Netflix du jeu vidéo : ce que l'acquisition d'Activision-Blizzard par Microsoft dit du futur du secteur<!-- --> | Atlantico.fr
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Le rachat d'Activision Blizzard pourrait positionner Microsoft comme le leader de l'industrie des jeux vidéo.
Le rachat d'Activision Blizzard pourrait positionner Microsoft comme le leader de l'industrie des jeux vidéo.
©Jung Yeon-je / AFP

La Minute Tech

L’annonce du rachat d’Activision - Blizzard par Microsoft le mois dernier a fait l’effet d’une bombe au sein de l’industrie vidéoludique. La firme de Redmond va acquérir les franchises comme Call of Duty, World of Warcraft, Diablo… Cette annonce va inciter les joueurs à se tourner vers le système d'abonnement de Microsoft, le Xbox Game Pass.

Julien Pillot

Julien Pillot

Julien Pillot est Enseignant-Chercheur en économie (Inseec Grande Ecole) / Chercheur associé CNRS.

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Atlantico : Que dit cette acquisition record de 68 milliards de dollars sur les évolutions de l'industrie du jeu vidéo Sommes-nous à l'orée d'une nouvelle-ère pour la "première industrie culturelle" du monde ?

Julien Pillot : Au-delà du mariage de deux poids lourds de l'industrie du jeu-vidéo, et du montant record de la transaction, je dirais plutôt que nous sommes face à une industrie qui poursuit un mouvement de consolidation amorcé depuis quelques années déjà. Le marché est en forte croissance, mais demande également des ressources financières de plus en plus importantes pour couvrir les coûts de production et les risques liés à des contreperformances, comme nous avons pu en être récemment les témoins à travers le fiasco du lancement de Cyberpunk 2077 qui a mis son développeur CD Projekt Red, pourtant un poids lourd de l'industrie, en grande difficulté. Ces conditions favorisent les rapprochements, notamment entre éditeurs et studios de développement, de façon à pouvoir mieux diversifier le risque d'échec commercial.

Comment interpréter l'acquisition d'Activision-Blizzard par Microsoft au regard de la stratégie de plateforme engagée par Microsoft ? Le Xbox Game Pass a-t-il vocation à devenir le Netflix du jeu-vidéo ?

Microsoft est à la fois un constructeur de machines dédiées aux jeu-vidéo, mais est aussi l'éditeur d'un service de jeu vidéo par abonnement nommé "XBox Game Pass". Le parallèle avec Netflix est naturel dans la mesure où Microsoft propose à ses abonnés d'accéder à une bibliothèque de jeux vidéo en perpétuelle évolution, et ce sur un maximum d'appareils puisqu'il ne limite pas l'accès à son service aux seuls PC Windows et consoles Xbox. Microsoft s'intéresse finalement de moins en moins à la machine sur laquelle vous jouez, pourvu que vous soyez connecté et abonné au Xbox Game Pass. Tout comme Netflix est disponible sur un maximum de terminaux (mobiles, TV connectés, Box Internet...), le "Xbox Game Pass" a vocation à s'étendre au-delà du seul écosystème propriétaire Microsoft, car c'est le meilleur moyen d'élargir le vivier d'abonnés potentiels. Le service est d'ailleurs désormais disponible sur les téléphones Apple et Android, et il y a fort à parier que la stratégie d'extension de Microsoft ne s'arrêtera pas là.

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De plus, Microsoft, en sa qualité d'acteur doublement intégré de l'industrie (horizontalement et verticalement), a également entrepris depuis quelques années de racheter des studios de développement de jeux vidéo, avec pour objectif certes de diversifier ses sources de revenus, mais aussi de pouvoir proposer des jeux, basés parfois sur des licences fortes, sur ses consoles et sur son service "Xbox Game Pass". Car, acheter un groupe comme Activision-Blizzard, c'est aussi mettre la main sur un portefeuille de licences extrêmement riche, parmi lesquelles Diablo, Call of Duty, Candy Crush et bien sûr Warcraft. Sans oublier Crash Bandicoot, un personnage emblématique de la galaxie... Playstation. Un petit coup porté à son meilleur rival, Sony.

L'objectif de ces rachats cachent-ils la volonté de Microsoft de réserver à ses seuls clients les futures productions de ces studios ?

Rien n'est moins sûr et, à ma connaissance, rien n'a encore été annoncé en ce sens.

Que les jeux Activision-Blizzard seront disponibles dès leurs sorties sur le "Xbox Game Pass" relève de l'évidence. On ne peut, en effet, imaginer meilleure vitrine pour susciter de nouveaux abonnements à sa plateforme.

Reste à savoir si Microsoft fera le choix d'en réserver l'exclusivité à ses consoles et/ou à son service "Xbox Game Pass". S'il décidait d'agir de la sorte, il devrait alors endosser deux risques bien distincts.

  • D'une part, un risque économique, s'engager dans une stratégie d'exclusivité signifie renoncer à l'ensemble des revenus que pourraient générer les jeux dans le cadre d'une exploitation multi-plateformes. Pour s'avérer rentable, une telle opération devrait générer des acquisitions de systèmes de jeux Microsoft et d'abonnements au "Xbox Game Pass" qui soient supérieures au manque à gagner susmentionné.
  • D'autre part, il existe aussi un risque d'image. Microsoft peut parfois être perçu par une partie des gamers comme une entreprise qui dispose de moyens financiers disproportionnés. Or, mener une politique d'exclusivité, reviendrait à priver les joueurs des plateformes concurrentes de l'accès à des jeux de qualité... ce qui, bien loin de susciter un attrait pour la marque, pourrait provoquer un bad buzz médiatique fâcheux.

Les stratégies d'exclusivité sont donc à double tranchant et à mener avec parcimonie. Elles seront peut-être menées par Microsoft, mais pas de façon systématique. On peut aussi s'attendre à des exclusivités temporaires, ou des versions améliorées pour les plateformes Microsoft. Dans tous les cas, cela fera l'objet d'un arbitrage économique et stratégique sérieux.

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Ce rachat positionne-t-il Microsoft comme le leader de l'industrie en matière de nombre de licences détenues en portefeuille ?

En complément des réponses précédentes, il convient de rappeler qu'Activision-Blizzard vient grossir un portefeuille de licences déjà très riche que Microsoft a su se construire en quelque 20 ans de présence dans l'industrie du jeu vidéo, essentiellement par le biais d'acquisitions. Halo, Forza, Gears of War, Fable, Doom, Banjo-Kazooie, Elder Scrools, Dishonored, Age of Empires, Flight Simulator...  sont autant de licences qui font déjà partie du catalogue des Xbox Game Studios et que les licences Activision-Blizzard vont venir compléter. C'est effectivement un catalogue de licences parmi les plus riches de l'industrie, mais non seulement Sony dispose d'un catalogue tout aussi conséquent (Uncharted, Gran Turismo, God of War, Last of us, Ghost of Tsushima, Horizon...), mais en outre un nombre conséquent de franchises à succès et de capacités créatives restent détenues par des éditeurs ou studios indépendants tels que EA (Fifa, Mass Effect...), SquareEnix (Final Fantasy, Tomb Raider...), Capcom (Street Fighter, Resident Evil...), Ubisoft (Assassins Creed, Watch Dogs...) CD Projekt Red (The Witcher, Cyberpunk 2077...), Rockstar (GTA, Red Dead...) et bien d'autres. Et tous ces développeurs indépendants sont, hors contrats d'exclusivités qui sont plus l'exception que la règle dans cette industrie (pour les raisons précédemment évoquées), sont multi-supports.

Quel crédit accorder aux propos de Satya Nadella, le PDG de Microsoft, quand il présente cette acquisition comme une nouvelle étape dans la construction d'un metaverse par Microsoft ?

Il a doublement raison.

  • D'une part, avec ce rachat Microsoft se dote de licences qui sont autant de contenus culturels puissants qui peuvent être exploités dans le cadre d'un metaverse englobant, tel que celui dépeint dans le film de 2018 de Steven Spielberg "Ready Player One". Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le film abuse de références issues de la pop-culture, et notamment des jeux vidéo : les joueurs sont friands des easter eggs et autres fan services qui les raccrochent à des univers bien identifiés par eux-mêmes, et par les autres. 
  • D'autre part, et peut-être plus proche de nous, l'acquisition d'Activision-Blizzard permet à Microsoft de mettre la main sur Warcraft, qui compte indubitablement parmi les licences culturelles les plus fortes puisque son univers dépasse allègrement la seule sphère vidéo-ludique. Il n'est pas exagéré de dire que, d'une certaine façon, Warcraft est au jeu vidéo ce que le Seigneur des Anneaux est à la littérature et au cinéma. Si on voulait lancer un metaverse original, on ne pourrait probablement pas rêver d'une licence au potentiel créatif aussi puissant. Un metaverse Warcraft, magnifié par des technologies de pointe, en matière de réalité virtuelle ou augmentée voire de retours haptiques, aurait probablement la capacité à attirer des millions de joueurs... et autant de nouveaux abonnés aux services de Microsoft.

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