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Bons ou mauvais citoyens : voilà à quoi ressemble vraiment le système de crédit social chinois
©Noel Celis / AFP

Black Mirror

Une fois que les citoyens chinois sont sur liste noire, ils ne peuvent plus obtenir de prêt bancaire, créer une entreprise ou acheter un appartement.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : Un reportage de Sébastien Le Belzic pour LCP, déjà disponible en ligne et diffusé ce mardi à la télévision, montre la réalité du système de crédit social en Chine et ses conséquences pour les Chinois.  Sur quels critères et via quels moyens technologiques et techniques le gouvernement chinois se base pour établir ces « classements » au sein de sa population ?  

Emmanuel Lincot: Intelligence artificielle et caméras de surveillance créent désormais le nouvel « homo sinicus »; un sujet consommateur parfaitement normé, parfaitement résigné. Il manifeste une servitude volontaire, croit au bien fondé d’un système dont le régime vante les mérites. Platon a rencontré Han Feizi sous Mao et la première génération des dirigeants communistes. À présent, la cybercrature règne avec un maître mot s’imposant à toutes et à tous: l’efficacité. Toute personne contrevenant à cet ordre général ou à ses modalités de fonctionnement peut s’exposer à de graves ennuis, à la perte de ses points figurant sur le crédit qui lui est alors remis. Ce qui équivaut à une mort sociale. Car toute personne bannie est ostracisée de son emploi, de son environnement proche voire familial. En résulte une conformité absolue, un ennui mortel : la société chinoise est suffocante.  

A quel point cela régit-il la vie quotidienne du peuple chinois ? Est-il performant partout, y compris dans les zones moins urbaines ?  

Il existe naturellement des moyens de contourner ces dispositifs de surveillance dans les zones rurales les plus reculées encore que même l’usage de la monnaie fiduciaire par exemple y soit devenu quasiment impossible. Que vous soyez au fin fond du Guizhou ou a Shanghai, la plupart des transactions se font électroniquement et la traçabilité de vos démarches est immédiatement connue de tous les services. Il ne fait aucun doute que d’aucuns s’y refusent. Mais cela nécessite des trésors d’imagination, le recours à une économie de troc et le fait de s’imposer un exil volontaire. Il est trop tôt pour le voir mais cette société pourtant dictatoriale va engendrer des formes de contre-cultures et de résistances passives déjà à l’œuvre et je pense tout particulièrement aux Tang Ping (ceux, littéralement, qui « restent couchés ») avec des formes d’utopie rurale, minoritaires certes, qui privilégieront le troc par exemple.  

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Un reportage de France 24 diffusé en 2019 montrait l’exemple d’un Chinois qui a découvert qu’il était sur liste noire en raison de son niveau de crédit social. Il s'en est rendu compte lorsqu'il a essayé d'acheter un billet de train. Il ne peut plus voyager. Lorsque vous êtes sur liste noire, il est alors impossible d’obtenir un prêt bancaire, de créer une entreprise, ou d’acheter un appartement. Un phénomène qu’évoque aussi Sébastien Le Belzic. Peut-on parler de citoyen de seconde zone comme il le fait ?    

Je me suis toujours demandé s’il existait une véritable citoyenneté en Chine. La République telle qu’elle a été fondée est le fruit de communautés juxtaposées sous la férule de gouvernements qui, nationaliste ou communiste, ont toujours été autoritaires. Quelle place pour une citoyenneté portant les principes de liberté au cœur même  du projet républicain ? Aucune. Le bannissement social qu’engendre ce système avec critique nominative des personnes tenues pour responsables crée un climat de suspicion et une forme de bannissement qui va au-delà de tous les moyens d’incarcération connus jusqu’alors. Si vous n’êtes pas en conformité avec les attentes du plus grand nombre, vous disparaissez de toute forme de reconnaissance sociale.

Quelle est la réalité pour les citoyens classés sur liste noire ? A quel point la vie se retrouve-t-elle complexifiée ?   Les Chinois sur cette liste noire ont-ils un espoir de voir leur sort évoluer ?  

Ce système de punition existe depuis l’instauration du régime communiste. Le « dang’an » par exemple est un livret qui depuis la naissance vous suit. Y sont consignés depuis votre plus tendre d’enfance, les observations de vos instituteurs, de la police, de vos employeurs. Et si vous avez été d’une manière ou d’une autre condamné, et même réhabilité, ces observations sont consignées et indélébiles. Ce qui change, c’est l’usage de la technique permettant en temps réel de consulter vos données au mépris naturellement de toute considération pour vos droits privés. Jadis, des séances d’autocritique permettaient de vous rééduquer. Le harcèlement numérique que vous pouvez subir est désormais la caractéristique la plus psychologiquement terrifiante mise en place par cette cybercrature.

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Dans quelle mesure ce système du crédit social chinois est-il en train de modifier la société chinoise en profondeur ? Le système est-il désormais trop ancré pour un retour en arrière ?  

Il atomise chaque année davantage le corps social. La société chinoise est une société de contrôle. Le moindre écart est sanctionné. Un idéal de société d’ordre en somme qui ne repose ni sur le serment ni sur le droit mais bien sur la crainte, la nécessite absolue de se conformer aux directives de l’Etat-Parti, l’uniformité des styles de vie, la standardisation même des croyances. Un retour en arrière est improbable. D’une part parce que la majorité de la population y souscrit et j’y vois une forme de pathologie sociale dans cette adhésion collective au contrôle du pouvoir et à cette fascination pour cette soumission au pouvoir de l’argent. D’autre part parce que le progressisme technocratique qui est au cœur du projet communiste serait discrédité et remettrait en cause la légitimité même de l’Etat-Parti. La Chine a servi par ailleurs de laboratoire à l’échelle d’un Etat-continent. Au moyen des Routes de la soie, ce dispositif de contrôle tend à vouloir s’exporter dans le monde non-démocratique qui, ne l’oublions pas, constitue la majorité. George Orwell, dans son imagination la plus cauchemardesque, est désormais totalement dépassé par cette réalité chinoise. Et si nous n’y prenons garde, ce qui se produit  là bas se produira ici.

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