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Ce que la commission européenne nous réserve pour 2015
©Reuters

Surprise !

La Commission Européenne a publié son programme de travail pour 2015. Il prévoit notamment le bouclage du Traité Transatlantique de Libre-Echange (TTIP). Un texte plein de bonnes intentions. Peut-être trop, d’ailleurs.

Etienne  Drouard

Etienne Drouard

Etienne Drouard est avocat spécialisé en droit de l’informatique et des réseaux de communication électronique.

Ancien membre de la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés), ses activités portent sur l’ensemble des débats de régulation des réseaux et contenus numériques menés devant les institutions européennes, françaises et américaines.

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Lucas Léger

Lucas Léger

Lucas Léger est chargé de mission à l'IREF, l'Institut de Recherches Economiques et Fiscales. Il a notamment beaucoup travaillé sur la fiscalité verte, ainsi que les emplois verts.

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Laure  de La Raudière

Laure de La Raudière

Laure de La Raudière est député de la 3eme circonscription d'Eure-et-Loir. Elle est également membre du bureau politique des Républicains (mai 2015), Secrétaire de la Commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale et membre titulaire de la Commission du dividende numérique.

Laure de La Raudière fait partie du collectif Numérique 2017-Tout numérique, une plateforme de débats sur les enjeux de transformation de l'économie et de la société à l'ère du numérique, pour que ces sujets soient au cœur de l’élection présidentielle de 2017. Elle contribue aujourd'hui à la réflexion numérique du programme de Bruno Le Maire.

 

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Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Cet article a été élaboré à partir d'une précédente publication sur le blog d'Eric Verhaeghe.

Emploi, croissance et investissement

Eric Verhaeghe : La priorité du programme est consacrée à l’emploi, à la croissance et à l’investissement. L’essentiel de ce chapitre (qui accumule les déclarations d’intention sans contenu effectif) repose sur la mise en place du plan de relance de Jean-Claude Juncker. Les lecteurs se souviennent que celui-ci apporte 8 milliards€ d’argent frais, 13 autres milliards en garanties diverses, et que le reste n’est qu’un montage hypothétique de financements privés rendus plausibles par l’effet de levier.

Lire à ce sujet : Plan Juncker, le mirage du siècle : la France ne bénéficiera pas du tout des 315 milliards de relance et voilà pourquoi

Un marché unique digital et connecté

Eric Verhaeghe : Ce chapitre prévoit essentiellement une directive sur la protection des données privées et une mise à jour des dispositions applicables au marché des télécommunications. La directive sur les droits d’auteur devrait être modernisée.

Laure de la Raudière : L’Europe sera-t-elle enfin à la hauteur des enjeux sur le numérique ? Jusqu’à présent, la commission européenne a été frileuse, laissant souvent les géants de l’Internet, américains, édicter leur règles et faire leurs bénéfices sur nos données personnelles, sans grande contrepartie fiscale ou d’emplois pour les européens. C’est bien évidemment au niveau européen que doivent se dessiner les règles du marché unique digital et connecté. Nous, européens, devons défendre nos valeurs, notamment en matière de respect de la vie privée ou de libre concurrence. Ce n’est certainement pas à des géants de l’Internet, de nous imposer leur vision en la matière. Je suis donc très attachée à ce que l’Europe définisse les règles en matière de "droit à l’oubli" ou de "portabilité des données personnelles" ou de neutralité d’Internet.

C’est un combat européen, car il convient d’avoir les mêmes règles dans chacun des pays de l’Europe, afin de pouvoir développer un grand marché européen du numérique, respectant nos valeurs.

Etienne Drouard : Il existe une coopération policière, judiciaire et informatique entre les Etats. Les mécanismes traditionnels de coopération internationale contre la délinquance fonctionnent aussi en matière d'informatique : Interpol, Europol par exemple. A part cette coopération, il y a aussi des traités qui ont été passés, notamment une convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la cybercriminalité, qui établit que les Etats n'ont pas l'obligation de passer par la voie diplomatique pour se poser des questions en matière d'enquêtes informatiques et peuvent avoir une coopération d'urgence. Cette convention a été ratifiée par la France et a été transposée en droit français en 2005. Elle prévoit aussi que les Etats s'accordent pour conserver une trace des connexions internet pour une durée d'au moins 6 mois. Ainsi les Etats qui n'ont pas légiféré sur la traçabilité des utilisateurs s'engagent à le faire pour que l'on ne se retrouve pas victime de piratage sans aucune trace permettant l'identification des personnes. Alors, peut-on espérer une coopération plus large ? Oui, avec une possibilité de sanction à l'international des personnes commentant ces infractions. Pour l'instant chaque Etat dans lequel se trouve une victime, peut poursuivre un pirate informatique, par contre au niveau policier et judiciaire, c'est le niveau de coopération internationale qui va déterminer si l'on bénéficie de l'aide d'un Etat étranger pour poursuivre ou extrader. On retombe dans un schéma similaire aux domaines du trafic de drogues ou des crimes financiers internationaux.

Lire à ce sujet : 2014, l'année des pirates : quand l'Etat essaie de faire face mais passe largement à côté du problème

Union de l’énergie et réchauffement climatique

Eric Verhaeghe : Sur ce point, la Commission devrait adopter le Schéma directeur de l’Union de l’énergie, destiné notamment à renforcer l’indépendance énergétique du continent. La Commission devrait également définir les positions européennes pour la conférence de Paris, tout en veillant à développer les services de transport compatibles avec une réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Sur ce point, on rappellera le mécontentement des associations écologistes face à l’abandon programmé du paquet air.

Lucas Léger : La pollution de l’air, et plus généralement le changement climatique, ont toujours été au cœur des préoccupations de L’union européenne. De nombreuses initiatives ont été lancées afin de réduire l’impact des gaz à effet de serre sur l’environnement : le programme Europe 2020, le programme européen sur le changement climatique, la mise en place d’un système communautaire d’échange de quotas d’émissions ainsi que toutes les directives concernant la politique énergétique.

Le récent abandon du paquet air – qui visait à réexaminer la politique en vigueur sur la qualité de l’air et d’instaurer des plafonds plus stricts – de l’agenda de travail de l’Union européenne est donc contradictoire avec les objectifs préalablement fixés par la Commission. Cependant, ce retournement ne signifie pas un changement radical de la politique européenne en matière de lutte contre la pollution, où les objectifs de long terme sont maintenus.

Par ailleurs, il est clair que l’intégration du marché énergétique européen, favorisant ainsi la concurrence et donc l’innovation, est l’une des conditions principales pour garantir à la fois l’efficacité économique et une politique environnementale soutenable à long terme. Si les nombreux défis auxquels fait face l’Union européenne lui imposent de faire des choix, ces derniers doivent avant tout assurer la relance de l’investissement et de l’emploi, et pas seulement dans les secteurs directement liés à l’environnement.

Approfondissement du marché unique

Eric Verhaeghe : La Commission commence par asséner que le marché unique est l’une des plus grandes réussites de l’Europe, mais qu’il doit être mieux exploité pour créer de l’emploi et promouvoir la compétitivité de nos industries ! La Commission devrait tout particulièrement développer des dispositions pour favoriser l’industrie aéronautique.

Dans le domaine des services financiers, la Commission enterre (comme je l’avais annoncé début décembre) le projet Barnier de séparation des activités bancaires, en limitant sa réforme à quelques objectifs très vagues : mise en place d’un marché unique des capitaux (ça, c’est moins vague) facilitant l’accès des entreprises au financement productif.

Gérard-François Dumont : Un "marché unique", selon la formulation consacrée, a été réalisée au sein de l’Union européenne (UE). Mais ce qui été fait demeure incomplet. D’une part, il existe encore des différences de réglementation nationales sur les produits et les services qui équivalent à du protectionnisme de certains pays au sein de l’UE. Ces différences créent ainsi des obstacles à la concurrence. Certaines réglementations nationales sur certains produits profitent à certains pays au détriment d’autres. Pour prendre un exemple, certes d’ampleur limitée, chaque année, la période du nouvel an met en évidence la différence de réglementation entre la France et l’Allemagne sur les pétards, ce qui profite aux revendeurs allemands.

D’autre part, la réalisation du marché unique n’a pas engendré, en dépit des promesses annoncées, suffisamment de croissance sans doute parce que, par ailleurs, d’autres politiques publiques ont été néfastes : politique budgétaire laxistes ayant conduit au surendettement de nombreux états, politique éducative qui "produisent" trop d’illettrés…

Quant au marché des capitaux, même si sa réglementation peut évoluer, l’essentiel a été réalisé dans le cadre de la zone euro avec une monnaie unique qui supprime les couts liés au change et aux variations de taux de change entre les pays membres.

Sur la question de l’accès des entreprises au financement productif, est-il limité par les banques ou par le laxisme budgétaire de certains États qui ont abusé de la protection de l’euro pour se sur-endetter ? Les règles fiscales permettant à l’épargne des particuliers de s’orienter davantage vers de l’investissement productif sont insuffisantes parce que nombre d’États donnent préférence à leur souci de trouver des créanciers finançant leur surendettement.

Approfondissement de l’union économique et monétaire

Eric Verhaeghe : La Commission fait vivre la fiction selon laquelle l’emploi et la confiance des citoyens reviendront grâce à un approfondissement de l’Union Monétaire. Quel étrange constat, et quelle étrange conviction ! La Commission propose donc une "souveraineté collective dans la gouvernance économique". On se marre par avance. Elle annonce également vouloir "reinvigorate", revigorer le dialogue social à tous les niveaux. Quelle blague!

Il paraît que la Commission va également lutter contre la fraude fiscale, contre l’opacité dans ce domaine, mais sans remettre en cause la souveraineté des Etats membres dans ces domaines. Juncker nous sert ici le blabla habituel : échanges d’information, taxations nouvelles dans le domaine numérique, lutte contre le blanchiment, et incitation des Etats membres à adopter une taxe sur les transactions financières.

Lire à ce sujet : Le lobby bancaire reprend la Commission Européenne en main

Un traité transatlantique de libre-échange raisonnable et équilibré

Eric Verhaeghe : La Commission affirme que le commerce est bon pour l’emploi et la croissance. Elle propose donc de signer un TTIP bien sous tous rapports (respectueux de la santé, de la diversité culturelle, de l’environnement, etc.), et transparents.

Gérard-François Dumont : A priori, le projet de Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (Transatlantic Trade and Investment Partnership - TTIP) est essentiel d’un point de vue stratégique. En effet, si les Etats-Unis et l’Union européenne définissent des normes commerciales communes, nombre de pays dans le monde seront contraints de s’aligner sur ces normes pour satisfaire à ces deux clients, les Etats-Unis et l’Union européenne qui, réunis, représentent une part considérable de l’économie mondiale et pour pouvoir être concurrentiel face à ces deux puissances économiques.

Toutefois, le TTIP fait face à un premier obstacle dû au fait que la négociation est asymétrique, avec d’un côté, une puissance qui est aussi militaire et, de l’autre, une puissance qui n’est qu’économique et commerciale. Les Etats-Unis assurent toujours la sécurité des pays de l’Union européenne qui ont délaissé et continuent de délaisser leur propre défense. En outre, et à supposer que le TTIP négocié par l’UE soit approuvé par le Conseil européen et le Parlement européen, la vérité consiste à dire que, quel que soit son contenu, son éventuelle mise en place prendra des années non seulement pour mettre à niveau les droits de douance, mais surtout pour harmoniser les réglementation sur les produits, services et investissements. Donc le TTIP idéal, tel qu’annoncé par la Commission, ne peut avoir éventuellement des effets sur l’emploi et la croissance qu’à terme. Il est plus urgent de demander davantage de réciprocité dans les normes commerciales, par exemple dans les échanges avec la Chine.

Un espace de justice et de droit fondé sur la confiance mutuelle

Eric Verhaeghe : La Commission remet sur le tapis la création du procureur européen, qui sera notamment chargé de lutter contre les crimes commis dans plusieurs Etats membres. La Commission devrait par ailleurs légiférer sur l’égalité des chances, notamment en faveur des personnes en situation de handicap. Dans le domaine de l’égalité hommes-femmes, la Commission propose de retirer le projet de directive sur le congé maternité (majoré à 20 semaines) si un accord n’est pas trouvé par les Etats membres dans les 6 mois: une aubaine pour tous ceux qui n’en veulent pas…

La Commission devrait en outre boucler un « Agenda sur la sécurité en Europe », spécialement consacré à la lutte contre le terrorisme.

Vers une nouvelle politique migratoire

Eric Verhaeghe : La Commission devrait durcir les règles en matière d’immigration clandestine.

Gérard-François Dumont : Sur la question migratoire, la Commission devrait commencer par dire quelques vérités[1] à l’exemple des suivantes. D’abord l’UE, comme tout ensemble politique, a le droit et le devoir de contrôler ses frontières pour assurer la sécurité sur son territoire. En deuxième lieu, Schengen a été élargi de façon imprudente sans tenir compte ni de la géographie qui rend très difficile la possibilité pour certains pays européens d’assurer le contrôle de frontières extérieures communes, ni de la capacité des pays à le faire. Une nouvelle politique migratoire supposerait donc de revoir le périmètre de l’espace Schengen. Troisièmement, l’UE doit montrer ses muscles vis-à-vis de pays qui sont responsables de la pression migratoire sur l’UE parce qu’ils ont concouru ou concourent à déstabiliser des pays engendrant des exodes massifs notamment vers l’Europe. Il faut revoir par exemple revoir les accords avec la Turquie qui, par son soutien direct ou indirect à Daech, déstabilise toute une région.

Un acteur global plus fort

Eric Verhaeghe : La Commission annonce officiellement qu’aucune nouvelle adhésion n’interviendra dans les 5 ans. Elle plaide néanmoins pour une politique étrangère commune, avec un objectif de stabilisation politique à ses frontières. Comme d’habitude, la Commission sert le blabla habituel sur la démocratie et les droits de l’Homme, fondements de notre politique étrangère.

Gérard-François Dumont : En septembre 2014, lors de sa première conférence de presse en tant que nouveau Président de la Commission européenne, l’ancien Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Junker a tenu des propos forts. Junker a déclaré que l’institution qu’il s’apprête à diriger est “confrontée à l’ardente nécessité de modifier son image et son fonctionnement”. Il a précisé qu’il “a tiré les leçons des erreurs commises notamment par son prédécesseur, le président sortant de la Commission européenne, José Manuel Barroso. Des erreurs qui ont conduit à une “crise de confiance et [à] une expansion des courants antieuropéens.” Son équipe, qu’il a qualifiée de « gagnante » et « prête à donner un nouvel élan à la construction européenne », est celle de “la ‘dernière chance’ de l'Union”.

L’annonce officielle de la Commission qu’aucune nouvelle adhésion n’interviendrait avant 2020 est largement contradictoire avec les propos de septembre 2014, et frise le ridicule. Parmi les cinq pays qui ont été déclarés officiellement candidats, soit la Turquie, le Monténégro, la Macédoine, la Serbie et l’Islande, aucun, sauf une exception, n’est en mesure de remplir avant 2020 les conditions réglementaires d’adhésion ni au plan formel, ni, et même encore moins, au plan réel. Le seul pays qui pourrait remplir les conditions, l’Islande, ne veut plus concrétiser son adhésion. Donc, affirmer « pas de nouvelle adhésion avant 2020 », c’est un constat, non une décision politique.

Ce qu’il faudrait faire, c’est dresser un bilan objectif des élargissements passés et des pays candidats. Il serait nécessaire en effet de se rendre compte que plusieurs élargissements passés, si souhaitables soient-ils, ont été mis en œuvre selon des méthodes écartant généralement les procédures référendaires, donc démocratiques, et engendrant des effets négatifs.

Prenons un seul exemple[2] jamais présenté : les résultats du parti anti-Union européenne UKIP au Royaume-Uni sont notamment les conséquences des méthodes déplorables d’élargissement. En effet, le cinquième élargissement du 1er mai 2004 tenait au souci de donner un statut institutionnel de membre de l’UE à dix nouveaux pays, sans toutefois leur donner une place entière, notamment du fait de la mise en place d’une période probatoire d’un maximum de sept ans pendant laquelle la liberté de circulation de leurs travailleurs se trouvait restreinte selon les choix effectués par chacun des 15 pays précédemment membres de l’UE.

D’une part, cela consistait à donner aux nouveaux membres non un siège complet, mais un strapontin, certes provisoire[3], attitude plutôt humiliante pour des pays ayant fait l’effort de sortir du communisme[4]. D’autre part, comme parmi les quinze pays membres, seul trois, le Royaume-Uni, la Suède et l’Irlande ont refusé de traiter les nouveaux entrants comme des « membres inférieurs » ; ils ont donc accepté dès le 1er mai 2004 la liberté de circulation des travailleurs. Résultat, le Royaume-Uni a connu une très forte immigration originaire des nouveaux pays entrants et notamment de Pologne[5] puisque les Polonais ne pouvaient bénéficier de la liberté de circulation des travailleurs vers l’Allemagne, la France, l’Italie ou l’Espagne. De même, les étudiants des nouveaux pays membres avaient intérêt à éviter les établissements d’enseignement supérieur dans les pays en partie fermés. En conséquence, à tort ou à raison, nombre de Britanniques ont vécu ou vivent comme une sur-immigration européenne les flux constatés dans leur pays depuis 2004, d’où le vote UKIP et les réactions à ce vote par les gouvernements et les partis politiques britanniques traditionnels.

A la lumière de ce qui précède, un bilan des élargissements de l’UE et des conséquences néfastes des méthodes employées conduirait à décider la suspension de tout nouvel élargissement et la mise en œuvre d’une politique de partenariat sans adhésion avec les pays candidats et les autres pays proches. La double reconnaissance que les peuples européens sont fatigués des élargissements pour lesquels on ne leur a pas demandé leur avis, comme de l’ouverture répétée de négociations d’adhésion dont le fondement reste parfois à justifier, et qu’il faut revoir les méthodes d’élargissement utilisées devrait donc conduire à la fois à arrêter les élargissements en cours et à revoir leurs modalités. Autrement dit, pour réussir "la dernière chance de l’Europe"[6], le titre et la fonction du commissaire à l’élargissement devrait être changé, au moins pour la durée de l’actuelle Commission, par "commissaire au partenariat avec les pays proches".

Une Union du changement démocratique

Eric Verhaeghe : La Commission a décidé d’être plus transparente. Un registre devrait être mis en place à cette fin, permettant de clarifier l’intervention des lobbies dans les décisions. Dans ce cadre, le dossier des OGM devrait être réexaminé pour mieux mesurer l’indépendance des acteurs du dossier. En outre, la Commission va tenter d’améliorer la coordination des institutions et l’évaluation d’impact de toutes ses décisions.

Gérard-François Dumont : Des efforts de transparence sont toujours bienvenus, mais la vraie transparence pour un bon fonctionnement de l’Union européenne supposerait des annonces beaucoup plus ambitieuses. Par exemple, la Commission devrait œuvrer pour respecter et faire respecter le principe de subsidiarité, donc écarter de son ordre du jour et signaler ce qui doit être écarté de l’ordre du jour du Parlement européen toutes les questions qui relèvent des États selon les traités ou peuvent être résolus au niveau de ces mêmes États. Cela diminuerait considérablement l’intervention des lobbies à Bruxelles puisque tout un champ de questions serait, logiquement, exclu de Bruxelles. En fait, je plaide depuis deux décennies pour un (ou plusieurs) observatoire indépendant de la subsidiarité qui dénoncerait toutes les tendances allant vers un impérialisme bruxellois, ce qui ne correspond nullement aux valeurs de l’identité de l’Europe[7] et risque de conduire à terme à l’échec de l’Union européenne.

En outre, en matière de transparence démocratique, il y a un recul du fait de l’augmentation des procédures de co-décision. En effet, chaque fois que le Conseil européen et le Parlement européen sont en désaccord ou risquent de l’être, des tractations se déroulent dont le contenu ne fait guère l’objet de transparence. Sans doute conviendrait-il d’imaginer une instance paritaire qui déposerait un rapport public en s’inspirant, ceteris paribus, par exemple de ce qui existe dans le bicaméralisme français avec les commissions mixtes paritaires entre l’Assemblée nationale et le Sénat, sachant que le Conseil européen peut, dans un certaine mesure, être considéré comme un Sénat ou comme le Bundesrat allemand, alors que le Parlement européen équivaut à l’Assemblée nationale française, au Bundestag allemand ou à la Chambre des Représentants aux Etats-Unis.

Eric Verhaeghe : Bref, on retiendra de l’ensemble quelques affirmations majeures :

  • signature prochaine du TTIP,
  • pas d’adhésion nouvelle dans les 5 ans,
  • mise en place du mini-plan de relance auquel personne ne croit,
  • lutte accrue contre l’immigration clandestine.

Pour le reste, la Commission se contentera de mesurettes sans importance majeure.


[1] Cf. également Dumont, Gérard-François, « La politique d’immigration de l’Union européenne : une stratégie volontaire ou contrainte ? », dans : Berramdane, Abdelkhaleq, Rossetto, Jean (direction), La politique européenne d’immigration, Paris, Karthala, 2009 ; « Les migrations internationales face aux nouvelles frontières de l’Europe » (avec Raimondo Cagiano de Azevedo), Population & Avenir, n° 709, septembre-octobre 2012.

[2] Autre exemple, cf. Dumont, Gérard-François, « Les Roms, révélateurs de certaines contradictions européennes », L’Ena hors les murs, n° 437, décembre 2013.

[3] Dumont, Gérard-François, Verluise, Pierre, Géopolitique de l’Europe, Paris, Armand Colin - Sedes, 2014.

[4] Il faut rappeler que la Pologne est sortie par sa propre volonté du communisme avant l’ouverture du rideau de fer et, donc, avant la chute du mur de Berlin.

[5] Pays de loin le plus peuplé du cinquième élargissement ; cf. Dumont, Gérard-François, « Le cinquième élargissement démographique de l’Union européenne », Population & Avenir, n° 661, janvier-février 2003.

[6] Selon le sous-titre du livre de Valéry Giscard d’Estaing, Europa, Paris, XO éditions, 2014.

[7] Cf. notamment Delsol, Chantal, Mattéi, Jean-François (direction), L’identité de l’Europe, Paris, PUF, mai 2010 ; Dumont, Gérard-François, « Les sept confusions sur l’identité européenne », Entretiens autour de l’identité européenne, Centre International de Formation Européenne, Nice, 2013.

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