître de conférences en droit public à l'Université de Franche-Comté.

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Atlantico : De plus en plus de fonctionnaires qui veulent abandonner leur fonction, ont des difficultés à obtenir leurs démissions et accéder à des ruptures conventionnelles. Comment expliquer un tel phénomène ? Pourquoi la hiérarchie et l’administration empêchent-elles ses fonctionnaires de partir ou freinent-elles leurs départs ?

Pierre Duriot : La réponse est toute pragmatique et revêt plusieurs aspects. Globalement, une crise des vocations qui touche de nombreux secteurs qui sont en prise directe avec la réalité du terrain, devenue de plus en plus complexe. En second lieu, une panne des formations. Les futurs fonctionnaires sont envoyés sur le terrain avec une formation bien inférieure, en temps et en densité, à celle de leurs prédécesseurs, ce qui les rend moins armés pour effectuer des tâches pourtant plus complexes. Une pénurie de cadres, avec trop peu de personnes compétentes pour de nombreux postes, notamment des responsables d’établissements dans l’Education Nationale, du fait de l’exposition et des risques professionnels accrus. Et au fil du temps, une surexposition des fonctionnaires à de nombreux risques venus du public : l’actualité le montre tous les jours, avec encore récemment des menaces de mort à l’encontre d’un proviseur par certains tenants de l’islam radical souhaitant imposer leurs us dans les services publics. Enfin, une paperasserie accrue de la part des administrations elles-mêmes, qui plombe le temps de travail des cadres, assortie d’une présomption de culpabilité en cas de problème. Les fonctionnaires ont clairement l’impression et ce n’est pas qu’une impression, de ne pas bénéficier, par défaut, du soutien de leurs administrations qui ont tendance à plutôt les présumer fautifs. Les risques sont donc intérieurs et extérieurs.

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Juridiquement, peut-on démissionner de la fonction publique comme on démissionne d’un emploi dans le privé ?

Rémi Boyer : Non. C’est le Code général de la Fonction Publique, dans sa partie Législative, au Titre V sur la Cessation définitive de fonctions ou d’emploi qui précise les règles.

L’article L551-1 nous dit « La démission ne peut résulter que d'une demande écrite de l'intéressé marquant sa volonté non équivoque de cesser ses fonctions. Elle n'a d'effet qu'après acceptation par l'autorité investie du pouvoir de nomination, à la date fixée par cette autorité. La démission du fonctionnaire, une fois acceptée, est irrévocable. »

Toutefois, l’article L551-2 ajoute : « Si l'autorité compétente refuse d'accepter sa démission, le fonctionnaire peut saisir la commission administrative paritaire. Celle-ci émet un avis motivé, qu'elle transmet à l'autorité compétente. »

Quelle est la réalité de cette situation chez les fonctionnaires et les enseignants notamment ? Quels sont les freins et les obstacles mis en place par l’administration et auxquels sont confrontés les fonctionnaires qui souhaitent démissionner et qui rencontrent des difficultés ?

Pierre Duriot : Chez les enseignants, tous les paramètres cités à la première question sont effectifs, avec en plus, cette constante qui fait que les personnels anciens et formés sont précieux. Ils ont vécu, assimilé, géré, compris, les évolutions de leur travail et de leur environnement, au cours des trois dernières décennies et sont les plus aptes à résoudre de très nombreux problèmes, complexifiés au fil des ans et pour lesquels expérience et formation sont indispensables. En réalité, les vieux cadres tiennent encore les baraques et il va être difficile de se passer d’eux dans un contexte permanent de sous-effectifs avec des postes non-pourvus en pagaille. On peut citer, les directeurs d’écoles, mis à rude épreuve. Mais l’administration n’a pas forcément les moyens de « freins » : elle use de persuasion. Et l’expérience d’enseignant n’est pas forcément facilement monnayable dans le secteur privé.

Que se passe-t-il concrètement dans le cas où un agent du service public souhaite démissionner, mais n’a pas l’accord de sa hiérarchie ?

Xiaowei Sun : Il convient de distinguer l'admission à la retraite et la démission régulièrement acceptée. En effet, il s'agit de deux modalités différentes de cessation définitive des fonctions d'un agent titulaire aux termes de l'article L. 550-1 du code général de la fonction publique (CGFP). S'agissant de la démission, aux termes de l'article L. 551-1 du CGFP, elle "ne peut résulter que d’une demande écrite de l’intéressé marquant sa volonté non équivoque de cesser ses fonctions", et "elle n’a d’effet qu’après acceptation par l’autorité investie du pouvoir de nomination, à la date fixée par cette autorité".

Pour les agents de l'Etat, les délais sont fixés par les statuts particuliers, tandis que pour les agents territoriaux la décision de l’autorité compétente doit intervenir dans le délai d’un mois selon l'article L.551-2 du CGFP. Il est à noter qu'aux termes de cette même disposition :

"Si l’autorité compétente refuse d’accepter sa démission, le fonctionnaire peut saisir la commission administrative paritaire. Celle-ci émet un avis motivé, qu’elle transmet à l’autorité compétente.

"Le fonctionnaire cessant ses fonctions avant la date fixée par l’autorité compétente pour accepter sa démission peut :

"1° Faire l’objet d’une sanction disciplinaire ;

"2° Supporter, s’il a droit à pension, une retenue correspondant au plus à la rémunération des services non accomplis s’imputant sur les premiers versements qui lui sont faits à ce titre dans la limite du cinquième de leur montant."

Toutefois, l’absence de réponse de l'administration dans le délai imparti ne constitue pas une décision implicite de rejet. L’autorité compétente se trouve dessaisie de la demande de démission. Elle ne saurait légalement se prononcer au-delà de ce délai. 

En cas de refus de statuer sur la demande de démission, l'agent intéressé peut saisir le juge administratif.

Si l'agent quitte ses fonctions sans acceptation de sa démission par l'autorité hiérarchique, son action sera considérée comme abandon de poste au titre de l'article L. 553-1 du CGFP, constitutif d'un manquement à l'obligation de servir. L'agent s'expose à des sanctions disciplinaires et, le cas échéant, à la radiation des cadres. L'agent licencié à l'issue de l'abandon de poste n'a pas accès aux droits et indemnités de licenciement. L'abandon de poste pourrait s'analyser comme une solution ultime, au prix d'une sanction disciplinaire, pour quitter la fonction publique en cas de refus de l'administration.

Dans la pratique, il convient d'observer qu'il est rare que l'administration refuse la démission simple d'un agent, même s'ils se trouvent en situation conflictuelle. Les questions se posent plutôt sur les réclamations des droits et indemnités liées aux caractère légitime ou non du motif de la démission.

N’y a-t-il pas une énorme omerta sur le sujet, sur le fait que les candidats à la démission soient de plus en plus nombreux et que les conditions de la mise en œuvre soient de plus en plus difficiles ?

Pierre Duriot : Il ne faut pas exagérer le phénomène. Chez les enseignants, il s’agit de quelques pour cent, entre trois et cinq, mais avec des disparités selon les régions et surtout selon les secteurs, avec évidemment, les endroits exposés, difficiles, que l’on connaît. L’État y va d’ailleurs de ses primes pour des fonctionnaires qui accepteraient d’intégrer des zones sensibles pour des durées déterminées. L’omerta réside surtout dans le fait que des zones sont décrites comme des « berceaux de culture », mais qu’il faut donner des primes que les candidats acceptent d’y aller et surtout d’y rester. C’est valable pour des secteurs sensibles, comme pour l’île de Mayotte par exemple et on comprend aisément que personne ne s’y bouscule. Mais il fait encore bon enseigner dans de nombreux endroits et l’on peut être parfaitement heureux dans un travail d’enseignant, je le suis moi-même.

Rémi Boyer : Dans les faits, il est nettement plus simple pour un professeur contractuel ou stagiaire de démissionner que pour un professeur titulaire. Les deux premiers ne sont pas encore titularisés, donc peuvent facilement démissionner avec un préavis de 2 mois au moins. Le professeur titulaire, lui, a été affecté sur un poste en établissement scolaire ou en remplacement, et la France est l’un des rares pays qui tente d’interdire au professeur de la quitter par un profond silence qui peut dépasser 4 mois, ou par des menaces orales de représailles disciplinaires possibles.

Les inspecteurs du 1er et du 2nd degré n’hésitent pas, par pratique d’infantilisation régulière, à dire au professeur qui souhaite démissionner qu’il agit comme « un traître envers l’éducation nationale » et « que sa démission sera refusée pour nécessité de service ». C’est ce qu’il se passe pour les professeurs titulaires dans la grande majorité des cas.

L’éducation nationale se comporte avec ses professeurs (cadres pédagogiques qui ont obtenu un Bac+5) comme une géôlière qui verrouille « la prison dorée » dans laquelle elle a réussi à faire entrer tous ceux qui pensaient que le concours leur apporterait une position honorable dans cette « Grande Maison », en les acceptant jusqu’au dernier, parfois, de la liste complémentaire.

Pour qu’une démission soit acceptée, il faut qu’elle soit formulée « de manière non équivoque », c’est-à-dire que le professeur ne doit donner aucune raison professionnelle qui le conduise à prendre cette décision, pour laisser penser que c’est juste une décision personnelle, ce qui est très rarement le cas.

L’administration a 4 mois pour émettre sa réponse, et si elle le ne fait pas, le professeur peut saisir une Commission Académique Paritaire pour avoir gain de cause, tout en renouvelant sa demande de démission. Ce qui peut être un processus sans fin, tant que l’administration refusera sa demande.

Les syndicats peuvent-ils être des recours utiles pour les fonctionnaires qui souhaitent démissionner et obtenir des avancées dans leurs dossiers ou pour leurs ruptures conventionnelles face au poids de l’Etat et de l’administration ?

Pierre Duriot : Pas vraiment, ce n’est d’ailleurs pas leur rôle. Ils peuvent par contre entendre un mal-être de collègue. En première ligne, il y a, au sein même des administrations, à l’Education Nationale, en particulier, la possibilité de rencontrer un « orienteur », qui va pouvoir conseiller le fonctionnaire sur les passerelles entre Ministères, ou d’autres postes dans le même Ministère, ou faire des bilans de compétences, aider l’agent à définir ses désirs professionnels. Ceux qui veulent vraiment partir et faire carrément autre chose, peuvent démissionner sans autre forme de procès, c’est le cas pour de nombreux recrutés à la va vite en début d’année scolaire et qui jettent l’éponge au bout de quelques jours, mais ce ne sont pas encore des titulaires il est vrai. D’autres fonctionnaires démissionnent de manière sèche, pour faire carrément autre chose, reprendre une affaire familiale par exemple ou un autre type de formation. 

Les rapports de la Cour des comptes montrent qu’il y a chaque année plus d’agents dans l’Education nationale mais chaque rentrée moins d’enseignants devant les élèves, cela masque-t-il des stratégies d’exfiltration vers des postes administratifs moins exposés ou des arrêts maladies ?

Rémi Boyer : Effectivement. Gérard Longuet indiquait dans son rapport qu’en 2022 il y avait eu 9.202 départs définitifs qui n’avaient pas été anticipés par la Loi de Finances, dont 952 en retraite. La disponibilité pour élever un enfant a été très utilisée par les professeurs des écoles (93% de femmes en Maternelle, 78% en Primaire dans les effectifs) car devenue possible pour élever un enfant de moins de 12 ans (depuis la loi Dussopt du 6 août 2019) au lieu de moins de 8 ans auparavant : cela a créé un appel d’air » pour les femmes qui souffraient d’enseigner. Les enseignants sont de plus en plus tentés de quitter coûte que coûte cet employeur maltraitant, qui n’écoute leurs revendications qu’une fois que 80% des professeurs d’une école, d’un collège ou d’un lycée se soit mobilisé pour attirer l’attention sur ses conditions de travail dégradées, comme c’est le cas actuellement avec les professeurs de Seine-Saint-Denis.

Nous nous étions étonnés en 2022 des chiffres donnés dans le rapport Longuet sur les démissions. Il a indiqué par la suite en aparté à une journaliste s’être « trompé d’une décimale » et les chiffres de 2019, 2020, 2021 et 2022 des démissions ont donc été involontairement décuplés. Il y a donc moins de 4 000 démissions par an acceptées par les académies, et c’est de toute façon très peu en regard de la masse des demandeurs.

Les exfiltrations vers des postes administratifs moins exposés sont rares en regard de la masse. Des professeurs obtiennent d’eux-mêmes un autre concours et leur départ ne peut alors être refusé. D’autres sont placés en poste adapté de courte durée car inaptes à retourner devant élèves après un congé de longue durée, d’autres sont placés en mi-temps thérapeutique hors enseignement, et d’autres sont reclassés sur des postes de catégorie B (niveau Bac) car déclarés inaptes à l’enseignement.

Face à la réticence de l’administration à accorder des départs, comment réagissent les professeurs ou personnels concernés ?

Rémi Boyer : Nous observons parmi nos adhérents et les témoignages des professeurs sur les réseaux sociaux où ils sont plus de 130 000 sur différents groupes privés, que ceux empêchés de démissionner tentent d’obtenir à la place une disponibilité, qui est aussi refusée si elle n’est pas de droit (seules le sont le suivi de conjoint, et élever un enfant de moins de 12 ans). Ils trouvent alors un médecin empathique pour obtenir un congé maladie qu’ils prolongeront jusqu’à ce que l’administration accepte leur démission. Si l’administration acceptait aussitôt toutes les demandes de démissions qui lui sont faites, cela ferait économiser au moins des centaines de millions par an à l’Etat.

De plus en plus nous lisons des témoignages de professeurs qui en ont assez des pratiques de blocages de l’éducation nationale et annoncent leur démission sans attendre de savoir si l’administration l’accepte : c’est ce que l’on appelle un abandon de poste.

Virginie C. nous a livré la semaine dernière le sien : Professeur des écoles dans l’académie de Créteil, victime d’une dénonciation calomnieuse de parents d’élèves, elle a été placée en garde à vue au commissariat avec des menottes, l’éducation nationale n’étant pas intervenue pour la protéger au nom de la présomption d’innocence. Une fois innocentée, elle n’a reçu aucune excuse de son académie pour l’absence totale de soutien, et sa hiérarchie lui a refusé un détachement qu’elle avait pourtant obtenu. Elle a donc cessé d’aller en classe, et le Recteur lui a juste adressé ce courrier : « je vous somme de démissionner ou de réintégrer ». Elle a donc écrit qu’elle démissionnait, et sans attendre la réponse, a abandonné son poste.

Malgré toutes les menaces que la hiérarchie et les syndicats font pour que les professeurs n’abandonnent pas leur poste lorsque leur démission est refusée, il faut que les professeurs sachent qu’il n’y a aucune conséquence à abandonner son poste autre que d’avoir perdu son statut de fonctionnaire, donc son grade acquis par le concours, son ancienneté, et de devoir rembourser le salaire perçu à compter de la date de l’abandon de poste. Ce professeur des écoles qui estimait que sa santé mentale et physique était en jeu, a rapidement été recrutée ailleurs. Deux ans plus tard, oui 2 ans, elle a reçu un courrier du Rectorat de Créteil qui acceptait sa démission !

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