Ces petits gribouillages n'ont l'air de rien... mais ce sont des devoirs scolaires qui datent du Moyen-âge ! Et ces dessins nous en disent très long sur la culture de l'époque<!-- --> | Atlantico.fr
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Les gramota sont des écorces de bouleaux qui servaient de supports à des messages, conservées dans les sols humides de Russie.
Les gramota sont des écorces de bouleaux qui servaient de supports à des messages, conservées dans les sols humides de Russie.
©Actuel Moyen Âge

Sacré bouleau !

En 1951, des archéologues soviétiques ont commencé à déterrer des manuscrits médiévaux dans la ville de Novgorod. Des manuscrits spéciaux, car écrits sur... des écorces de bouleau, un matériau peu coûteux et résistant ! Conservés dans les sols humides de la région, ils ont permis une fascinante plongée dans la vie quotidienne de ces populations.

Florian Besson

Florian Besson

Florian Besson est médiéviste et membre du collectif Actuel Moyen Âge

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Atlantico : En 1951, des archéologues soviétiques ont découvert des manuscrits médiévaux dans la ville de Novgorod. Quelles sont les spécificités de ces manuscrits ? En quoi sont-ils assez uniques ? Que nous apprennent-ils sur la vie au Moyen-Age ?

Florian Besson : Ces manuscrits sont d’abord particuliers par leur nature même : ils sont en effet écrits sur des écorces de bouleau. Il s’agit d’un matériau peu coûteux, car très présent dans la région et qui ne demande qu’une préparation minime : il suffit d’écorcer le bouleau, de faire bouillir l’écorce et de graver son message avec une pointe aiguisée, sans avoir besoin d’encre. Parfois, certains textes sont recouverts d’une légère couche de cire qui en accroît la durabilité ; d’autres viennent d’objets en écorce réutilisés, comme des paniers ou des semelles de chaussures. Ce n’est pas une invention médiévale – on en a retrouvé à Pompéi – mais, au Moyen Âge, c’est une pratique qui n’est utilisée que dans les pays septentrionaux, et que pendant une fourchette temporelle assez restreinte : de la diffusion de l’alphabet cyrillique aux VIII-IXe siècles à la diffusion du papier au XVe-XVIe siècles. Ensevelis dans les sols humides de la région de Novgorod, ces textes ont traversé les siècles en étant souvent très bien conservés, avant d’être retrouvés, restaurés et étudiés par les archéologues contemporains. En outre, s’ils sont uniques, c’est que ces textes ne sont pas des traités philosophiques, des annales monastiques ou des chroniques royales : écrits en majorité en vieux slave, la langue parlée à l’époque, ils sont au contraire issus de la vie quotidienne des habitants de la région au XIIe-XIIIe siècles. La vie banale, ordinaire, faite d’achats, de disputes, de petits soucis de tous les jours, cette vie banale qui échappe si souvent aux historiens et historiennes et qui, dès lors, est si fascinante à observer.

Ces dessins permettent-ils de découvrir la culture de l’époque et d’en apprendre plus sur les techniques d’enseignement et sur le quotidien des populations au Moyen Age ? Pourquoi ces manuscrits sont-ils si importants et fascinants scientifiquement ?

Ces textes, qu’on appelle des gramota, nous ont appris énormément de choses sur les hommes et les femmes de cette époque, en particulier sur la vie commerciale de la région, mais aussi sur la culture et l’éducation. Un lot de textes vient d’un enfant, nommé Onfim (ou Anthyme), qui a vécu vers 1260. Âgé d’environ 6-7 ans, il est en train d’apprendre à écrire et recopie avec soin des lettres ou encore des phrases de la Bible. Et, comme il s’ennuie, il dessine dans les coins, comme tous les enfants encore aujourd’hui, laissant son imagination l’emporter en traçant des chevaux, des petits bonhommes, des loups, etc. C’est évidemment passionnant, car cela nous permet de savoir comment un enfant de 1260 apprenait à écrire – en recopiant l’alphabet (mais pas forcément dans l’ordre des lettres, à la différence de ce qu’on fait maintenant !) et la Bible – et dans le même temps de souligner que cet enfant, qui vivait dans un monde radicalement différent du nôtre, fait ce que font encore aujourd’hui les enfants, en griffonnant dans les marges de leur cahier pendant que leur professeur parle...

En quoi ces manuscrits médiévaux bousculent notre image sur le Moyen Age et sur l’analphabétisme ? Toutes les classes sociales utilisaient-elles l’écrit au regard de ces précieux documents ?

Même si cela change petit à petit, heureusement, le Moyen Âge a encore une mauvaise réputation dans l’imaginaire collectif : c’est censé être la période obscure, sale, violente, marquée par un recul des savoirs et des sciences, peuplée par des paysans analphabètes dominés par de cruels seigneurs et de machiavéliques ecclésiastiques... Autant de clichés contre lesquels les médiévistes ferraillent de leur mieux. Or ces documents sont précieux car ils montrent que l’usage de l’écrit était probablement bien plus répandu qu’on ne l’a longtemps pensé. Ces gramota sont en effet utilisées pour des choses très concrètes et très banales : « ceci est ma meule de foin », « attends-moi samedi devant le filet de pêche », « ici tout le monde est en bonne santé », « je suis malade, peux-tu passer ou m’envoyer quelqu’un ? », etc. Finalement, on n’est pas si loin de nos sms actuels ! On a des listes de débiteurs ou d’objets laissés en gage, des lettres dans lesquelles on prend des nouvelles d’un proche, des brouillons de testament, des chants religieux qui devaient servir d’aide-mémoire pour chanter lors des messes, etc.

Or, si on prend la peine d’écrire sur du bois « c’est ma meule de foin », ou d’envoyer un message à quelqu’un disant « je suis tombé dans la boue, envoie moi vite des vêtements propres », c’est bien qu’on s’attend à ce que les autres puissent le lire : c’est donc que l’écrit est relativement répandu. Attention, cela ne veut pas dire que tout le monde savait lire et écrire – ou l’un des deux, puisqu’au Moyen Âge l’apprentissage de ces deux compétences est souvent dissocié. En effet, ces documents comportent extrêmement peu de fautes d’orthographe ou de rature, ce qui pourrait vouloir dire qu’ils ont été écrits par des écrivains publics ; difficile dès lors de savoir si toutes les classes sociales utilisent véritablement l'écrit. De même, un grand nombre de textes, même les plus triviaux, commencent par une croix, ce qui rappelle que l’acte même d’écrire est alors une action sérieuse, qui touche de près au sacré, voire au magique. Mais, dans tous les cas, se révèle ici une société médiévale emplie d’hommes et de femmes qui faisaient une place à l’écrit au cœur de vies qui, par bien des aspects, sont moins éloignées des nôtres qu’on ne pourrait le penser.

Bibliographie : 

Wladimir Vodoff, « Les documents sur écorce de bouleau de Novgorod, Découvertes et travaux récents », 1981, vol. 3, n° 1, p. 229-281.

Marco Mostert et Anna Adamska, Medieval urban literacy, Turnhout, Brepols, 2014.

Florian Besson, « Lire et écrire, c’est du bouleau ! », Actuel Moyen Âge, 8 septembre 2016

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