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Balzac, Zola, Proust ou encore Giono : eh oui, nos plus grands écrivains tombaient dans les pièges tortueux de l'orthographe
©Reuters

Bonnes feuilles

Ce petit livre vous offre l’occasion rêvée de plonger malicieusement dans l’histoire de la langue et de la littérature françaises tout en révisant votre grammaire : il vous dit tout sur les plus jolies bévues, perles et fautes de français commises par la fine fleur de nos écrivains ! Extrait du livre "Les plus jolies fautes de français de nos grands écrivains" d'Anne Boquel et d'Etienne Kern aux éditions Payot (1/2).

Anne Boquel et Etienne Kem

Anne Boquel et Etienne Kem

Anciens élèves de l'Ecole normale supérieure, Anne Boquel et Etienne Kern sont agrégés de lettres et enseignent la littérature en classes préparatoires à Lyon.

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On ne lit plus guère, de nos jours, l’ouvrage qui a rendu Balzac célèbre en son temps : Physiologie du mariage. C’est un livre fort plaisant, mais quelque peu déroutant, à l’image de son interminable sous-titre : Méditations de philosophie éclectique sur le bonheur et le malheur conjugal. À sa parution, en 1829, on crie au scandale. Un critique plus féroce que les autres fait remarquer que Balzac ne porte pas seulement atteinte à la morale, mais aussi à la grammaire : « Il eût fallu mettre : conjugaux puisque l’épithète qualificative se rapporte également au bonheur et au malheur des gens mariés. Mais qu’est-ce qu’un solécisme de plus ou de moins pour M. de Balzac ? »

Il est vrai que, pour sa défense, Balzac aurait pu répondre qu’il restait fidèle à un principe hérité du latin et bien attesté dans la littérature classique : la « règle de proximité » voulait que, quand l’adjectif se rapporte à plusieurs noms, il s’accorde avec le plus proche. Racine pouvait, dans Athalie, écrire ces deux vers en toute sérénité :

Surtout j’ai cru devoir aux larmes, aux prières Consacrer ces trois jours et ces trois nuits entières.

Mais l’argument n’aurait sûrement pas suffi à apaiser le sourcilleux critique : au XIXe siècle, cette règle était depuis longtemps tombée en désuétude. Du reste, en fait de négligences, Balzac n’en est pas à son coup d’essai, et il récidivera en 1833 dans Le Médecin de campagne : « Telles étaient la décoration et le mobilier de cette pauvre demeure. »

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Les manuscrits de Proust sont une source infinie d’émerveillements. Les brouillons du premier livre de La Recherche réservent plusieurs surprises aux curieux : primo, la « madeleine de Proust » a d’abord été une biscotte ; secundo, le romancier faisait, comme tout le monde, des fautes d’accord. Voici deux passages qu’on ne trouvera plus, du moins sous cette forme, dans le texte définitif :

Que le goût d’une biscotte trempé dans du thé le fasse seulement tressaillir en nous, nous sentons au plaisir qui nous inonde comme le passé réel […] diffère de celui que l’intelligence nous rappelait froidement. Mais ce plaisir mystérieux est là ce charme qui nous rend indifférent les motifs utilitaires que nous aurions d’y renoncer.

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Quand il se rapporte à des formules comme « le plus » ou « le moins », l’adjectif « possible » demeure invariable. Jean Giono écrit pourtant : « Il voulait lui donner le plus de choses possibles. » (Le Moulin de Pologne)

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Les méandres de la versification font parfois une victime : la règle de l’accord. Dans l’édition originale des Fleurs du Mal (1857), on peut lire :

Ma pauvre muse, hélas ! qu’as-tu donc ce matin ? Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes, Et je vois tour à tour réfléchis sur ton teint La folie et l’horreur, froides et taciturnes. (« La Muse malade »)

« Folie » et « horreur » étant féminins, il faudrait, en bonne logique, que l’adjectif attribut du complément d’objet direct soit « réfléchies ». Mais Baudelaire pouvait plaider non coupable, car la graphie qu’il adopte, pour être grammaticalement aberrante, se justifie selon les lois de la prosodie et relève à ce titre de la licence poétique : en vertu de principes forgés à la Renaissance, les puristes estiment que, dans le décompte des syllabes, il faut prendre en considération jusqu’aux «e» qui ne se prononcent pas. En clair, le féminin « réfléchies » a beau ne pas se distinguer, à l’oreille, de « réfléchis », il aurait compté pour quatre syllabes et le bel alexandrin aurait été dénaturé. Quoi qu’il en soit, Baudelaire n’était pas satisfait de cette entorse à la grammaire ; dans une réédition des Fleurs du Mal, il propose une variante plus prudente :

Et je vois tour à tour s’étaler sur ton teint La folie et l’horreur, froides et taciturnes.

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Alors qu’il prend quelques notes sur son prochain roman – Germinal – dans un carnet de travail, Zola se montre bien distrait : « C’est la scène où les Grégoire se trouvent en face des ouvrier, de l’émeute. Leurs sensations, la logique qui les conduit. Et ce qu’ils penseront ensuite. C’est une scène capital, dont le contrecoup se trouve à la fin. » Actionnaires et ouvriers ont sans doute éveillé chez l’écrivain l’idée du « capital » !

Extrait du livre "Les plus jolies fautes de français de nos grands écrivains" d'Anne Boquel et d'Etienne Kern aux éditions Payot

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