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A la SNCF, les 152 000 cheminots, soit seulement un centième des salariés français, seraient responsables de 25 % du total annuel des jours de grève en France
©Reuters

Bonnes feuilles

Coupées du terrain, plombées par les luttes internes, moins éloignées du patronat qu'elles ne veulent bien le dire, la CGT, la CFDT, la CFTC ou FO sont incapables de prévenir des dérives graves dans les ports, les imprimeries, le rail, les entreprises de nettoyage ou la police, sans oublier certains grands comités d'entreprise, transformés en fiefs et ponctionnés à outrance. Extrait de "Le livre noir des syndicats" d'Erwan Seznec et Rozenn Le Saint, aux éditions Robert Laffont 2/2

Rozenn Le Saint

Rozenn Le Saint

Journaliste économique et social, Rozenn Le Saint collabore régulièrement pour MarianneLiaisons sociales et Santé & Travail.

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Erwan Seznec

Erwan Seznec

Après avoir travaillé à La Tribune et Marianne, Erwan Seznec a passé huit ans à Que Choisir. Journaliste indépendant, réputé pour ses enquêtes sans parti pris, il a collaboré à Histoire secrète du patronat (30 000 ex, La Découverte, 2014). Il est également l'auteur de Syndicats, grands discours et petites combines (Hachette Littératures, 2006).

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SNCF, la redoutable efficacité des syndicats de cheminots

Représentant un centième seulement des quinze millions de salariés du pays, les 152 000 cheminots de l’établissement public industriel et commercial SNCF sont souvent présentés comme les responsables de 25 % du total annuel des jours de grève que connaît la France, avec des pointes au-­delà de 40 % les grandes années – 1995, 2003, 2014, etc.

Ce chiffre impressionnant est à prendre avec précaution, car le décompte des grèves, tous secteurs confondus, est imparfait. L’indicateur le moins mauvais est celui de la Dares, la Direction des études et des statistiques du ministère du Travail. Il porte seulement sur le secteur privé, sans la fonction publique, et il rate tous les petits débrayages. Pour que la Dares ait connaissance d’un conflit, il faut que ce dernier se déroule dans les formes, avec préavis transmis à l’Inspection du travail. La Dares est, du reste, consciente des limites de son indicateur. Elle mène une enquête de terrain peu connue mais très intéressante à intervalles réguliers, l’étude « Réponse ». Cette dernière laisse penser que huit conflits sociaux sur dix dans le privé ne sont pas répertoriés. Comme ceux de la SNCF, au contraire, sont tous connus, la part de cette dernière dans le total national serait surévaluée.

La SNCF met en accès libre tout l’historique des conflits depuis 1947, année par année. Il est exprimé selon un indicateur maison, la « journée de travail perdue par agent ». Cet indicateur fluctue entre 0,5 les années calmes (0,49 en 2011, 0,56 en 2012) et 2 ou davantage les années difficiles, comme en 2003 (2,26), voire près de 6 pendant la grande crise de 1995 (5,82), années de réforme des retraites. Le chiffre 2014 n’est pas encore connu mais il sera élevé, en raison des dix jours de grève nationale du mois de juin.

L’indicateur maison du rail laisse penser que la « conflictualité » est sous contrôle. La courbe est nettement orientée à la baisse depuis les années 1970. Avec la SNCF, toutefois, il faut être prudent, car la fausse transparence est une de ses spécialités. Dans les statistiques de ponctualité, elle ne compte pas les trains annulés, ni les trains ayant moins de cinq minutes cinquante-­neuf secondes de retard. Dans les arrêts de travail, elle ne compte pas les arrêts longue durée. Et concernant les mouvements sociaux, les syndicats l’accusent régulièrement de ne pas compter tous les grévistes. Sans parler du fait qu’il y a gréviste et gréviste. Un débrayage massif au service de presse pléthorique de la SNCF a moins de conséquences pour les voyageurs que l’arrêt de travail d’un seul conducteur de TGV.

La question de savoir à quelle fréquence et avec quelle intensité les cheminots font grève appelle donc une réponse un peu impressionniste. Sur la base des préavis, il est à peine exagéré de dire que les cheminots sont toujours en grève. Plus exactement, il y a toujours, quelque part en France, pour une raison ou pour une autre, une partie du personnel de la SNCF qui débraye.

Voici le relevé sur les derniers mois de 2015.

Septembre. Du 2 au 3, grève dans les TER Rhône-­Alpes. Tous les week-­ends, grève dans les TER d’Aquitaine. Grève dans les TER de Lorraine les 21 et 22. Grève générale et nationale le 23. Grève des trains en Aquitaine, en plus des TER, le dernier week‑end du mois.

Octobre. Grève générale nationale le 8. La grève se poursuit en Paca le 9. Grève à Agen les 13 et 14. Grève des TER dans le Limousin du 16 au 19, dans le Nord-­Pas-­de-­Calais les 17 et 18 .

Novembre. Compter les jours sans préavis de grève est plus rapide, il y en a eu seulement quatre. Successivement ou simultanément, Paca, Poitou-­Charentes, Champagne-­Ardennes, Rhône-Alpes et certaines lignes nationales débrayent.

Décembre, idem. Du 6 au 31, il n’y a pas une journée sans grève. Les départs et les retours de congés sont localement perturbés. Une année ordinaire se termine à la SNCF. Une centaine de préavis en 365 jours, rien d’étonnant.

Une identité construite sur la grève

L’historien Christian Chevandier a publié il y a quelques années un ouvrage au titre éloquent, Cheminots en grève, la construction d’une identité. Selon lui, « il est indispensable de percevoir quelle place occupent les mouvements sociaux, particulièrement les grèves, dans leur identité professionnelle ». L’identité en question pourrait se résumer ainsi : les travailleurs du rail sont l’avant-garde de la classe ouvrière. Leur force collective leur permet de mener des combats que ne peuvent plus soutenir les ouvriers ou les employés, trop dispersés. Tout ce qu’obtiendront les cheminots en matière d’avancée sociale profitera tôt ou tard à l’ensemble de la famille des travailleurs. Ils sont, c’est le cas de le dire, la locomotive des avancées sociales. Ils ne font pas grève seulement par corporatisme mais aussi par idéal.

Des appels à la grève pour n’importe quel motif

Au vu des résultats des élections professionnelles de 2015, la première organisation de la SNCF reste la CGT (34 %), devant l’Unsa (24 %), SUD (17 %), la CFDT (15 %) et l’alliance FO‑First-­CFE-­CGC (un peu moins de 10 %). Sur la durée, le mouvement le plus net est le recul lent mais constant de la CGT au profit des autres organisations, SUD excepté. La CGT a perdu dix points entre 2004 et 2015. SUD est stable à 17 % depuis une décennie. Les autres organisations montent régulièrement.

Les deux organisations les plus combatives de la maison sont indubitablement la CGT et SUD.

Sous leur impulsion vigoureuse, l’entreprise connaît, plus qu’aucune autre, les grèves électoralistes, visant à démontrer la combativité d’une organisation contre une autre.

D’une manière générale, les motifs de grève avancés par les organisations syndicales sont à prendre avec recul, à la SNCF. À l’été 2009, par exemple, le Paris-­Granville est paralysé, officiellement parce qu’un jeune n’a pas été gardé à l’issue de sa période d’essai. En réalité, le Paris-­Granville est alors une ligne vétuste, sujette à de nombreux dysfonctionnements – c’est toujours le cas. Les cheminots sont à cran.

Courant 2015, des grèves affectent les TER. Officiellement, les cheminots protestent contre une automatisation croissante – « l’équipement agent seul », dans le jargon interne – qui va entraîner la suppression du contrôleur à bord. Les syndicats dénoncent un risque de fraude et d’insécurité accru, alors que 90 % des trains d’Île-­de-­France roulent sans contrôleur depuis des décennies. La raison réelle du conflit reste incertaine, mais elle est peut-­être liée à la crainte de voir des régions françaises confier leur TER à un concurrent de la SNCF.

Les régions sont les « autorités organisatrices des transports ». Peu convaincues par le rapport qualité-­prix de la SNCF, elles s’interrogent de plus en plus ouvertement sur la possibilité de changer d’opérateur. Aujourd’hui, en moyenne, les régions subventionnent à hauteur de 7 800 euros par an chaque abonné au TER. Si la Deutsche Bahn peut faire aussi bien pour moins cher, pourquoi pas ? Demain, elle pourrait prendre en charge les TER de Lorraine ou d’Aquitaine. La loi le permet. La compagnie allemande devrait toutefois réembaucher les salariés aujourd’hui employés par la SNCF. En sauvant des postes de contrôleurs objectivement peu utiles, les syndicats entendent probablement mettre des bâtons dans les roues des régions tentées d’aller à la concurrence. Si le coût en personnel est trop élevé, les opérateurs alternatifs hésiteront à candidater.

Extrait de Le livre noir des syndicats d'Erwan Seznec et Rozenn Le Saint, publié aux éditions Robert Laffont, mai 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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