Anne d’Autriche, une femme de pouvoir malgré elle<!-- --> | Atlantico.fr
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Une femme regarde un portrait d'Anne d'Autriche, peint en 1625 par Pierre Paul Rubens, présenté dans l'exposition "Mousquetaires !" (Mousquetaires !) au Musée de l'Armée à Paris, en 2014.
Une femme regarde un portrait d'Anne d'Autriche, peint en 1625 par Pierre Paul Rubens, présenté dans l'exposition "Mousquetaires !" (Mousquetaires !) au Musée de l'Armée à Paris, en 2014.
©BERTRAND GUAY / AFP

Bonnes feuilles

« Femmes d’Etat. L'art du pouvoir, de Cléopâtre à Angela Merkel » est publié sous la direction d’Anne Fulda aux éditions Perrin. Cet ouvrage dresse les portraits politiques et intimes de femmes illustres et décrypte leur façon d'exercer le pouvoir au quotidien et leur gestion des grandes crises. Extrait 2/2.

Simone Bertière

Simone Bertière

Simone Bertière est une biographe et écrivaine française. Son œuvre, couronnée par de nombreux prix, a renouvelé en profondeur nos connaissances sur l’histoire des femmes et de l’Ancien Régime (biographies référentes de Retz, Mazarin, Condé notamment), tout en abordant avec succès l’Antiquité (Apologie pour Clytemnestre, Le Roman d’Ulysse) et l’histoire littéraire (Dumas et les Mousquetaires : histoire d’un chef-d’œuvre).

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Qui est Anne d’Autriche ? Qu’a-t-elle fait pour figurer parmi les femmes qui, tels des hommes, ont gouverné leurs États d’une main qui ne tremblait pas ? Son patronyme renvoie au pays d’origine des Habsbourg, mais elle est issue de la branche espagnole. C’est pour célébrer la réconciliation entre Paris et Madrid, après plus de un siècle d’affrontements, qu’ont été négociés en  1615 les mariages croisés entre fils et filles des deux pays. Anne est censée, par son influence, ramener la France dans l’orbite espagnole. En vain : c’est le contraire qui prévaut du vivant de son époux. Mais la naissance tardive d’un dauphin, puis le veuvage la qualifient ensuite pour une régence, lui ouvrant l’accès à l’autorité suprême, qu’elle n’a jamais convoitée. Et l’obsession de la transmettre, intacte, à son fils qui n’a encore que 4 ans et demi opère en elle une métamorphose. Elle ne sait pas gouverner ? Pour lui, elle apprend peu à peu, sur le tas, et elle se heurte à de redoutables obstacles. En sus de son intuition de femme, elle les aborde avec une intelligence et un courage qui font d’elle une vraie souveraine.

Un couple mal assorti

Arrière-petite-fille de l’empereur Charles Quint, Anne est la princesse la plus titrée de l’Europe catholique. Elle en épouse le souverain le plus convoité. Symétrie trompeuse : Louis XIII dispose de la plénitude du pouvoir, la reine, elle, n’a aucun droit, rien que des devoirs. Le principal d’entre eux est de donner un héritier à son époux. Cependant, Anne a été préparée par son père à un rôle d’ambassadrice d’appoint. Elle possède tous les atouts nécessaires. Elle est intelligente et on la dit fort belle. À la vérité son nez, un peu trop long, risque de forcir avec l’âge et la moue typique des Habsbourg alourdit l’ourlet de sa lèvre inférieure. Mais ses grands yeux bruns, striés de reflets verts, illuminent un visage d’un ovale régulier. Son abondante chevelure châtain, frisée à grosses boucles, présente quelques reflets de leur blondeur native. Ses mains, très blanches, joignent à la finesse une extrême mobilité qu’elles conserveront dans un âge avancé. Elle est à l’évidence de type flamand. Sa carnation laiteuse lui vaut un teint fragile, qu’elle a longtemps gâté en se fardant trop de rouge. Mais elle resplendit de santé et affiche une joie de vivre dont s’accommode fort bien sa piété sereine.

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Plutôt que sa beauté, c’est son charme qui fascine. Il émane d’elle une séduction immédiate, que ne dépare aucune minauderie, mais qui n’a rien à voir non plus avec de la douceur. Elle plaît à tous, sans distinction de sexe ou d’âge, et l’on est incité à lui plaire en retour. Elle en tire un pouvoir qui survivra au passage des années. Que n’est-on prêt à faire pour elle ? Déjà les soupirants s’agglutinent, sous couleur d’« innocente galanterie » selon Mme de Motteville, et l’impudent envoyé britannique, Buckingham, se permet des comportements qui outrepassent les bienséances. Pour son époux, désormais atteint d’une infection intestinale très grave, dont les abcès récurrents mettent parfois sa vie en danger, le temps est loin de leur brève lune de miel. Elle tarde à lui donner un dauphin. La patience n’étant pas son fort, il se berce d’espérances illusoires, dont il lui impute l’échec supposé. Ombrageux et fragile, il souffre et son humeur s’en ressent.

Ils n’ont quasiment rien de commun. Si au moins ils pouvaient avoir une franche explication! Elle l’intimide. Il s’en veut de ne pas la dominer. Hélas! il a conservé de son bégaiement infantile l’horreur de toute confrontation verbale. C’est donc par écrit qu’il lui transmet ses ordres et lui signifie l’incessant renouvellement de son entourage. Il l’enferme dans un réseau de surveillance, dont elle parvient soit à franchir les mailles grâce à des complicités extérieures, soit à desserrer l’étreinte en retournant les espions, émus par ses larmes. Elle y gagne un statut de victime qui lui vaut la sympathie générale. Mais comme nul n’ose incriminer le roi, on en tient rigueur au ministre qui, depuis 1630, a pris en main la conduite des affaires, le cardinal de Richelieu. La cause de la recluse rejoint ainsi celle de la turbulente noblesse, luttant contre la mise au pas qui lui est imposée. C’est de la reine que se réclament les rebelles, c’est sous sa bannière que se rassemblent les comploteurs acharnés à la perte du pernicieux conseiller.

D’un mal peut sortir un bien

Contre Richelieu s’accumulent bientôt des griefs supplémentaires. Les Espagnols ne cessant de pousser leurs pions en Italie du Nord, il a convaincu le roi, en  1635, de leur déclarer la guerre. Anne est au désespoir. L’aîné de ses frères, Philippe IV, a remplacé leur père à Madrid; le cadet, dit le cardinal-infant, dirige de Bruxelles la campagne militaire sur le front Nord-Est. Un résidu de cordon ombilical relie encore leur sœur à eux : des échanges épistolaires circulent par des voies détournées. Leur donne-t-elle des informations majeures ? Tout ce qu’elle peut dire est de notoriété publique. Mais, légalement, elle se rend coupable de correspondance avec l’ennemi. Ses relations avec les milieux dévots, où l’on prône une paix « blanche », achèvent de la compromettre. Richelieu, voyant le pacifisme gagner du terrain, jusque auprès du roi, se décide en 1637 à crever l’abcès.

Menée par lui à la mi-août, la confrontation entre les époux tourne au psychodrame. Ne pouvant sévir contre elle, on choisit de la dompter. Lors d’un interrogatoire serré, elle boit jusqu’à la lie le calice de l’humiliation. Convaincue de mensonge et de parjure, il lui faut s’engager, par serment écrit, à se conduire dorénavant « selon son devoir ». Mais, en retour, Louis XIII promet de vivre avec elle « comme un bon roi et bon mari doit faire avec sa femme ». Assuré de sa soumission, il s’y applique enfin avec succès : le 5 septembre 1638 vient au monde un dauphin, bientôt suivi d’un autre fils. La joie d’être père lui inspire-t-elle quelque affection pour son épouse ? Elle renforce au contraire son écrasant mépris. Mais Anne n’en a que faire. Elle sort de l’épreuve largement gagnante. Mère d’un fils appelé à succéder bientôt à son père malade, elle se trouve promise à une régence d’une durée inhabituelle, où ses choix seront déterminants. De jour en jour, elle mesure le poids que lui donne sur l’échiquier politique son pouvoir à venir.

Déjà, elle est mieux traitée. Contre l’avis du roi, on lui laisse, sous stricte surveillance, le soin de ses enfants. À Saint-Germain, elle peut savourer les joies de la maternité et faire admirer à un entourage, désormais bienveillant, les premiers exploits de son aîné, qu’elle idolâtre. Le soupçon ne l’effleure pas que Richelieu est à l’origine de ces faveurs. Elle conserve ses préventions contre lui, comme fauteur de guerre et principal responsable des vexations qu’elle a subies. Avertie que son beau-frère Gaston d’Orléans et le favori du roi, Cinq-Mars, mènent des négociations avec l’Espagne pour éliminer le cardinal, elle applaudit, prête à s’engager. Le complot déjoué, elle découvre épouvantée que les conjurés se sont vendus à Philippe IV pour vassaliser la France. Va-t-elle être suspectée de complicité? Ô miracle! Aucun des accusés ne mentionne son nom – peut-être ne leur a-t-on pas posé la question… Elle finit par comprendre que Richelieu, mourant, l’a élue pour maintenir en tant que régente la ligne politique en cours – la seule qui soit propre à faire de son fils le maître en son royaume. La voici enfin pleinement française.

L’accès au pouvoir

Louis XIII n’était pas aimé. Lorsqu’il meurt enfin le 14 mai 1643, Anne d’Autriche doit aux rigueurs qu’il lui a infligées un gros capital de sympathie. Nul ne soupçonne sa récente métamorphose. On s’attend à la voir signer la paix dans des termes voulus par Madrid. Or, elle en est loin! Il lui faut donc s’assurer au plus vite d’avoir les coudées franches. Le défunt, contraint par tradition de lui confier la régence, avait résolu, dans son testament, de la flanquer d’un Conseil où sa voix serait neutralisée. Démarche illégale ! Il suffit d’un « lit de justice » où trône l’enfant roi, le 18 mai 1643, pour que le Parlement en décerne le titre à sa mère sans limitation de pouvoir – à cette réserve près que son oncle Gaston d’Orléans assurera le commandement des armées. Elle en sort sous les acclamations et le soir même elle annonce, à la surprise générale, qu’elle prend pour principal ministre Mazarin, un protégé de Richelieu, expert en politique étrangère, dont Louis XIII avait fait in extremis le parrain de son fils. Le message est clair : la continuité prévaudra à l’extérieur comme à l’intérieur. Pas question de compromis avec les deux Habsbourg, celui de Vienne, sur qui Turenne est tout près de l’emporter, et celui de Madrid, contraint d’abandonner la Picardie après la prise d’Arras et de lâcher tout récemment le Roussillon. La régente se garde bien de suspendre la campagne du fougueux duc d’Enghien qui, le lendemain, 19 mai, taille en pièces les tercios espagnols à Rocroi. Pour ses pieux amis, la déception est rude. Pour son frère Philippe IV aussi.

Condamnée à gagner la guerre, Anne doit se donner les moyens de la victoire. Or elle en sous-estime les difficultés. Propulsée de l’extrême sujétion à un pouvoir sans bornes apparentes, elle se fait de la monarchie une idée simpliste : un souverain a par essence tous les droits et ses décisions ne sont pas négociables. Elle croit qu’il en va de même pour l’autorité temporaire qui lui est déléguée au nom de son fils : en toutes choses, sa volonté doit prévaloir. En revanche, la gestion des affaires au jour le jour la rebute. On la dit paresseuse : « La pesanteur du sceptre l’incommodait », explique Mme de Motteville. Peu importe ! Mazarin s’en chargera, il lui suffira de garder le cap fixé par Richelieu.

La reine tient un minimum de Cour, mais elle jouit surtout de sa liberté retrouvée. Elle vit à l’heure espagnole, se couchant tard, se levant tard. Longtemps frustrée de dévotion extérieure, elle accumule les manifestations de piété. On la voit courir d’une église à l’autre pour les fêtes carillonnées. Elle visite les couvents féminins où la règle est légère, qui lui offrent une forme de vie privée : elle y tient des conversations sans contrainte, en savourant ses friandises préférées. Mais chaque jour, elle se réserve un temps pour prier seule, dans l’oratoire qui fait suite à sa chambre. Dans l’exercice de ses fonctions, en revanche, elle se contente de dispenser charges et gratifications au gré de ses sympathies. Il n’est qu’un cri dans Paris : « La reine est si bonne… » Jusqu’au jour où l’imminence de la banqueroute laisse sur le carreau un gros contingent de quémandeurs et où les charges font défaut pour satisfaire les anciens amis. Il apparaît alors qu’elle a tout à apprendre dans l’art de gouverner.

Elle croit avoir du temps devant elle : l’âge du petit roi – 5 ans à peine – lui promet, jusqu’à sa majorité à 13 ans, une longue régence préservée de toute contestation. C’est oublier que les Français, eux, ont hâte de démanteler les mesures prises par Louis XIII, notamment la concentration des pouvoirs entre les mains du roi au détriment des instances intermédiaires – noblesse d’épée et noblesse de robe. Quand se tarit le flot des largesses, les mécontents s’agitent en ordre dispersé tout d’abord, avant de se coaguler en rébellion ouverte, puis en guerre civile entre 1648 et 1651. Comme il subsiste quelque respect pour l’autorité royale, on ne s’en prend pas directement à la régente : les attaques, d’une extrême violence, se concentrent sur son ministre.

Extrait du livre « Femmes d’Etat. L'art du pouvoir, de Cléopâtre à Angela Merkel », publié sous la direction d’Anne Fulda aux éditions Perrin

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