2024 : enfin l’utopie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'année 2024 sera-t-elle chargée d'espoir ?
L'année 2024 sera-t-elle chargée d'espoir ?
© Bertrand GUAY / AFP

Bonne année

46% des Français pensent que 2024 sera une meilleure année que 2023.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Selon une étude, 46% des Français pensent que 2024 sera une meilleure année que 2023 ! 35 pays ont été interrogés en cette fin d’année. Les Français se sentent toujours plus pauvres, suite à l’inflation. 23 % ont des difficultés ou de très grandes difficultés financières, et seulement 9 % déclarent vivre confortablement. À côté de cela, 54 % estiment qu’il faudra plus d’un an pour que l’inflation « revienne à la normale », et 24 % de pessimistes déclarent que celle-ci ne reviendra jamais à la normale. 

Alors quelle réalité ? 

Nous savons que c’est Thomas More qui crée le terme utopie, précisant qu’elle n’est en aucun lieu, puisqu’elle n’est que fantasme et rêverie... (sur un plan onirique, c’est un peu le songe d’une nuit d’été de Shakespeare).

L’utopie est un monde inconnu… peut-être celui même décrit par Platon dans le mythe de la caverne.

De ces ombres projetées au loin, de ces sons qui reviennent en échos… qu’en fait l’Homme ? Rester prostré dans son présent, se réfugier dans le passé, ou penser son demain en s’appuyant sur des vérités acquises ?

Mais à quand remonte notre désir que le plaisir d’un bien vivre ensemble l’emporte sur la destruction que porte profondément en lui l’Homme ?

C’est en 1516 que Thomas More, à travers son oeuvre « Utopia », évoque une île imaginaire où « règne » une société parfaite également imaginaire, où l’on n’a que mépris pour l’or et l’argent, est-elle réalisable ?

Cette utopie est celle d’une société idéale et parfaite ; laquelle est, selon certains auteurs, tenue pour chimérique et ainsi nommée péjorativement ou au contraire, constitue le principe d’un progrès réel, un ferment et un stimulant pour un avenir meilleur. 

Mais… Au même moment, en 1513, à quelques milliers de kilomètres, Outre-Manche, en Italie, à Florence… Un homme très influent, emprisonné, a terminé la rédaction d’un ouvrage, actuellement encore plus connu, vendu et traduit dans le monde.

« Le Prince » de Machiavel ! Même si l’ouvrage ne sera publié (1532) qu’après sa mort (1527).

La pensée de Machiavel est totalement politique, immorale.

Résumer sa pensée tient en une phrase immortelle : « La fin justifie les moyens ! » 

Deux hommes qui, à la même époque, publient des ouvrages en totale opposition idéologique ne peuvent que nous interpeler, et nous renvoyer à la question posée initialement. 

Vie et mort, construction et destruction… Liberté ou emprisonnement ? Vice ou Vertu ? Bien ou Mal ?…

Nous pouvons décliner longuement. Surtout à cette époque.

Ces réflexions fortement teintées de christianisme n’expliquent pas à mon sens l’origine d’une utopie… plutôt d’un geste, ouvrant la porte à une utopie humaniste tendant vers l’universel. Les religions n’ont fait qu’utiliser les qualités et défauts intrinsèques de l’Homme, notre histoire collective, les ratés et les réussites, afin d’imposer des comportements de vie. 

Replongeons donc, si vous l’acceptez, bien au-delà des premières religions… 

Il y a 100.000 ans… Néanderhal enterre ses morts.

Ces tombes retrouvées dans des grottes semblent être des offrandes divines pour les chercheurs.

Sautons les dates car il ne s’agit pas d’un cours sur l’anthropologie de la mort…

Et découvrons, il y a 10.000 ans, le Néolithique, où des pratiques funéraires individuelles ont lieu, très proches de nos rituels actuels.

Cet acte symbolique me semble être le premier geste humain réalisé, dans un but d’égalité, de respect de l’autre et de réflexion sur le passé, l’avenir, la vie et la mort… voire l’au-delà. 

L’homme préhistorique devient humain, ne pense plus en besoins primaires.

C’est d’ailleurs la période la plus révolutionnaire en terme de progrès, pour cette époque. 

C’est l’époque des premières constructions de villes, et des pierres polies… !!!

Socialisation, hiérarchie apparaissent également. 

L’Homme préhistorique n’est plus prédateur. Il devient producteur. Il travaille. 

La fin du néolithique (2000 av JC) est d’ailleurs marquée par l’utilisation des métaux… car nous entrerons dans la protohistoire puis l’histoire humaine. 

La religion n’aura plus qu’à s’imposer par la suite… et les mythes du millénaire avant JC. 

Que nous a appris l’histoire ?

Que faisons-nous de ce passé inscrit dans notre inconscient collectif ?

Comment ces premiers actes humains vont-ils canaliser ce que nous nommerons plus tard une utopie ?

Notre utopie repose sur une « mythologie ».

Comment notre histoire peut-elle nous apprendre sur ce que nous sommes, nous souhaitons advenir ? 

Construction, destruction, parole non diffusée… 

C’est un long chemin à parcourir. 

L’utopie invite à ce voyage avec un Autre. « Je suis un autre » écrivait Rimbaud, reprenait Lacan.

L’utopie, si ce n’est impose, en tout cas invite à penser à l’Autre… comme nous avons pensé les tombes, peut-être pour panser nos maux… comme nous avons pensé cette tour de Babel…

Peut-être parce que nous ressentions pour la première fois l’amour… après temps d’années d’expression de cette pulsion de mort qui l’emporte en nous.

Advient alors via un aller-retour entre intérieur et extérieur, mais aussi notre intériorité et notre extériorité, marqué par notre lieu « sacré », ce vers quoi nous devons tendre… cette utopie, cette projection dans une vie différente, enrichie de nos erreurs, ne souhaitant pas les répéter. 

Car de manière plus psychologique, tout être en développement critique, de manière égoïste (à entendre sous ses deux acceptions.. bonne et mauvaise), son milieu d’évolution, ou s’y plie, et le repense… en bien ou en mal pour autrui.

Mort et renaissance et permanence. Envie de continuer, de persévérer. Quand utopie tu nous tiens !

Pourtant, continuer à créer la cité idéale et une humanité parfaite n’est pas évident.

Ne font que nous renvoyer dans un mouvement elliptique de l’utopie qui nous fait avancer, reculer tout en conservant une dynamique

La vengeance, la mort, le retour à la sérénité… Les défauts de l’homme, des tirages au sort…

Mais comment parvenir à cette utopie universelle ? 

La question posée peut sans doute nous aider à tracer des plans de construction de l’utopie d’un amour universel… double défi.

D’autant plus que l’amour est une pathologie à dépasser. L’être humain ne cherchant pas à maîtriser et comprendre cet affect si singulier. Seuls de rares « initiés » y parviennent. 

L'utopie n'est-elle que « l'envers de l'histoire » ou la « vérité de demain »? 

Balzac dans la Comédie humaine et notamment « L’envers de l’histoire contemporaine » raconte l’histoire d’un héros qui doit tendre vers la vertu, après une vie de débauche au sein d’une cité totalement corrompue... Y parvenant, il sera alors initié dans une confrérie, se nommant « les frères de la consolation ».

Victor Hugo n’est pas en reste : « L’utopie est la vérité de demain. Utopie aujourd'hui, chair et os demain. Mais qu’on ne l’oublie pas, quand elles vont au même but, que l’humanité, c’est-à-dire le bon, le juste et le vrai, les utopies d’un siècle sont les faits du siècle suivant ! »

L’utopie n’est donc pas qu’un imaginaire, une rêverie, une fiction politique, sociétale, issus de quelques individus isolés. L’ossature est le tout : la colonne vertébrale… ces squelettes placés dans des tombes mais qui nous hantent, et peuvent nous harceler comme le craignent certaines civilisations, d’où des rituels, entre autre les Dogons.

Nos ancêtres, ces « anciens », dont la connaissance, le vécu, la maturité portent sur une densité de connaissance du mythe collectif initial, depuis des milliers d’années n’étaient sans doute pas dans la pensée, le questionnement de l’utopie qu’ils vivaient naturellement. Ils ne questionnaient pas ou ne pensaient pas leur devenir. Pas tel un intellectuel qui pense l’être humain sur ce qu’il veut fondamentalement devenir. Meilleur pour lui et son prochain.

Le « Wo Es war, soll Ich Werden » de Freud, « Là où était le ça, le Moi doit advenir »… Ce ne sont pas des utopies, mais la dynamique est semblable. L’amour de soi qui ne passe que par l’amour de l’autre… car l’autre nous dit qui nous sommes et qui nous ne sommes pas. Là s’initie le mouvement.

L’Homme est « invité » dès sa naissance et encore plus après à se « transformer » et transformer l’environnement, à vivre un relationnel.

A incarner cette utopie.

Rêver, ce n’est pas uniquement se penser agir… c’est passer à l’action, après avoir replongé au centre de la terre, franchi des épreuves… après avoir été un archéologue de nous même et un anthropologue

Notre utopie se vit quand enfin, alors que le lieu n’est pas défini... il est juste décrit... il est composé de voutes...

Des allers-retours, explorant qui nous sommes, qui nous ne sommes pas, et ce vers une sortie qui est à mon sens celui que nous sommes sensés rechercher.

Ce sont des pas, des dédales du passé et le labyrinthe du futur.

Parce que l’Homme vit, « subit » la vie et la mort, il a besoin de rêver cette utopie.

Guerre et Paix ? De sa guerre intérieure face à ses questionnement et tourments l’Homme de tout temps ne peut que désirer et tenter construire la paix, sauf perdre l’humanisation génétiquement acquise. 

En conclusion… de l’utopie fraternelle, à se vivre puis universelle, que reste-t-il ?

Balzac et Hugo ont raison, résumant sans doute ce vers quoi nous devons aspirer… 

La vertu et la vérité.

Ma profession touche tellement la profondeur de l’humain que l’on ne peut pas me demander de faire rêver, en tout cas actuellement. Mais je ne cesse me dire que les derniers écrits de Freud précisant ce qui allait arriver ne nous ont pas empêché, malgré l’horreur, de nous reconstruire.

C’est ça l’utopie… croire, construire… sans doute vivre une destruction, mais continuer à y croire, en modifiant ses plans, en profitant des acquis, des erreurs, des leçons… et reprendre le travail…

Et cela depuis l’aune de l’humanité.

Raison pour laquelle j’ai repensé la question sur un plan historique.

L’Homme a découvert l’amour, en même temps que les tombes.

La tour de Babel est à construire déjà en soi, dans l’amour de ses proches, dans une diffusion collective.

L’amour universel restera une utopie. Mais nous y croyons.

Il y a fantasmes, mythes, histoire, et réalité.

Déjà l’utopie de l’amour personnel existe : c’est celle qu’on vend dans les livres, les contes de fée, qu’on voit dans les films.

Le vrai amour existe quand on prend conscience de l’apport du passé et que l’avenir est à construire différemment. C’est déjà s’aimer soi-même…

Car comment construire solidement quand soi-même nous ne sommes pas enracinés ?

Il y a 100.000 ans, les premiers gestes. Il y a 10.000 ans les premiers actes. Il y a 1000 ans une orientation de l’utopie à travers les religions, mais aussi nos mythes et symboles.

Depuis l’aube de la vie, la mort et le besoin d’amour dictent une dynamique inconsciente qui est l’utopie.  L’amour universel ne sera jamais réalisable, soyons réalistes, mais en sondant qui nous sommes dans nos gènes,  malgré le pire réalisé, Hugo et Balzac résonneront comme un balancier nous renvoyant au néolithique…

2023 « a globalement été une mauvaise année pour la France », Une année « pas très bonne » ressentie par 77 % de la population. La moyenne mondiale des autres pays s’élève à 70 %, avec 83 % de mécontents pour la Grande-Bretagne. Mais « il y a eu pire ». En 2020 par exemple, 90 % des Français déploraient une année médiocre, notamment à cause du chaos de l’actualité à cette période - réforme des retraites, Covid et hôpital sous pression ... En 2021, ce chiffre s’élevait à 78 %, et 2022 à 82 %. 

Même si la France a connu des périodes plus compliquées, en Corée du Sud, 79 % estiment que leur pays est en crise économique. Suivi de la Hongrie et de la Turquie (77 %). Le pays le plus optimiste à ce sujet est l’Inde (85 %).

85 % des Français prévoient que les températures moyennes de la planète augmenteront, 33 % pensent que Donald Trump va être réélu président des États-Unis et 25 % pensent qu’en 2024, les femmes seront rémunérées autant que les hommes pour le même travail. 

Ce ne sont que des études et des chiffres.

Mais que retenir pour 2024 ? Peut-être ces mots.

L’utopie est en notre coeur, une démarche, un voyage... une envie de se découvrir et s’améliorer.

« L'Utopie, c'est une étoile lointaine vers laquelle on prend la décision de se diriger.

 Il ne s'agit pas de prétendre l'atteindre, mais d'être fidèle à l'attraction de sa lueur,  même lorsqu'elle est à peine discernable dans le brouillard. » (A. Jacquard.). 

Je vous souhaite une belle et lumineuse année 2024 !

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