Après le Haut-Karabagh, l’Arménie bientôt sous assaut ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Une femme tient un drapeau (à gauche) de la région séparatiste du Haut-Karabakh et un drapeau arménien (à droite) lors d'un rassemblement à Erevan.
Une femme tient un drapeau (à gauche) de la région séparatiste du Haut-Karabakh et un drapeau arménien (à droite) lors d'un rassemblement à Erevan.
©Karen MINASYAN / AFP

Situation dramatique

Si la situation pourrait s’avérer tragique pour l’Arménie en tant que pays, elle l’est d’abord pour tous les Arméniens en tant que peuple.

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy est philosophe, analyste du discours politique et des idéologies.
 
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Abandonnés de tous après l’offensive des forces azerbaïdjanaises, le 23 septembre dernier, le peuple arménien victime d’une épuration ethnique, et l’Arménie unique démocratie du Sud-Caucase, n’auront reçu jusqu’à aujourd’hui que le soutien d’une France fidèle à son histoire, mais isolée sur la scène internationale.

Par la voix de la ministre des affaires étrangères Catherine Colonna qui s’est rendue le 3 octobre à Erevan pour dénoncer une violation azerbaïdjanaise du droit international dans la république d’Artsakh (Haut-Karabakh) la France est le seul état, parmi les démocraties occidentales, a avoir assuré l’Arménie d’un soutien militaire.

Si la situation pourrait s’avérer tragique pour l’Arménie en tant que pays, elle l’est d’abord pour tous les Arméniens en tant que peuple. Car la barbarie anti-arménienne qui guide l’envahisseur turco-azerbaïdjanais n’est vraisemblablement qu’une étape dans une redistribution des territoires du Sud-Caucase où la Russie, la Turquie et l’Iran instrumentalisent à leurs profits le droit des états contre le droit des peuples. 

Dès lors, le primat d’une realpolitk qui ne s’embarrasse pas des questions d’éthique pose une grave interrogation, dans la mesure où la conquête barbare du Haut-Karabakh avec la complicité militaire de la Russie et le silence assourdissant de l’ensemble de la communauté internationale est corrélée à des atteintes à l’intangibilité des frontières de l’Arménie. Le pays subit régulièrement depuis 2020 « les assauts de l’Azerbaïdjan (sur) son territoire souverain », comme le rappelle Tigrane Yégavian auteur de l’étude Géopolitique de l’Arménie. Soutenues par la Turquie, les forces armées azerbaïdjanaises occupent actuellement illégalement une partie du territoire arménien dans les provinces de Syunik et Gegharkunik.

1.Droit des peuples

100 mille personnes sur les 120 mille habitants que comptaient le Haut-Karabakh ont fui leur terre ancestrale, arménienne depuis le IXème siècle, pour se réfugier en Arménie. Un pays qui se vide entièrement de la totalité de ses habitants en moins d’une semaine, la situation est inédite. Face à cela comment comprendre l’inertie intellectuelle, morale et politique de l’Occident ?

Car avant l’attaque foudroyante de septembre la population arménienne du Haut-Karabakh était déjà soumise, à partir de décembre 2022 à une situation génocidaire à cause du blocus du corridor de Latchine par les forces de sécurité azerbaïdjanaise, qui affamaient les Arméniens et les privaient de médicaments, d’eau, et d’électricité.

Si la stratégie géopolitique de reconquête des territoires arméniens par l’Azerbaïdjan est centrale dans la volonté expansionniste pan turque d’Erdogan, le génocide des Arméniens de 1915, orchestré par le gouvernement turc de l’époque, demeure la pierre angulaire explicative de la situation, qualifiée d’ « épuration ethnique » par la député européenne Nathalie Loiseau et bon nombre d’observateurs.

Car aujourd’hui dans cette région du monde, par-delà les enjeux stratégiques, géopolitiques et territoriaux, le peuple arménien est une fois encore confronté à la haine viscérale de la Turquie et de l’Azerbaïdjan qui ont toujours nié le génocide arménien de 1915.

La haine de l’Arménien fait partie de la culture turco-azérie. C’est cette même haine de l’Autre, contre la richesse de sa culture et la profondeur de son âme qui se lit dans sa langue, semblable à cette haine du juif qui, de progroms en massacres a conduit quelques années après le premier génocide du XXème siècle en Arménie, à la Shoah. 

C’est sur cette même haine de la première nation chrétienne qu’en vingt ans, l’Azerbaïdjan islamiste, comme la Turquie depuis plus d’une siècle, a bâti son nationalisme conquérant. C’est un fait, il n’est que de lire les manuels scolaires, les peuples turcs et azerbaïdjanais sont éduqués dès l’enfance à haïr les Arméniens. En Turquie les dissidents au régime, qui veulent rétablir la vérité sur le génocide des Arméniens et sur l’histoire de la nation turque, sont emprisonnés et assassinés.

La guerre éclaire de 2020, durant laquelle l’Azerbaïdjan a de nouveau démembré la terre d’Arménie, pour faire passer sous sa coupe le territoire de l’Artsakh, fut émaillée de tueries, de viols et d’égorgements contre les civils, au mépris de toutes les règles du droit international et humain. Mais enfermée dans un soutien muet à l’armée Azerbaïdjanaise, qui employait des milices syriennes et se comportait en terroristes islamistes, la communauté internationale n’a pour l’heure condamné ces actes de barbarie génocidaire que du bout des lèvres.

De facto, depuis septembre 2023, la Commission européenne, présidée par Ursula von der Leyen (malgré la signature d’une déclaration commune d’aide économique avec Nikol Pashinyan en marge du sommet de la Communauté politique européenne, à Grenade le 5 octobre) le Conseil européen dirigé par Charles Michel, ne condamnent pas les visées génocidaires de l’Azerbaïdjan en Artsakh, tout comme l’ONU, qui refuse de mettre en place une puissante force d’interposition qui seule pourrait ramener la paix dans cette région du monde et empêcher le risque d’une invasion programmée des territoire de l’Arménie à la frontière de l'Iran.

Car le geste sincère de la France, comme celui du Parlement européen (pourtant significatif par sa dénonciation d’un « nettoyage ethnique » et sa condamnation de « l’attaque militaire planifiée et injustifiée de l’Azerbaïdjan contre le Haut-Karabakh le 19 septembre) bien que marquant une avancée très positive, demeurent pourtant symboliques et ne pourront à eux seuls stopper les objectifs de la conquête azérie sous l’égide de la Turquie.

2.Droit des Etats

Abandonné, le peuple arménien est à nouveau comme au XXème siècle - quand une partie de son territoire fut annexée par la Russie et l’autre cédée à la Turquie génocidaire - la proie facile d’une réorganisation implacable du monde.

Avec la guerre en Ukraine la division bipolaire du monde entre deux grandes puissances a éclaté. Elle se recompose en un monde multipolaire et, dans le Sud- Caucase en particulier, entre les velléités impérialistes de la Turquie, de la Russie et de l’Iran. Et l’on se demande quel sort peut-être réservé à une Arménie victime de son isolement sur la scène internationale, face aux objectifs pan turcs géopolitquement expansionistes du régime dictatorial de Recep Tayyip Erdogan.

Comme le rappelle l’envoyée spéciale du magazine Le Point Marine de Tilly, dans l’un des ses excellents reportages sur le terrain : « dans le cône Sud de l’Arménie, sur le flanc ouest du Syunik, au carrefour des frontières arménienne, azerbaïdjanaise et turque (…) beaucoup se demandent comment l’armée arménienne, dramatiquement plus faible en nombre et en armement, pourra défendre le sud de son territoire ».

Mais pour comprendre l’inertie des grandes Instances internationales faisant l’autruche face à l’épuration ethnique et les crimes de guerre commis par l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh, il faut donc se pencher sur la nature complexe et parfois contradictoire du droit international tout autant que sur les enjeux géopolitiques d’une région bouleversée par l’effondrement de l’empire qu’y exerçait l’URSS jusqu’à la dernière décennie du XXème siècle.

Car c’est au nom du droit des états que l’Azerbaïdjan, satellite de la Turquie, se ré-approprie impunément un territoire qui ne lui a jamais appartenu durant la domination soviétique, entre 1922 et 1991, qu’en tant qu’oblast autonome. Cet aspect de la question du Haut-Karabakh aurait dû légitimé à lui seul l’existence et la reconnaissance d’une autonomie politique de la république d’Artsakh au nom du droit à l’autodétermination.

Dés lors, si aujourd’hui l’Artsakh n’a toujours pas été aidé, secouru au nom « du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » c’est en réalité au nom « du droit des états », dont l’Azerbaïdjan c’est prévalu tout en l’usurpant.

Le Président dictateur Ilham Aliev n’a réussi sa conquête par la force de l’Artsakh qu’au mépris total de la population, ne lui laissant par la terreur, les massacres et les exactions, pas d’autre choix que de fuir dans sa totalité. 

Désormais le danger est immense pour ce petit pays qu’est l’Arménie. Dans son rêve fou de reconstruction d’un empire ottoman, Erdogan projette l’annexion d’une partie de l’Arménie pour constituer un corridor (Zanguezour) le long de la frontière iranienne, qui relierait la Turquie, le Nakhitchevan azerbaïdjanais et l’Azerbaïdjan.

La question arménienne concerne aussi bien l’Europe que l’ONU, car à la volonté de conquérir un territoire s’ajoute, dans le projet panturquiste d’Erdogan celle d’imposer sa vision islamiste du monde.

Seule une intervention de l’OTAN sous mandat onusien pourrait aujourd’hui aider l’Arménie qui accueille les 100 mille réfugiés d’Artsakh, mais pour la protéger il faudrait que les grandes puissances envisagent de l’aider militairement. Comme le rappelle Marc Semo dans Le Monde : « l’autodétermination reste avant tout une affaire de circonstances et de rapport de forces ».

Un petit nombre de pays sur la planète sont contraints de faire face à la double nécessité de défendre leur existence, à la fois en tant qu’état et en tant que peuple. C’est le cas d’Israël depuis sa naissance, dont la tragique histoire est à nouveau sanglante et meurtrière et cette fois, situation inédite, sur son propre sol ; atteinte par des actes terroristes dont la nature génocidaires, affirmée par la volonté de « tuer les juifs », est évidente.

Israël et l’Arménie sont aujourd’hui confrontés au mêmes enjeux vitaux : lutter pour leur existence territoriale autant qu’humaine. Ce sont deux démocraties toutes deux enclavées au milieu de pays hostiles qui les haïssent, et elles ont in fine, sous deux figures différentes, un ennemi commun : l’islamisme anti-sémite et anti-chrétien en guerre contre l’Occident tout entier. 

Espérons que dans le cadre de cette réorganisation multipolaire du monde dans le Sud-Caucase, le choix de Nikol Pachinian - qui a fermement marqué sa rupture avec la Russie de Poutine en signant le Statut de Rome qui crée un nouveau système juridique international, et en adhérant à la Cours Pénale Internationale (CPI) - apportera dans un avenir le plus proche possible, et dans la durée, un soutien solide et efficace à l’Arménie de la part de l’ensemble du camp occidental contre le projet pan turc d’Erdogan.

Face au drame du Haut-Karabakh et aux menaces pesant sur l’Arménie, le Laboratoire de la République créé par Jean-Michel Blanquer vous invite le 19 octobre prochain à la première étape d’une mobilisation de l’opinion publique. L’objectif de cette initiative est de décrypter les enjeux humanitaires et géopolitiques de la tragédie en cours et de fédérer le plus grand nombre autour de propositions concrètes.

En présence de
Hasmik Tolmajyan, ambassadrice d’Arménie en France
Hovhannès Guévorkian, représentant du Haut-Karabagh
Nathalie Loiseau, députée européenne
Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale.
Tigrane Yegavian, chercheur et auteur, spécialiste géopolitique
Jean-Christophe Buisson, journaliste et spécialiste de l’Arménie
et de plusieurs associations arméniennes, de nombreux intellectuels et politiques qui s’engagent aux côtés du Laboratoire pour qu’un soutien et des solutions durables s’organisent.

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