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3,5 millions de Franciliens dans les méandres du RER : les mystères d’un millefeuille sociologique
©DR

Transports en commun

Maryne Buffat a publié avec plusieurs co-auteurs le livre "Les passagers du RER" aux éditions "Les Arènes". Une enquête sociologique qui en dit beaucoup sur notre société.

Maryne Buffat

Maryne Buffat

Maryne Buffat est diplômée en sociologie et philosophie politique et éthique à l’université Paris‑4 Sorbonne, et en urbanisme et programmation à l’Institut d’urbanisme de Paris. Chargée de programmation urbaine en bureau d’études puis à la communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, elle étudie l’effet de l’évolution des systèmes d’acteurs, des méthodes et des concepts de l’urbanisme sur la fabrication des espaces urbains.

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Atlantico : Vous venez de publier, en collaboration avec plusieurs co-auteurs, un livre consacré au transport emblématique de l’île de France, "Les passagers du RER" paru aux éditions « Les Arènes ». Si Paris et l'île de France peuvent être perçues comme le lieu de concentration des richesses du pays, quelle est la réalité de la diversité sociale qui peut apparaître au travers du RER ? En quoi le RER est-il le révélateur de ce que vous qualifiiez de millefeuille sociologique ?

Maryne Buffat : L’aménagement du RER est représentatif de plus de 40 de politiques d’aménagement et de dynamiques sociales en France et plus particulièrement dans la métropole francilienne. Ses 5 lignes ont la spécificité de relier les banlieues de l’agglomération parisienne en traversant chacune la ville de Paris, selon un plan en étoile, qui s’étend pour certaines jusqu’aux limites de l’Ile-de-France. Et en 40 ans, la sociologie de l’agglomération parisienne à beaucoup évolué, avec un centre parisien qui s’embourgeoise considérablement (45% de cadres contre 14% en France en moyenne aujourd’hui) et des territoires qui se spécialisent socialement : l’Ouest parisien cossu, riche en emplois tertiaires et qualifiés, la Seine St Denis populaire et active, principale sas d’entrée de l’immigration internationale et semées de grandes zones d’activités, et des zones plus mixtes sur le plan sociologique, en croissance d’une population périurbaine, lorsque l’on descend vers le Sud de l’agglomération, entre les banlieues et les campagnes du Val de Marne et de l’Essonne. Ces lignes raccordent donc des territoires extrêmement diversifiés, en termes de profils de population, avec un millefeuille sociologique que l’on ne retrouve nulle part ailleurs sur le territoire français.


Dans quelle mesure le RER peut-il être considéré comme un lieu de croisement de catégories sociales qui, en dehors de ce moment de transport, ne se rencontrent pas ?  


Le RER relie entre eux des lieux d’emplois et d’habitations qui ne présentent le même profil de population, et qui utilisent ce moyen de transport pour aller travailler. En conséquence, certaines populations ne se croisent régulièrement qu’à l’intérieur du RER. Les textes de Lola Nicolle, qui parsèment le livre, décrivent bien ce frôlement. La ligne B, par exemple, - qui fait l’objet d’un article de Laurent Davezies dans notre ouvrage - a la particularité de présenter tout le prisme de classes sociales franciliennes. Elle relie les territoires embourgeoisés du Sud Ouest de Paris aux territoires populaires du melting pot de Seine St Denis, ex-banlieues rouges, qui concentrent aux portes de Paris de nombreuses activités (Plaine St Denis, pôle Roissy Charles de Gaulle). Entre le tronçon Nord et le tronçon Sud de la ligne B, vous croisez ainsi des cadres qui vont travailler dans les pôles tertiaires de la métropole, et des employés et ouvriers qui vont travailler dans les secteurs à fort besoin de main d’œuvre. Sur cette ligne, la différence de revenus varie de 1 à 6 selon les zones, comme le prix des loyers.  Autre exemple, la ligne C longe la Seine et relie la campagne de l’Essonne et des Yvelines, aux banlieues très urbanisées de l’agglomération en remontant à l’Ouest, tout comme la ligne D, qui remonte à l’Est. Ainsi en fonction de la portion que vous empruntez, ce ne sont pas les mêmes profils de population qui entrent ou qui sortent sur le réseau, selon, par exemple, que vous soyez dans le secteur de Villeneuve Saint Georges très populaire, ou de Yerres, alors que vous êtes sur la même ligne (D), à quelques stations d’écart. 


Vous abordez l'histoire du RER au travers de sa représentation médiatique, en utilisant les archives disponibles. Comment a évolué cette représentation au fil du temps ? 

A travers la restitution de nombreuses archives du journal le Monde, qui couvre la période des premiers travaux jusqu’à aujourd’hui, vous suivez la réception de cette infrastructure par les analystes mais aussi les usagers, immergés dans l’épopée du RER. Ceux, bien placés, qui voient leur quotidien s’améliorer avec la fluidification des transports, et ceux qui subissent les désagréments d’un réseau sélectif, centrifuge, tourné vers le centre de la métropole, et qui souffrent de la longueur et des ruptures de charges de certains trajets dans les banlieues. On perçoit ici la puissance de l’Etat à aménager puis sa faiblesse face au développement des inégalités socio-économiques, la puissance du réseau dont la fréquentation augmente, mais qui parvient difficilement à tenir la cadence, nécessitant à la fois la construction de nouvelles infrastructures, de lignes, et davantage de moyens d’entretien pour enrayer les dysfonctionnements d’infrastructures parfois obsolètes. 


4- Souvent décrié, considéré comme anxiogène, le RER regroupe aujourdhui 3.5 millions d'usagers quotidiens. Quels sont les enjeux futurs du RER ? Ce réseau est-il encore à la hauteur d'une telle métropole ?  


Le RER est considéré comme anxiogène en étant victime de son succès. Sa fréquentation augmente dans le temps, certains lignes sont saturées aux heures de pointes, avec des périodes de l’année qui peuvent s’avérer extrêmement pénibles (fortes chaleurs de l’été par exemple). Les temps de trajets, les changements de ligne, le monde, le sentiment de non-lieu et d’engoncement dans les « tuyaux », peut créer ce sentiment, et devenir répulsif. Les futures rames du RER se devront ainsi d’offrir une expérience usager plus agréable, comme cela peut-être le cas dans certaines rames du tramway parisien, ou certaines rames de la ligne E. Plus globalement, ce réseau centralisé n’est plus à la hauteur d’une ville globale comme la métropole francilienne, devenue multipolaire, et se doit d’être complété. C’est le rôle du projet du Grand Paris express, seconde grande phase de l’aménagement de la métropole, qui desservira, par un système de grandes rocades franciliennes, les banlieues et grands pôles entre eux, ce qui manque aujourd’hui à l’infrastructure en « étoile » du RER. Mais d’autres liaisons doivent être développées, car les boucles du « Grand huit » du Grand Paris express ne couvriront pas toutes les zones. Une politique de transport en commun à toutes les échelles, selon des tarifs concurrentiels et des formats adaptée aux besoins de transports, est absolument nécessaire pour desservir tous les segments de l’agglomération, et améliorer la mobilité durable de millions d’usagers.

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