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Atteintes aux libertés publiques de la loi sur le renseignement : à défaut d’éviter son vote, les garde-fous qui pourraient encore limiter le dérapage
©Reuters

Sauver les meubles

La loi Renseignement en débat à l'Assemblée nationale suscite de nombreuses critiques et inquiétudes, qui ne devraient pas freiner la détermination du gouvernement. Pourtant des risques existent, et la volonté d'adopter le dispositif ne doit pas occulter les quelques éléments qui pourraient permettre de sauvegarder les libertés individuelles.

Etienne  Drouard

Etienne Drouard

Etienne Drouard est avocat spécialisé en droit de l’informatique et des réseaux de communication électronique.

Ancien membre de la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés), ses activités portent sur l’ensemble des débats de régulation des réseaux et contenus numériques menés devant les institutions européennes, françaises et américaines.

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Eric Denécé

Eric Denécé

Eric Denécé, docteur ès Science Politique, habilité à diriger des recherches, est directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).

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Atlantico : La loi sur le renseignement discutée à l'Assemblée nationale suscite de nombreuses craintes, venant aussi bien d'associations d'activistes du web que de syndicats, sur son éventuel caractère liberticide. Quelles sont les principales sources d'inquiétudes et sont-elles justifiées ?

Etienne Drouard : Le problème c'est la création d'une autorité administratiuve indépendante qui n'a aucun pouvoir réglementaire. On pourrait espérer qu'une autorité qui contrôle les techniques de renseignemùents le fasse effectivement. Ce n'est pas le cas, elle sa cantonnera au terrain administratif à vérifier qu'un service habilité pour un motif prévu par la loi effectue une certaine technique de renseignement. C'est un contrôle en amont, mais tout l'enjeu quand on parle de renseignements se passe en aval. Par définition, l'information brute n'est pas encore analysée ni qualifiée comme renseignement utile.

Jusqu'à présent le projet de loi prévoit des durée de conservation selon le type de durée concernée. Cela peut-être court – 6 mois – pour les correspondances électroniques. Une conservation plus longue, un an, est faite pour les données de localisation. Quant aux données de trafic (les sites sur lesquelles vous vous rendez par exemple), elles, peuvent être gardées 5 ans. Ces durées s'ajoutent au temps que les acteurs privés (opérateurs de télécom, fournisseurs d'accès, éditeur de réseaux sociaux) doivent conserver des donées de leur utilisateur. De tout cela, l'autorité de contrôle n'aura un oeil que sur la validité de la demande, avant la collecte de données. Ensuite, il n'y aura pas de contrôle sur ce qui a été collecté et qui peut donc être gardé pendant 5 ans.

Eric Denécé : Il y a un premier décret passé le 24 décembre qui a mal été vécu car conçu en catimini, concernant les écoutes. La crainte était à juste titre car beaucoup faisait le paralèlle avec les Etats-Unis et le Patriot Act qui a mis toute la population américaine sur écoute. Mais en France, deux éléments nous protègent : primo, nous n'avons pas les moyens des services américains ; secundo, nous avions jusqu'au début des années 90 une des lois les plus laxistes en matière d'écoutes, mais suite aux affaires de la cellule de l'Elysée, Michel Rocard a fait voté en 1991 une loi plus restrictive et protectrice. 

Ayant le texte de la loi en discussion, je ne suis pas particulièrement inquiet sur l'aspect liberticide, même si certaines dispositions peuvent interpeller : je pense notamment au placement sous surveillance sans qu'un magistrat donne son avis, avec un contrôle seulement a posteriori. Effectivement, il y a un risque. En outre, cette loi ne traite pas stricto sensu du renseignement, elle porte mal son nom. Elle encadre plutôt les méthode de recueil d'information par la police et les services du ministère de l'Intérieur, cela ne donne pas plus de pouvoir à la DGSE.

Les débats sont peu médiatisés et le gouvernement semble vouloir boucler rapidement le dossier. Face à une loi qui devrait réussir à passer, quels sont a minima les garde-fous sur lesquels il faudrait obtenir des garanties pour respecter les libertés individuelles ?

Etienne Drouard : le think tank Renaissance numérique a été auditionné à Matignon le 20 mars et par l'Assemblée nationale le 24 mars, dans un esprit, et a proposé trois choses qui me semble primordiale. La première, c'est que la commission de contrôle ne fasse pas qu'émettre des avis qui peuvent être ignorés dun Premier ministre. Il faut un pouvoir de décision sans empiéter sur le pouvoir régalien. Deuxièmement, la commission doit s'assurer de l'effacement des données collectées après leur analyse. Elle devrait enfin être informée des critères d'analyse des données collectée pour s'assurer que les algorithme utilisés servent bien à repérer les comportements dangereux.

Eric Denécé : Il y a déjà des organes de contrôle qui sont prévus dans la loi, avec la mise en place d'une commission. Maisn oeut-être faudrait-il que comme dans les pays anglo-saxons nous nous dotions d'un "ombundsman", qui permettrait à un citoyen qui se considère comme victime d'une surveillance déplacée de déposer une requête pour qu'une vérification soit faite sur la réalité et la justification d'une écoute. Le défenseur des lois a pour l'instant une mission similaire, mais il manque à la France quelqu'un qui soit spécialement dédié à ces questions, et pourrait être habilité "secret-Défense" pour pouvoir discuter de certains dossier avec les autorités.

Ce que propose cette loi est-il vraiment adapté aux enjeux liés au terrorisme ? Quelles sont finalement les nouveautés ?

Eric Denécé : A 90%, la loi en préparation est l'officialisation de ce qui se faisait déjà. On veut rendre légal des actions qui étaient "borderline". Cela permet de protéger juridiquement les officiers de police, ou de fluidifier l'action de la police en demandant au magistrat de régulariser a posteriori. Mais il n'y a pas de nouvelles méthodes en soi mises en place par la loi.

Cette loi n'a pas de limite dans le temps alors qu'elle s'inscrit dans un contexte, la menace terroriste, qui n'a pas vocation à durer éternellement. Quels sont les risques ?

Eric Denécé : Donner des pouvoirs étendus aux services de renseignements n'a de cohérence que si cela s'inscrit dans un contexte conjoncturel. Une menace terroriste par exemple. Il y a dans la loi française ce que l'on appelle "l'Etat d'urgence" et l'ordonnance de 1959 voulue par le général de Gaulle et utilisée par exemple en mai 1968, ce qui permet pendant une durée limitée de suspendre les libertés civiles (par exemple en établissant un couvre-feu). Dans ce cas de figure, l'élément clé c'est la limitation dans le temps, ce qui rend ce dispositif acceptable dans une démocratie. Et les pouvoirs qui vont être donnés aux services de police par la loi en cours d'adoption devraient aussi être limités dans le temps. Par exemple, imposer une durée de deux ou trois ans à l'issue de laquelle la loi sera rediscutée en fonction de l'évolution du risque terroriste, pur être soit renouvelée, soit abandonnée si la menace a disparu. 

Je le répète, pour l'instant le danger est mesuré car nos capacités sont limités. Mais si demain on décide de doubler le budget du renseignement, ou tripler le potentiel d'écoute, et si un nouveau pouvoir à tendance extrêmiste prend les commandes, on pourrait voir se multiplier les dérives avec un arsenal déjà en place et que l'on ne pourrait plus remettre en cause.

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