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L'argent de Zola, ou le temps ne fait rien à l'affaire
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Boursicoti boursicota

Dans un recueil de courts extraits littéraires, Sophie Chabanel nous invite à réfléchir à la vie en entreprise et la vie économique. A l'heure des crises à répétition, "L'argent" d'Emile Zola garde toute sa vigueur réaliste.

Sophie Chabanel

Sophie Chabanel

Diplômée de HEC, elle s'est reconvertie depuis peu dans l'écriture, avec notamment Managers, relisez vos classiques (Editions Eyrolles, 2011).

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Dix-huitième volume de la série des Rougon-Macquart, L’Argent met en scène le milieu de la Bourse, un univers à part, avec un décor, un langage et des corporations qui lui sont propres. Un univers, surtout, dans lequel l’argent est non seulement la base des transactions, mais aussi un moyen d’ascension rapide, une obsession, une folie – le roman comporte de multiples analogies avec le jeu. Inspiré de faits réels, et notamment de la faillite de l’Union générale en 1882, le roman de Zola raconte l’aventure éphémère de la Banque universelle, depuis sa création jusqu’à son effondrement retentissant, en passant par une phase d’hystérie boursière orchestrée par son créateur. Aristide Saccard est un personnage fascinant, qui engage dans cette folle aventure sa soif de revanche, sa passion, son amoralité et sa démesure – sa banque est censée financer la création de mines, de voies de chemins de fer et d’une compagnie maritime au Moyen-Orient. Distance entre économie « réelle » et univers boursier, dangerosité des bulles financières, opacité des mécanismes financiers, absence de gouvernance : le roman aborde de multiples thèmes au cœur de l’actualité. Au-delà de la description sociologique extrêmement précise et documentée qui caractérise toute l’œuvre de Zola, on y trouve une réflexion profonde sur le rôle de l’argent dans la société et dans la vie de chacun.

«  Saccard avait achevé de mettre la main sur tous les membres du conseil, en les achetant simplement, pour la plupart. Grâce à lui, le marquis de Bohain, compromis dans une histoire de pot-de-vin frisant l’escroquerie, pris la main au fond du sac, avait pu étouffer le scandale, en désintéressant la compagnie volée ; et il était devenu ainsi son humble créature, sans cesser de porter haut la tête, fleur de noblesse, le plus bel ornement du conseil. Huret, de même, depuis que Rougon l’avait chassé, après le vol de la dépêche annonçant la cession de la Vénétie, s’était donné tout entier à la fortune de l’Universelle, la représentant au Corps législatif, pêchant pour elle dans les eaux fangeuses de la politique, gardant la plus grosse part de ses effrontés maquignonnages, qui pouvaient, un beau matin, le jeter à Mazas. Et le vicomte de Robin-Chagot, le vice-président, touchait cent mille francs de prime secrète pour donner sans examen les signatures, pendant les longues absences d’Hamelin ; et le banquier Kolb se faisait également payer sa complaisance passive, en utilisant à l’étranger la puissance de la maison, qu’il allait jusqu’à compromettre, dans ses arbitrages ; et Sédille lui-même, le marchand de soie, ébranlé à la suite d’une liquidation terrible, s’était fait prêter une grosse somme, qu’il n’avait pu rendre. Seul, Daigremont gardait son indépendance absolue vis-à-vis de Saccard ; ce qui inquiétait ce dernier, parfois, bien que l’aimable homme restât charmant, l’invitant à ses fêtes, signant tout lui aussi sans observation, avec sa bonne grâce de Parisien sceptique qui trouve que tout va bien, tant qu’il gagne. Ce jour-là, malgré l’importance exceptionnelle de la séance, le conseil fut d’ailleurs mené aussi rondement que les autres jours. C’était devenu une affaire d’habitude : on ne travaillait réellement qu’aux petites réunions du 15, et les grandes réunions de la fin du mois sanctionnaient simplement les résolutions, en grand apparat. L’indifférence était telle chez les administrateurs, que, les procès-verbaux menaçant d’être toujours les mêmes, d’une constante banalité dans l’approbation générale, il avait fallu prêter à des membres des scrupules, des observations, toute une discussion imaginaire, qu’aucun ne s’étonnait d’entendre lire, à la séance suivante, et qu’on signait, sans rire.»  © L’Argent, Émile Zola, Le Livre de Poche, 1998

Scandales à répétition du monde bancaire, impuissance criante des systèmes de contrôle privés et institutionnels, impact désastreux de certains produits boursiers spéculatifs, revenus indécents des traders : le monde financier de ces dernières années a souvent fait la une des journaux, révélant à chaque fois une nouvelle facette de son iniquité. L’image qui en ressort est celle d’un avion sans pilote, ou d’un château de cartes prêt à s’effondrer au premier courant d’air. Situé dans la France du Second Empire, le roman de Zola consacré à la Bourse permet de faire un pas de côté passionnant pour comprendre les faiblesses de cet univers bien particulier. Grâce au travail de documentation réalisé par le romancier, L’Argent offre, en effet, au lecteur une analyse des mécanismes boursiers, qui, dans ses grandes lignes, reste d’actualité. Au-delà de cet aspect relativement technique, le roman propose une réflexion sur la disparition de la moralité liée à l’obsession de l’argent, trait qui caractérise aussi bien le personnage principal du roman que le monde boursier en général.

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Extrait de Managers, relisez vos classiques de Sophie Chabanel (éditions Eyrolles)

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