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Abandon des Eurobonds : prémédité ou subi par François Hollande ?
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Double discours

Dans un entretien à l'hebdomadaire allemand Die Zeit, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a indiqué que les Euro-obligations n'étaient plus une priorité pour Paris. A une semaine du sommet européen de Bruxelles, François Hollande renonce donc à l'une de ses principales promesses de campagne. S'agit-il d'un retour au réalisme politique face à l'intransigeance de Berlin ou de la fin d'une stratégie politique qui s'adressait avant tout à l'opinion publique française ?

Sylvie Goulard

Sylvie Goulard

Sylvie Goulard est députée européenne, membre du groupe ADLE (Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe) au Parlement européen, et membre du Groupe Eiffel Europe (www.groupe-eiffel.eu)

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Atlantico : A une semaine du sommet européen de Bruxelles, Paris a renoncé à la création d'Euro-obligations... Dans un entretien publié par l'hebdomadaire allemand 'Die Zeit' jeudi, Jean-Marc Ayrault a ainsi reconnu qu'il faudrait "plusieurs années" avant de pouvoir mutualiser les dettes des pays européens... Cette soudaine marche arrière signifie-t-elle que François Hollande et Jean-Marc Ayrault se convertissent au réalisme politique ?

Sylvie Goulard : Je ne suis pas porte-parole du gouvernement. Mais les Français ont, soit sous-évalué l’obstacle, soit tenté un dernier baroud d’honneur. En tant que rapporteur du Parlement européen qui a travaillé le dossier pendant 18 mois, je peux vous dire qu’il y a une opposition féroce de l’Allemagne aux Euro-obligations, du moins dans leur forme pleine et entière. Il n’y a aucune volonté allemande de mettre en commun la dette de la zone euro. Et quand ils disent qu’il y a des obstacles, ils ont raison. Je suis frappée par la manière désinvolte dont on parle en France de la mise en commun de la dette. Dans la plupart des familles, ça ne se fait pas forcément de prendre sur son dos les dettes de ses frères et sœurs. La mise en commun de la dette suppose d’avoir un mécanisme de gestion de contrôle des dépenses de ceux qui s’endettent avec votre propre garantie. Il y a un paradoxe à demander aux Allemands des pas extrêmement avancés dans l’intégration, qui requièrent à l’évidence des structures fédérales, tout en étant très réticent sur la question du fédéralisme. C’est un élément qui exaspère les Allemands.  

Durant la campagne présidentielle, François Hollande, accusé de mollesse, s'était engagé à se montrer ferme face à l’Allemagne… La semaine dernière, Jean-Marc Ayrault et François Hollande ont haussé le ton face à Angela Merkel. Etait-ce seulement « un effet de manche » destiné à l’opinion publique française pour montrer qu'il tenait ses promesses de campagne ?

Je ne partage pas cette manière de concevoir les relations franco-allemandes. Et je dis exactement la même chose aux Français qui haussent le ton qu’aux Allemands qui haussent le ton. Nous sommes coresponsables de notre avenir, coresponsables de la prospérité de nos économies. C’est bien beau de faire des effets de manche, mais après il faut aller se rasseoir à la table des négociations avec les gens avec lesquels on s’est engueulé. Je ne vois pas ce que cela apporte. Chaque fois qu’il y a un changement de chancelier ou de président, il y a une période de flottement. Les débats politiques nationaux sont beaucoup trop repliés sur le cadre national. C’est dommage, les opinions publiques françaises et allemandes sont assez matures pour comprendre que chacun doit faire des concessions… Madame Merkel n’a pas reçu François Hollande lorsqu’il était candidat, je pense qu’elle a eu tort. Ne pas recevoir dans une réunion technique quelqu’un qui peut devenir le président français, c’est se priver d’un moyen de convaincre. Chacun peut planter des banderilles et mettre en avant une attitude de petit vainqueur, mais à la fin, ils vont devoir se retrouver derrière la même table. J’espère qu’ils vont se remettre à travailler avec un ton plus approprié à la gravité de la situation.

Derrière la « bataille de mots » médiatique, François Hollande serait-il finalement beaucoup plus pragmatique qu’il n’a bien voulu le montrer ces dernières semaines ?

Le président de la République cherche aujourd’hui à calmer le jeu. Le pragmatisme fait parti des vertus de ceux qui exercent le pouvoir. Dans un système collectif, il faut bien réussir à composer avec les autres pays membres.   

En enterrant le projet d’Euro-Obligations, François Hollande fait une concession de taille à Angela Merkel. Peut-il espérer obtenir en retour des concessions de l'Allemagne sur d'autres points ? Lesquels ?

Il y a une prise de conscience en Allemagne d’un certain nombre de choses. La première, c’est la situation des banques en Espagne qui appelle des mesures communes : supervision bancaire au niveau de la zone euro, fonds de garanti des dépôts, etc… Deuxièmement, il y a le volet croissance sur lequel François Hollande a pris le relai de Mario Monti qui défendait déjà l’idée depuis l’automne dernier. Le troisième volet concerne l’union politique pour accompagner les mesures nouvelles qui exigent un débat démocratique. En tant que parlementaire, j’y suis très sensible. On ne peut plus continuer à gérer la zone euro de la même façon : prendre des mesures qui engagent des milliards d’euros et ne pas avoir de débat démocratique. Et là, l’Allemagne est plutôt en avance par rapport à la France. L’Allemagne demande une union politique plus poussée. Il faut rappeler qu’en 1992, les Allemands voulaient l’union politique en même temps que l’Euro. La France avait refusé et nous payons aujourd’hui très cher ce manque de clairvoyance.

Est-il  préférable de négocier avec l’Allemagne de manière frontale, comme a d’abord semblé le faire François Hollande, ou plutôt de jouer la carte de la confiance comme a pu le faire Nicolas Sarkozy ?

Ce n’est pas une question de rapport de force. Il faut comprendre les Allemands qui ne se rendent pas compte de la difficulté des pays du Sud car ils connaissent eux-mêmes une période de prospérité. Il y a un travail de pédagogie à faire. Il faut convaincre les Allemands qui ont de bonnes raisons de se méfier de pays comme la France, l’Espagne ou l’Italie dans lesquels on n’a pas toujours fait ce qu’on avait promis.

En s’alliant à d’autres pays comme l’Espagne et l’Italie, la France peut-elle constituer un contre-pouvoir à celui de l’Allemagne en Europe ?

Je n’aime pas le mot alliance. Je ne crois pas que les pays de la zone euro doivent commencer à faire des alliances. Est-ce que vous pensez qu’on a une chance de convaincre des investisseurs de mettre leur argent dans la zone euro si notre message est un message de division ? Nous n’allons pas créer une coalition de pays qui ont des problèmes contre le seul pays dont la stature et la puissance financière peuvent garantir le système.

Dans l’interview qu’il nous a accordée hier, Bruno Le Maire affirme : « La réalité économique montre bien que l’Allemagne est le pays qui donne le « la » à la situation économique dans toute l’Europe, qu’on le veuille ou non. » La seule solution pour la diplomatie française est-elle vraiment de se soumettre à la volonté d’Angela Merkel ?

Il y a une autre solution pour la France : se retrousser les manches et faire les réformes qu’elle repousse depuis vingt ans. La France doit regagner des parts de marché à l’exportation, la France doit réduire son déficit public, la France doit réformer son marché du travail comme l’Italie vient de le faire. C’est le seul moyen de retrouver notre crédibilité économique. Lorsque que nous aurons fait ce travail, nous pourrons discuter à égalité avec l’Allemagne. Il n’y a pas de volonté hégémonique de l’Allemagne. Ce pays a fait depuis dix ans des réformes structurelles douloureuses. L’Allemagne a su moderniser son industrie, être présente sur les marchés émergents. A nous d’en faire autant. Notre capacité à être entendu en Europe est liée à notre performance. Prétendre que l’on va refuser de se soumettre aux uns ou aux autres lorsqu’on n’a pas fait ce qu’il fallait pour être totalement indépendant, c’est assez étrange…

En s’alignant sur les politiques d’austérité voulues par l’Allemagne, l’Europe ne risque-t-elle pas de s’enfermer dans la récession ?

L’Allemagne ne demande pas forcément des politiques d’austérité, mais simplement la limitation des dépenses publiques. Ce n’est pas forcément de l’austérité que de supprimer des dépenses inutiles. Quand on a un empilement de collectivités locales comme on l’a en France, on peut se demander si l’argent public est bien utilisé. L'Allemagne ne demande pas l’austérité pour l’austérité. Elle demande une meilleure gestion conformément à nos engagements. Nous payons aujourd’hui les conséquences de notre propre désinvolture. Ce n’est pas l’Allemagne qui vient nous infliger des sanctions. Le stock de dettes est tel que personne ne veut plus nous prêter.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio.

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