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​Débats de la survie pour le PS : y-a-t-il quelque part dans le monde occidental un parti social-démocrate qui s’en sorte à l’heure actuelle ?
©Présidence de la République (site Internet)

Bérézina

Affaiblissement généralisé sur le continent européen, défaite au Royaume Uni et aux Etats Unis, ...et victoire surprise au Canada, le courant socialiste tendance "social-démocratie" subit une période d’asphyxie mondialisé depuis plusieurs années.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Ce jeudi 12 janvier avait lieu le premier débat de la primaire de la gauche, en vue de la présidentielle 2017. En prenant un spectre plus large, et en premier lieu au niveau européen, existe-t-il des pays ou le courant social démocrate serait encore en "bonne santé" ? Comment expliquer, d'un point de vue général, cette situation ? 

Christophe Bouillaud  : De fait, la social-démocratie s’affaiblit effectivement partout en Europe. Il n’y a pas beaucoup de contre-exemples. L’un d’eux n’est autre que le récent vote en Roumanie où le PSD (Parti social-démocrate) est nettement sorti en tête. Dans son cas, l’usage massif du clientélisme pour gagner des électeurs en zone rurale et son alliance avec l’Eglise orthodoxe roumaine, le tout dans un contexte de faible participation électorale, expliquent son retour aux affaires. On pourrait citer aussi le cas du Parti socialiste portugais qui a réussi à revenir au pouvoir depuis un an grâce à son alliance avec deux partis situés à sa gauche pour mener une politique de limitation de l’austérité.

Les raisons de ce déclin sont multiples. D’une part, comme tous les partis qui ont gouverné les pays européens après 1945 leurs objectifs fondateurs ont été réalisés il y a bien longtemps. En effet, en ce sens, le socialisme démocratique a réalisé ses objectifs et il n’a plus lieu d’être : personne ne nie plus que les travailleurs manuels de l’industrie soient des citoyens comme les autres, personne ne nie plus qu’il faille un filet de sécurité sociale, personne ne refuse plus l’idée même de suffrage universel, etc. D’autre part, les liens historiques entre les partis socialistes et socio-démocrates et la classe ouvrière et ses syndicats se dissolvent partout depuis au moins le milieu des années 1960. Sur un plan très général, les partis socialistes et socio-démocrates ont été puissants à un moment où la croissance vigoureuse des économies occidentales permettait dans l’après-guerre de répartir plus équitablement le surcroit de richesse créée entre capital et travail sans pourtant léser vraiment personne et de s’offrir en plus le luxe de d’assurer des revenus de remplacement aux inactifs ne vivant pas de leurs rentes. Le ralentissement de la croissance à compter de la fin des années 1960 leur a singulièrement compliqué à la tâche. Aujourd’hui, pour redistribuer des richesses, il faut affronter une opposition plus résolue de la part des plus aisés dont les revenus stagnent ou augmentent trop lentement à leur goût.

Enfin, de manière plus conjoncturelle, face à la crise ouverte en 2007-08, les partis socialistes et socio-démocrates ont tous choisi en Europe de se plier à une vision « austéritaire » du redressement de l’économie. Imbus de théories économiques néo-libérales, ils ont  tous avalisé des coupes claires dans les budgets publics, en particulier dans les budgets sociaux. Ils ont ainsi réussi à se couper encore plus des classes populaires qu’ils ne l’étaient déjà. Il suffit pour s’en convaincre de regarder le sort du PSOE en Espagne ou encore pire du PASOK en Grèce, mais aussi des socialistes hongrois, polonais, néerlandais, etc. Une famille de partis fondés sur l’idée de redistribution mesurée des riches vers les pauvres ne peut que pâtir des choix inverses faits en 2008-2016 dans toute l’Europe. A cela s’ajoute que, lorsque ces partis se sont rendu compte de leur erreur stratégique, il était souvent trop tard, comme par exemple en Pologne. Par ailleurs, ils  manquaient souvent d’idées nouvelles à opposer aux partis émergents à leur gauche, comme le parti « Podemos » en Espagne.

Déroute de la gauche en Amérique Latine, défaite d'Hillary Clinton aux Etats Unis, les forces "progressistes" semblent être en panne au niveau mondial, à l’exception de la victoire, en 2015, de Justin Trudeau au Canada. Si la social démocratie est avant tout un courant européen, comment expliquer cette tendance mondiale ? Que peuvent elles avoir en commun ? Justin Trudeau est-il l'exception qui confirme la règle, ce dernier étant régulièrement présenté comme un dirigeant abusant de plans de communication ?

Toutes ces situations sont de même très différentes. En Amérique Latine, il me semble que c’est l’incapacité de la gauche à aller au-delà d’un modèle productif fondé sur les matières premières qui se trouve en cause. Que ce soit au Brésil ou en bien pire au Venezuela, la gauche a su redistribuer dans une certaine mesure la « manne » liée à ces matières premières, mais elle n’a pas su aller au-delà de ce modèle extractif. Et surtout, leaders, clients et bureaucrates se sont servis en premier sur cette « manne », aboutissant à une multiplication de scandales.

Le cas des Etats-Unis sous B. Obama est différent avec l’intervention de la variable culturelle. Le Parti démocrate a voulu défendre les droits des « minorités ». Bien mal lui a pris, puisqu’il a surtout réussi à déclencher une réaction « blanche » d’une grande radicalité dont Donald Trump s’est fait le champion. Cependant, là aussi, la difficulté à trouver un modèle productif plus égalitaire est en cause. Quoi qu’un économiste démocrate tel que Robert Reich ait averti dès le début des années 1990 des risques de polarisation de la main d’œuvre lié aux bouleversements de l’économie, rien n’a été fait de bien tangible pendant les huit années de Présidence Obama pour contrecarrer cette tendance qui rend certains de plus en plus productifs et riches et d’autres peu productifs et pauvres. La révolte des classes moyennes/populaires blanches contre leur déclassement a fini par les priver de la victoire en 2016.

Celui du Canada est encore bien particulier. D’une certaine façon, le conservateur Harper était un Trump avant la lettre avec sa tendance à s’en prendre à la vérité du réchauffement climatique, et Justin Trudeau a bénéficié de la lassitude face à un tel personnage aux mains de l’industrie pétrolière. Par ailleurs, la popularité du gouvernement Trudeau ne peut que pâtir des hauts et des bas du cours du pétrole et des matières premières. Le Canada est en effet un pays qui reste très dépendant de son secteur extractif. La communication joue sans doute, mais moins que cette dépendance.

Le point commun entre tous ces cas différents est peut-être toutefois que le socialisme démocratique ou le progressisme outre-Atlantique ne savent pas comment organiser un modèle productif qui permette de redistribuer les richesses sans heurts majeurs avec ceux qui s’en croient les seuls titulaires du fait qu’ils bénéficient de modifications structurelles de l’économie en leur faveur.

Faut il voir dans ce mouvement, comme l'indique le politologue allemand Jan-Werner Müller, que "la gauche disparaît. La droite devient le centre" ?

Je suis dubitatif sur cette formule. Elle vaut sans doute pour les aspects identitaires de la politique contemporaine, par exemple sur l’immigration.   Par contre, si l’on prend les aspects socioéconomiques, il faut bien se rendre compte que des partis conservateurs, réactionnaires, nationalistes, comme le PiS (Droit et justice) en Pologne, mènent en réalité des politiques « sociales », typiques de la social-démocratie. Il y a donc eu une inversion complète des rôles sur ce point, lié en l’espèce au fait que le Parti socialiste polonais (ex-POUP communiste) a été fanatiquement néo-libéral et européiste pendant une bonne décennie. De même, que le FN se veuille « social » tient au fait que le PS a de plus en plus négligé le monde du travail. A mon sens, le besoin de protection et de redistribution de la part de la part la plus fragile des populations occidentales – qui fonde une attitude de gauche en matière socioéconomique – ne va pas disparaitre ainsi, même si les formes partisanes de cette demande peuvent changer et passer de la gauche à la droite.

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