"Le Grand large" de Christiane Rancé : voyage inoubliable au cœur de l'Océan et quête poétique du "vrai lieu" propre à chacun<!-- --> | Atlantico.fr
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"Le Grand large" de Christiane Rancé : un voyage inoubliable et poétique au cœur de l'Océan.
"Le Grand large" de Christiane Rancé : un voyage inoubliable et poétique au cœur de l'Océan.
©DR / Albin Michel

Littérature

"Le Grand large" de Christiane Rancé (publié aux éditions Albin Michel) s’offre à nous comme un remède tout particulièrement en ce temps de confinement.

Alice Ruffi

Alice Ruffi

Alice Ruffi, issue d’une famille d’amateurs d’art, est une lectrice passionnée de tous ces auteurs « irréguliers » d’hier et d’aujourd’hui, dont l’écriture nous éclaire et nous transforme.

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Assignés à résidence par la pandémie, Le Grand large de Christiane Rancé s’offre à nous comme un remède, son titre étant déjà une invitation au voyage. Celui auquel nous convie l’auteure est une traversée de l’Atlantique en cargo, de Marseille au Brésil. Vaste périple relaté par une voyageuse hors pair qui, depuis longue date, traverse le globe terrestre. Ce goût de l’ailleurs puise son origine dans son histoire familiale qu’une carrière de grand reporter puis des pérégrinations indispensables à l’écriture de ses biographies, lui ont permis d’approfondir.

Avec l’aisance d’une exploratrice rompue aux récits de voyage, Christiane Rancé nous transporte au cœur de l’Océan où la brise puis le vent qui décuple, les vibrations du cargo malmené par la houle, sont palpables. La mer sans cesse changeante vire de l’ultramarine au turquoise puis au noir, la veille « hérissée, opaque, toute pointue de vaguelettes » ; le lendemain « une écharpe immense de soie étirée à l’horizon ». Sous un ciel d’un « bleu profond, inoubliable, presque violet », l’euphorie que procure le grand large s’empare de nous.

Mais d’emblée ce journal de bord nous met en garde sur l’illusion de l’évasion, si voyager se limite à parcourir une distance géographique. Sortir des sentiers battus certes pour rompre avec le confort du quotidien mais aussi fuir nos craintes, éviter de s’affronter.

« Les vrais pèlerins sont ceux qui franchissent non pas l’espace mais le temps ». En citant l’écrivain argentin et grand voyageur Aldolfo Bioy Casares, l’auteure nous livre une autre signification du Grand Large qu’elle a éprouvée lors de cette longue traversée : celle d’un espace de liberté qui se transforme en un temps de solitude. Ainsi s’est ouvert à elle un tout autre voyage, celui immobile de l’introspection. Dans l’instant de cette rencontre fusionnelle avec l’immensité et la beauté de l’Océan, elle opère un voyage « hors de soi » et découvre la raison profonde qui l’a amenée à entreprendre ce grand périple. Cet irrésistible attrait pour le Grand Large répondait au besoin impératif de s’interroger sur sa destinée, de trouver sa place dans le monde : « J’étais parvenue à ce moment de la vie où l’on prend conscience qu’on marche au cœur de sa propre genèse. »

Sur les pas des héros d’Homère, Cervantes ou Melville – auquel elle consacre des pages passionnantes fruit d’un reportage qui l’a conduite à Nantucket au Cape Cod sur les traces de Moby Dick – Christiane Rancé exhorte aujourd’hui le lecteur à entreprendre ce pèlerinage au fond de soi qui préside à l’expérience fondamentale de l’existence. Il s’agit d’avoir le courage de vivre sa propre vie, de renaître à soi-même afin que notre séjour terrestre soit authentique : « être sur terre pour faire provision du paradis à venir ». Conviction qui trouve une résonnance dans ce « vrai lieu » propre à chacun que décrit Yves Bonnefoy.

D’une écriture rare, ce texte est irrigué par la pensée de poètes qui l’ont inspiré dont Julien Jerphagnon, Armel Guerne ou Nikos Kazantzakis auxquels Christiane Rancé rend hommage pour signifier l’importance de la poésie. Car elle seule a le pouvoir de nous unir au monde par le verbe dans ce qu’il y a de plus concret et d’ineffable à la fois. Désertée par la spiritualité, notre société doit rester vigilante au « toucher divin sur l’âme », c’est-à-dire à la création, à toutes ces vocations qui ne se bornent pas à la matière ou à la technique. Si l’auteure nous plonge dans l’inquiétude, les gouffres de l’âme, c’est pour mieux nous faire prendre conscience de la nécessité d’accéder à une deuxième naissance, cet acte de maturité qui nous accouche spirituellement afin de « mettre sa vie intérieure à l’abri de l’érosion ».

Le Grand large distille ainsi au fil des pages des conseils à notre âme qui nous sont prodigués avec douceur – « cette force contraire à la violence de la peur » - faisant l’éloge de la mise à distance, du recueillement que nous offre la prière, cette « solidarité spirituelle éternellement agissante entre les vivants et les morts » que mettait en lumière Dante dans son Purgatoire, il y a sept-cents ans.

Dans une évocation saisissante, Christiane Rancé raconte l’exploration des différentes liturgies auxquelles elle a assisté à travers le monde, de l’Alaska au Maroc, de l’Inde au Japon, la singularité qui les séparent mais aussi l’universalité qui les lient, dans une perspective qui participe à redonner sens au mot religion.

Si ce livre illumine encore nos heures après en avoir achevé la lecture, c’est parce qu’il accomplit parfaitement l’impératif que s’est fixé l’auteure : l’incarnation des mots qu’elle choisit.

Christiane Rancé, "Le Grand large", Albin Michel, 2021, 19,90 €

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