Accueil des migrants : l’étonnante évolution droite-gauche de l’opinion allemande <!-- --> | Atlantico.fr
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69% des Allemands craignent que l’accueil en nombre ne crée un vaste mouvement d’appel d’air.
69% des Allemands craignent que l’accueil en nombre ne crée un vaste mouvement d’appel d’air.
©Reuters

Note Ifop

Bien qu’étant très majoritairement favorable à l’accueil de migrants sur son sol, l’opinion allemande est néanmoins traversée par des sentiments contradictoires. 69% des Allemands craignent que l’accueil en nombre ne crée un vaste mouvement d’appel d’air et quasiment la même proportion (64%) redoute que des terroristes potentiels se soient infiltrés parmi les migrants.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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L’Allemagne est confrontée depuis des mois à une arrivée massive de centaines de milliers de migrants sur son territoire. Face à cette situation sans comparaison en Europe, la société allemande et ses dirigeants politiques, économiques et spirituels ont décidé, dans leur grande majorité, de répondre présents et d’accueillir ces migrants. Cela s’est traduit symboliquement par des scènes de fraternisation où l’on a vu de très nombreux citoyens allemands se mobiliser et venir accueillir, aux frontières ou dans les gares, les colonnes de réfugiés avec des pancartes de bienvenue, des fleurs et de la nourriture. C’est un visage ouvert et accueillant que l’Allemagne a présenté au monde. Mais dans le même temps, les attaques et les incendies contre les centres d’hébergement se sont multipliés dans tout le pays (on en dénombrait 252 sur les 8 premiers mois de l’année soit près d’un par jour) et le président de la République fédérale, Joachim Gauck, mettait en garde contre la résurgence d’une « face sombre de l’Allemagne ».

>>>>>>>>>>>> A lire également : Les cartes Eurostat qui montrent comment l’Allemagne commence à paniquer au sujet de l’immigration

Cette nouvelle note de notre série Chroniques allemandes revient chiffres à l’appui sur ces questions pour mesurer et comprendre quel est l’état de l’opinion publique allemande face à la question des migrants.

1. C’est en Allemagne que l’adhésion à l’accueil des migrants est la plus élevée

L’enquête de l’Ifop réalisée pour la Fondation Jean Jaurès et la Foundation for European Progressive Studies dans 7 pays européens révèle que le principe d’une répartition des migrants dans les différents pays de l’Union avec comme conséquence un accueil d’une partie d’entre eux dans chaque pays divise profondément les opinions publiques européennes. La ligne de clivage ne renvoie pas au niveau de richesse du pays ni à des proximités géographiques entre des groupes de pays ;une autre logique s’impose.Comme le montre la carte suivante, l’Allemagne objectif premier des migrants, d’une part, et l’Italie porte d’entrée principale en Europe avec la Grèce, d’autre part, se distinguent par un niveau d’adhésion à l’accueil de migrants sur leur territoire extrêmement élevé avec 79% de « favorables » en Allemagne et 77% en Italie.

Bien entendu, ces chiffres témoignent d’un degré d’ouverture très important de ces deux sociétés sur ce sujet mais ces interviewés ont sans doute également opté pour cet item car il inclut aussi le principe d’une répartition du problème qui pèse d’abord et avant tout sur leur deux pays : 69% des Italiens, mais surtout 86% des Allemands, soit et de loin les taux de réponse les plus élevés à cette question, pensent en effet que leur pays accueille davantage de migrants que les autres pays membres.

Face à ces deux Etats très en pointe en matière d’accueil des migrants, le Royaume-Uni avec seulement 44% de favorables, la France (46%) et les Pays-Bas (48%), nations très différentes les unes des autres, constituent le bloc de l’opposition. Le Danemark (57%) et l’Espagne (67%) se placent quant à eux, largement dans le camps des pro-accueil. Ces différences d’attitude très marquées entre les pays européens s’expliquent en partie par les prises de position des dirigeants politiques nationaux mais la réciproque existe. Si un accord européen de répartition a été si difficilement trouvé, c’est parce qu’un certain nombre de dirigeants nationaux ont campé sur des positions très dures sachant qu’ils auraient le soutien de l’opinion dans leur pays. Et inversement, si Angela Merkel a pu défendre avec force le devoir d’accueil (et la nécessité d’une répartition de l’effort entre les différents Etats-membres), c’est que l’état de son opinion publique lui permettait de pousser assez loin sur cette question. François Hollande par exemple devait quant à lui composer avec un pays beaucoup plus divisé.

Interrogées sur les actions à mener en priorité en réponse à cette crise migratoire, les opinions publiques européennes penchent à l’unisson pour l’aide au développement et à la stabilisation des pays du sud de la Méditerranée pour fixer les populations sur place. Cette option arrive loin devant le développement de programmes d’aide et d’accueil pour les immigrés dans les pays européens, le renforcement des contrôles aux frontières ou l’intervention militaire en Syrie. Mais comme on peut le voir sur le graphique suivant, le niveau d’adhésion à l’aide au développement varie selon les pays et c’est en Allemagne qu’il est le plus élevé avec 55% de citations. Signe supplémentaire d’ouverture de ce pays, l’Allemagne se classe en avant-dernière position sur l’item « renforcer les contrôles aux frontières et lutter contre l’immigration clandestine en provenance du sud de la Méditerranée » et en dernière position concernant une éventuelle « intervention militaire en Syrie pour stabiliser la situation » avec 12% de citations seulement contre 21% en moyenne dans les 6 autres pays.

L’ouverture de la société allemande ne se lit pas seulement sur les questions d’attitudes générales mais également en termes de comportements et d’engagements individuels. 9% des Allemands déclarent ainsi donner de leur temps pour aider des migrants et 31% avoir l’intention de le faire. Ces chiffres placent notre voisin très largement en tête concernant l’implication personnelle des citoyens et témoignent donc de la profondeur et de la réalité du mouvement de solidarité ayant saisi toute une partie de la société allemande.

Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, l’adhésion à l’accueil des migrants n’est pas plus faible dans les Länder qui sont les plus directement exposés. 74% des habitants de Bavière, Land du sud de l’Allemagne par lequel arrivent principalement les flux de migrants en provenance des Balkans après avoir traversé l’Autriche voisine, se déclarent favorables à l’accueil (et à la répartition entre les différents Etats-membres, rappelons-le), soit un score proche de la moyenne allemande qui s’établit à 79%. De la même façon, on ne constate pas de différences entre Länder de l’ouest (80% de favorables) et anciens Länder de l’est (78%).

Ces très faibles variations régionales traduisent le fait que la question des migrants est principalement abordée dans un cadre national, comme une problématique concernant tout le pays et non pas comme un sujet local. Dans ce contexte, cette question revêt une dimension éminemment politique et recrée partout en Europe du clivage gauche-droite. Comme on peut le voir sur le tableau suivant, on constate en moyenne un écart de 30 à 40 points entre les réponses des sympathisants de gauche et de droite sur l’adhésion à l’accueil, sauf en Allemagne, dirigée par un gouvernement de coalition, où l’écart n’est « que » de 18 points.

La très forte implication d’Angela Merkel en faveur de l’accueil des migrants a de surcroît incontestablement joué sur l’opinion des électeurs de la CDU/CSU qui affichent le plus haut taux d’adhésion à l’accueil de tous les électorats de droite européens avec 72% d’approbation, soit 43 points de plus que ce qu’on observe par exemple chez les sympathisants des Républicains en France. Cette attitude extrêmement ouverte de l’électorat chrétien-démocrate allemand contribue également à expliquer la relative faiblesse de l’écart gauche/droite sur cette question dans ce pays.

2- L’approbation de différentes opinions concernant la crise des migrants

Bien qu’étant très majoritairement favorable à l’accueil de migrants sur son sol (et à la répartition des flux entre les différents Etats-membres), l’opinion allemande est néanmoins traversée par des sentiments contradictoires. 79% des personnes interrogées (dont 42% de « tout à fait d’accord ») déclarent ainsi que « c’est le devoir de notre pays que d’accueillir des migrants qui fuient la guerre et la misère » et c’est en Allemagne que cet impératif moral est le plus partagé (25 points d’écart par exemple avec la France et la Royaume-Uni sur cet item). Mais dans le même temps, 69% des Allemands craignent que l’accueil en nombre ne crée un vaste mouvement d’appel d’air et quasiment la même proportion (64%) redoute que des terroristes potentiels se soient infiltrés parmi les migrants.

3- La durée de présence des migrants en Allemagne : un grand hiatus entre le pronostic et le souhait…

54% des Allemands pensent que les migrants vont faire leur vie en Europe et s’installer durablement en Allemagne. A l’inverse, l’idée selon laquelle les migrants ne seraient que de passage et qu’ils envisageraient à terme de retourner dans leur pays quand la situation le permettra ne convainc que 37% des interviewés. Le schéma qui prévaut dans les esprits n’est donc absolument pas celui de l’exil temporaire.

Le pronostic sur la durée des migrant en Allemagne/ Le sougait concernant la durée de la présence des migrants en Allemagne

Or, dans le même temps, 72% des Allemands espèrent que les migrants ne resteront que quelques mois ou années dans leur pays contre seulement 28% qui souhaitent que les migrants s’installent et fassent leur vie en Allemagne.Le hiatus est spectaculaireet interroge à terme sur la persistance de la bienveillance vis-à-vis de l’accueil. Ces chiffres viennent également nuancer les élans de générosité observés et laissent augurer de graves tensions potentielles sur le sujet à l’avenir. Cela d’autant plus dans un contexte où l’opinion publique allemande anticipe une poursuite du rythme des arrivées des migrants sur le long terme. En effet, un cinquième de la population pense que les flux vont se tarir dans quelques semaines ou quelques mois (21%). Un tiers pronostique plutôt une poursuite de cette crise migratoire pendant 1 ou 2 ans, etun autre tiers table plutôt sur une période de 3 ans et plus.

L’anticipation d’une poursuite à ce rythme des arrivées de populations très importantes, populations dont on pense par ailleurs qu’elles s’installeront durablement dans le pays, scénario qui est, on l’a vu, très massivement rejeté, pourrait donner lieu à une tension croissante sur cette question.

L’anticipation d’une poursuite à ce rythme des arrivées de populations très importantes, populations dont on pense par ailleurs qu’elles s’installeront durablement dans le pays, scénario qui est, on l’a vu, très massivement rejeté, pourrait donner lieu à une tension croissante sur cette question.

4. L’opinion allemande reste très majoritairement favorable à l’accueil mais s’est sensiblement durcie en quelques semaines.

Les mouvements d’opinion que nous avons observés à l’occasion de la réalisation d’une seconde vague d’enquête effectuée pour la Fondation Jean Jaurès et la Foundation for European Progressive Studies seulement trois semaines après le premier sondage, vont partiellement en ce sens. Certes, l’approbation de l’accueil de migrants sur le territoire allemand se maintient à un niveau extrêmement élevé puisque 75% des Allemands demeurent favorables, soit un repli de seulement 4 points par rapport à l’enquête précédente. Néanmoins, derrière cette stabilité apparente, plusieurs indicateurs convergent dans le sens d’un durcissement de l’opinion publique allemande. Ainsi, sur les items dont on a vu précédemment qu’ils structuraient fortement l’attitude face à l’accueil, les évolutions intervenues sur une période de seulement trois semaines sont marquées. Désormais, 59% des Allemands pensent ainsi que leur pays a les moyens économiques et financiers d’accueillir des migrants, soit une baisse de 10 points. Le recul est également de 10 points sur l’adhésion à l’idée selon laquelle l’accueil de migrants constitue une opportunité pour stimuler la croissance. Parallèlement, on enregistre une hausse de 11 points sur l’item « notre pays compte déjà beaucoup d’étrangers ou de personnes d’origine étrangère et accueillir des immigrés supplémentaires n’est pas possible ».

Fait notable, quand on analyse les résultats dans le détail, on constate que du fait de l’engagement d’Angela Merkel, qui a notamment été invitée d’une grande émission à la télévision au cours de laquelle elle a défendu ses positions, sa base électorale continue de tenir sur la question des migrants et donc de la soutenir. En revanche, le décrochage est beaucoup plus marqué dans l’électorat de gauche. Ainsi par exemple, 68% des sympathisants de la CDU/CSU adhèrent à l’idée que l’Allemagne a les moyens économiques et financiers d’accueillir des migrants, soit une baisse de seulement 3 points par rapport à l’enquête précédente. La chute atteint en revanche 12 points dans l’électorat de gauche (qui approuve néanmoins encore à 75%). De la même façon, l’adhésion à l’idée selon laquelle l’Allemagne compte déjà beaucoup d’étrangers ou de personnes d’origine étrangère est stable dans l’électorat chrétien-démocrate (35% contre 36% il y a trois semaines), alors qu’elle a progressé de 14 points à gauche pour atteindre 32%.

Les sondages réalisés par les instituts allemands confirment ces mouvements mais également la capacité d’Angela Merkel à résister dans son électorat. Ainsi par exemple, selon le Politbarometer du Mannheimer Forschungsgruppe Wahlen réalisé du 6 au 8 octobre pour la chaîne de télévision ZDF, 46% des Allemands (en recul de 4 points) étaient satisfaits du travail de la chancelière sur la question des migrants, contre 48% (+5 points) qui se disaient mécontents. Mais sa cote sur le sujet demeurait largement majoritaire auprès des sympathisants de la CDU/CSU (64%) et la satisfaction globale à l’égard de son action en tant que chancelière était de 70%. Une autre enquête publiée début octobre par le magazine Stern et RTL indiquait une baisse sensible de son score sur la question de la Kanzlerpräferenz (la préférence en terme de choix pour occuper le poste de chancelier). Angela Merkel obtenait ainsi 47%, soit un score en recul de 9 points sur une période de 10 semaines, mais les observateurs remarquaient qu’elle demeurait loin devant ses concurrents et seulement 3 points en dessous de sa moyenne historique sur cet indicateur.

Si l’on revient aux chiffres de l’enquête Ifop pour la Fondation Jean Jaurès et la Foundation for European Progressive Studies, un autre élément s’inscrit dans le sens d’un durcissement rapide de l’opinion outre-Rhin. 80% des personnes interrogées souhaitent que les migrants ne restent que quelques mois ou années en Allemagne, ce score étant en progression de 8 points par rapport à l’enquête précédente.

Dans le même mouvement, le renforcement des contrôles aux frontières et la lutte contre l’immigration gagnent 7 points et se classent désormais en seconde position des actions les plus prioritaires, détrônant symboliquement le développement en Allemagne de programmes d’aide et d’accueil pour les immigrés.

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