"Sauver la liberté d’expression" : une étude historique soignée, un panorama dénonçant les atteintes actuelles à cette liberté, mais… des solutions proposées trop timides<!-- --> | Atlantico.fr
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"Sauver la liberté d’expression", de Monique Canto-Sperber (Albin Michel)
"Sauver la liberté d’expression", de Monique Canto-Sperber (Albin Michel)
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Marc Buffard pour Culture-Tops

Marc Buffard pour Culture-Tops

Marc Buffard est chroniqueur pour Culture-Tops. Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).

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Sauver la liberté d’expression

De Monique Canto-Sperber
Albin Michel, Mars 2021 - 336 pages -.21,90 €

Recommandation

BonBon

Thème

Un sujet qu’il est courageux d’aborder tant il souligne la difficulté que nous avons aujourd’hui à nous exprimer sur les sujets qui fâchent, et beaucoup fâchent.

Après s’être interrogée sur les fondements dans l’Histoire de la liberté de parole mais aussi de la liberté de conscience et de la liberté politique, l’auteure dresse un panorama de toutes les atteintes à la liberté d’expression - certaines d’une violence extrême - dont nous sommes les victimes.

Pour proposer, en conclusion, de timides solutions destinées à remédier, notamment sur le Web, aux atteintes les moins exposées à l’application de la loi.

Pour le reste, il faudrait renforcer, nous dit-elle, l’action de la justice qui, ne serait-ce son incroyable lenteur, est encore le moyen le plus efficace pour faire appliquer une norme dépouillée de toute valeur morale.

Points forts

La recherche de la naissance de la liberté d’expression, d’abord liberté de conscience religieuse puis politique et enfin de parole.

Avec la référence passionnante aux écrits de John Lock et de sa " lettre sur la tolérance " ( 1689 ) qui serait, encore aujourd’hui, un catalogue parfait de ce qu’il faudrait faire pour sortir de la bêtise, de l’intolérance, de la méchanceté et de l’appel au meurtre qui sont le lot commun des média, anciens et nouveaux.

Et aussi à ceux de John Stuart Mill qui définit en 1859 la notion de « tort fait à autrui » qui devrait, encore de nos jours, être la seule justification de la limitation de la parole.

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Car, si l’on y réfléchit, cette notion permettrait d’endiguer, avec la mise en jeu des responsabilités pénale et civile, tous les abus de parole, que ce soit le négationnisme, évidemment les insultes et autres violences, et encore le prosélytisme, l’embrigadement, les " fake news ", etc...

Pour Madame Conto-Sperber cependant, la mise en jeu de la responsabilité est insuffisante et il faudrait envisager des limites, cas par cas; mais, peut-on penser, ce serait ouvrir une boîte de Pandore d’où s’échapperaient tous les scandales, tous les abus, toutes les horreurs que la justice et les médiateurs de tout poil n’auraient plus les moyens d’arrêter.

Sans s’attarder sur des siècles de censure publique et totalitaire qui, jusqu’à nos jours, était celle qu’il fallait combattre en affrontant le pouvoir des rois et de l’Eglise, jusqu’au général De Gaulle, Madame Canto-Sperber fait revivre toutes les formes de la censure privée dont nous souffrons maintenant.

Outre la liberté de parole, la censure privée préventive et punitive - cela fait froid dans le dos - concerne aussi l’expression artistique : Polanski, Baltus, Charlie hebdo, après Flaubert et Baudelaire ( mais c’était au moins la justice qui les censurait ) et combien d’autres ?

Points faibles

On retrouve malheureusement dans ce livre la tendance des intellectuels, particulièrement universitaires, à établir une hiérarchie entre les forts et les faibles, seuls ces derniers, ou ceux réputés tels, ayant droit à toutes les excuses pour la censure qu’ils pratiquent et même l’interdiction préventive de parole qu’ils imposent aux premiers, ou à ceux qu’ils consacrent comme forts.

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C’est ainsi que si Éric Zemmour et Renaud Camus, pourtant condamnés par la justice, se voient reconnaître par l’auteure le droit à la liberté de parole, c’est au prix d’une récusation du fond dont ils sont les seuls à bénéficier dans ce livre et qui apparaît comme totalement hors sujet.

N'aurait-il pas fallu aussi dénoncer l’insondable bêtise qui est derrière tout cela ?

Enfin la faiblesse des solutions proposées par l’auteure à la fin du livre résonne comme un désespérant tocsin pour la liberté d’expression.

En deux mots ...

L’histoire de la liberté d’expression et la dénonciation, un peu faible, des graves atteintes qui lui sont portées aujourd’hui, dans tous les domaines.

Un extrait

" Lorsque ces sociétés ( les sociétés libérales) en viendront à se prémunir de façon préalable de tout risque de déviance en matière de parole et voudront appliquer au langage un principe de précaution, autrement dit d’interdiction préventive, elles se seront transformées en sociétés de censure, confirmant la pertinence de la prédiction de Tocqueville formulée il y a déjà près de deux siècles : « Vous étiez parti des abus de la liberté, je vous retrouve sous les pieds d’un despote. » Elles auront alors renoncé à ce à quoi doit viser le droit dans une société libérale, à savoir protéger les libertés. "

L'auteur

Née en 1954, Monique Canto-Sperber, philosophe spécialisée dans la pensée morale et politique contemporaine, a été directrice de l’Ecole normale supérieure de 2005 à 2012.

Elle a publié de nombreux ouvrages sur la philosophie antique ainsi que sur la morale et la liberté, notamment en politique.

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