Le stockage massif de l’énergie ou les espoirs sur le prochain défi de la lutte contre le dérèglement climatique<!-- --> | Atlantico.fr
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Le projet Ringo de stockage d'électricité à Fontenelle, près de Dijon.
Le projet Ringo de stockage d'électricité à Fontenelle, près de Dijon.
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

Atlantico Green

Certains chercheurs estiment que l’avenir de l’énergie se trouve dans le “big storage”, soit le stockage massif de l'électricité. Un véritable défi technique qui pourrait permettre de déployer à large échelle les énergies renouvelables.

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni est présidente d'Economie d'Energie et de la Fondation E5T. Elle a remporté le Women's Award de La Tribune dans la catégorie "Green Business". Elle a accompli toute sa carrière dans le secteur de l'énergie. Après huit années à la tête de Primagaz France, elle a crée Ede, la société Economie d'énergie. 

Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages majeurs: Intelligence émotionnelle (2008, Maxima), Mutations énergétiques (Gallimard, 2008) ou Comprendre le nouveau monde de l'énergie (Maxima, 2013), Understanding the new energy World 2.0 (Dow éditions). 

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Atlantico : Certains chercheurs estiment que l’avenir de l’énergie se trouve dans le “big storage”, soit le stockage massif. À l’heure actuelle, est-on incapable de stocker de grosses quantités d’énergie ?

Myriam Maestroni : Il y a bien un consensus sur la nécessité de stockage de l’énergie et notamment de l’énergie électrique décarbonée. Le stockage massif de l’électricité (« big storage »), par contraste avec les stockages plus réduits (« little storage »), corollaire des nouveaux modes de production propres de l’électricité, se retrouve, aujourd’hui, plus que jamais, au cœur de l’actualité, car c’est une des question clé de la décarbonation et figure donc parmi les défis de la feuille de route vers la neutralité carbone annoncée l’horizon 2050 ou 2060, par les grandes puissances mondiales (Union Européenne, Chine et depuis l’élection de Joe Biden, États-Unis). Il représente, en théorie, le double avantage d’apporter une réponse à des questions techniques de fond pour déployer, à large échelle, les énergies renouvelables, ces dernières n’émettant pas de CO2 mais étant produites par intermittence, et également à des questions économiques dont la gestion de la volatilité des prix en tamponnant les écarts d’offres et de demandes.

L’étude qui vient d’être publiée par un groupe de chercheurs du MIT (Massachussetts Institute of Technology) et de Princeton dans le journal Nature Energy aborde ces questions clés et évalue les différentes technologies potentielles en matière de stockage massif d’énergie. Ainsi Nestor Sepulveda, chercheur au MIT Energy Initiative, a travaillé, avec ses collègues, pour classer plus d’une douzaine de technologies de stockage différentes, en tenant compte de la capacité de stockage en tant que telle mais également les caractéristiques de charge et de décharge respectives. L’équipe a simulé 1.280 scenarios et, les a comparés à un référentiel dans lequel il n’y aurait pas du tout de stockage massif. Selon les chercheurs la possibilité de pouvoir compter sur du LDES (Long-duration energy storage) qu’ils définissent comme des solutions capables de pouvoir fournir de l’énergie au réseau pendant 100 heures en continu permettrait de réduire significativement les prix de l’électricité décarbonée tout en gérant la problématique d’intermittence.

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Néanmoins, les chercheurs admettent qu’en dépit de la forte mobilisation autour de cette question du stockage, aujourd’hui personne ne sait encore vraiment vers quelles technologies la filière se décantera au final. En revanche, ils affirment que le coût du stockage massif de l’énergie est le critère le plus sensible, suivi par l’efficacité de la décharge c’est-à-dire du délai de mise à disposition de l’électricité stockée. Selon l’étude, ce critère de restitution de l’énergie au réseau serait deux fois plus déterminant que la capacité ou le rendement de la charge qui jouerait un rôle secondaire. Les auteurs de l’étude espèrent pouvoir, avec ces premières conclusions, contribuer à faire avancer les orientations et les investissements à réaliser en matière de R&D, car les moyens sont limités et le champ d’exploration vaste. Ils partent du principe que les développements, qui ont eu lieu au cours des dix dernières années, en matière d’énergie solaire ou éolienne, de batteries ou de véhicules électriques nous ont appris à projeter des technologies décarbonées qui paraissaient improbables voire impossibles à réaliser ou à mettre en œuvre et qui, pourtant, ont pu ou pourront encore voir le jour, et, ce, avec des niveaux de performance satisfaisants et/ou en progrès constants. La question du stockage massif fait partie d’un champ des possibles, à forte valeur ajoutée, qui permettrait de garantir la disponibilité d’électricité quand et où ce serait nécessaire.

Ils soulignent, qu’au cours des dernières années, ce sont surtout les solutions de stockages de faible capacité (« Little storage »), telles, notamment que les batteries lithium-ion (Li-on) -utilisées pour les ordinateurs, téléphones portables, etc- qui ont été largement mises à l’honneur, avec des avancées spectaculaires réalisées en matière d’autonomie et surtout de coût. Il est vrai que le prix des batteries li-on a ainsi chuté de 87% en moins de 10 ans, passant d’un prix moyen au kWh stocké qui s'élevait à près de 1.200 dollars (environ 1.070 euros) en 2010 pour atteindre 156 dollars (environ 140 euros) en 2019 (Source : Enquête Bloomberg New Energy Finance, Déc 2019) et devrait atteindre 100$ d’ici à 2023. Il est également vrai que les avancées sont constantes et rapides. Ainsi au cours des derniers jours, et à simple titre d’exemple, Elon Musk, le PDG de Tesla, sensible et fortement engagé sur la question des batteries, a vanté les mérites d’une nouvelle technologie de batterie « low cost » -accumulateur lithium-fer-phosphate (LFP)- largement utilisée en Chine pour les véhicules électriques et hybrides d’entrée de gamme et contenant du fer plutôt que du cobalt ou du cuivre plus chers. Les fabricants de batteries LFP auraient fourni 30,8 Gwh de capacités à ces véhicules. Cette technologie en plein essor (malgré ses inconvénients, notamment en termes d’autonomie et de résistance au froid) a séduit Elon Musk qui a décidé d’utiliser des batteries LFP pour la version de la Model 3 commercialisée en Chine. Il y a fort à parier que les progrès à venir nous réserve encore de nombreuses surprises (forte réduction des temps de charge, augmentation de la durée d’autonomie, recours à des matériaux moins rares et/ou moins chers, amélioration des cycles de vie etc), car la R&D va bon train avec un grand nombre d’acteurs au travail partout dans le monde.

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Il faut dire que certains font le pari de décliner ces systèmes de stockage dit « embarqués » -pour la mobilité électrique, de petite capacité et de faible puissance- dans des versions dites « stationnaires » en soutien du réseau électrique pour des stockages de courte durée ou en alimentation de secours en cas de chute du réseau. En 2017, 987 MW de stockage d’énergie étaient installés, mais on assiste à une forte croissance avec 3,5 GW installés en 2020 et 10,2 GW à l’horizon 2023 selon Bloomberg NEF.

En France, le projet Ringo, à Vingeanne, en Bourgogne, est une parfaite illustration de ce genre de solutions. Le site, dont la mise en service est prévue dans les prochains mois, comprend 5.600 batteries, -Lithium-ion NMC/Nickel Manganèse Cobalt)-, installées dans 10 conteneurs. Il aura vocation à stocker les surplus d’électricité produite à partir des parcs éoliens alentour (qui couvre 8,3% de la consommation régionale contre 5,3% au niveau national). Le site pourrait stocker jusqu’à 24MW/heure soit l’équivalent de la production de 5 éoliennes ou de la consommation de 10.000 foyers, selon RTE. D’autres sites expérimentaux suivent1.

A ce propos, l’étude américaine explique que malgré le potentiel de croissance de ces solutions, il existe des limites physiques et en termes de coûts, car avec le système actuel des batteries li-on, on assure en moyenne une capacité de fourniture du réseau pour 4h, au-delà, les capacités à installer deviendraient trop couteuses. Or, toujours selon l’étude, idéalement les solutions de stockage massifs devraient pouvoir fournir de l’énergie 5 à 10 fois moins chère que les actuelles batteries li-on, et pendant des durées beaucoup plus longues… La durée idéale reste encore, d’ailleurs, à définir en fonction des zones, des caractéristiques de la production et de la qualité des réseaux et des interconnections (un sujet sensible aux États-Unis ; voir cet article récent sur le sujet). Le Département américain de l’énergie (DoE) mène différents programmes de recherches qui permettraient de déboucher sur des systèmes permettant d’assurer de 10 à 100h d’autonomie…

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La course aux différentes technologies de stockage massifs est ouverte et de nombreuses possibilités sont aujourd’hui explorées. Les pistes de R&D varient en fonction des sociétés qui travaillent sur cette filière émergente. L’étude mentionne, aux États-Unis, Raytheon Technologies Corporation qui a choisi de développer une batterie Flow (soufre et manganèse) ou Form Energy Inc., basée dans le Massachusetts -et soutenue par Breakthrough Energy Ventures de Bill Gates-, fortement influencée par le cahier des charges du DoE, qui construit un autre type de batterie (« aqueous air ») qui, selon eux, pourra stocker 150 heures d’énergie. Dirigée par Mateo Jaramillo, qui a quitté Tesla Inc. en tant que chef du stockage stationnaire en 2017, la startup a annoncé l’année dernière un projet pilote de stockage connecté au réseau, équivalent à 1MW, dans le Minnesota, pour le deuxième opérateur électrique de la région, une coopérative, Great River Energy, desservant 700.000 clients. Le projet devrait être mis en service en 2023.

Difficile de savoir si et quelle technologie pourrait sortir grande gagnante… d’autant que l’étude américaine se concentre sur les stockages massifs conçus autour de batteries, mais il existe d’autres technologies possibles des plus anciennes et mieux maîtrisées telles que les STEP (Stations de Transfert d’Énergie par Pompage), les stockages d’énergie par air comprimé, les volants d’inertie, les VPP (-Virtual power plants- à partir de l’effacement ou de micro-stockage dont les batteries des véhicules électriques) ou encore au cœur de la feuille de route européenne 2050, l’hydrogène très prometteur. Chacune se caractérise par des niveaux d’efficacité énergétique, des temps de restitution, des durées, des capacités de stockage et des puissances différents… et bien sûr, également des coûts différents et des pistes pour les réduire spécifiques.

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En quoi pourrait-il révolutionner le secteur de l’énergie ? Comment fonctionnerait ce stockage massif ?

Rappelons que la décarbonation de l’économie, suppose, entre autres mesures, un recours croissant et massif à la production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables dont notamment le solaire photovoltaïque ou l’éolien. Or cette production, est, par nature, intermittente avec des fluctuations de production liées aux aléas climatiques (ensoleillement, vents…), et décorélée des consommations. Il faut donc gérer des périodes de surproduction d’énergie alors que les consommations sont faibles, et inversement. Ces périodes peuvent être de courte durée (production de jour et utilisation de nuit) mais également plus longues (production pendant l’été et utilisation pendant l’hiver, pour le chauffage, par exemple, d’autant que la consommation peut également beaucoup varier : en France, une baisse de 1°C de la température en hiver entraine une augmentation de la puissance appelée d’environ 2,3 GW)-. Ces écarts impliquent d’ailleurs, un accroissement de la volatilité des prix avec une forte augmentation en période de pic de consommation et de sous-production et inversement des prix pouvant devenir négatifs à cause de surplus de production en période de faible consommation. Le système électrique doit, en temps réel, « équilibrer » les niveaux de consommation et de production. En France, c’est RTE (Réseau de Transport d’Électricité) qui a cette mission.

Afin d’apporter des solutions à ces déséquilibres il existe déjà un certain nombre de solutions qualifiées de « compensatoires ». On peut citer, par exemple, côté production, le recours aux moyens dits flexibles (car il est plus faciles d’accroitre ou de limiter voire d’arrêter leur production), notamment les centrales à gaz, au fioul ou au charbon, en fonction d’un mécanisme de « merit order »2, mais il s’agit d’énergies fossiles et donc carbonées. Cette pratique a vocation à devenir obsolète, et il faut donc trouver d’autres moyens.

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Toujours à titre d’exemple, on peut également viser, côté consommation, une meilleure maîtrise de la demande d’énergie (MDE), au travers de l’efficacité énergétique en général, et, dans le cas qui nous intéresse de l’effacement, en particulier, qui consiste à éviter de consommer de l'électricité à certains moments de la journée ou de l'année, et, à reporter cette consommation électrique à une période ultérieure. Ce mécanisme est notamment valable pour les grands consommateurs d’électricité industriels (qui représentent 17% de la consommation totale d’électricité dans notre pays), mais encore difficile à généraliser pour l’ensemble des particuliers, qui, quant à eux, représentent plus d’un tiers (35,7%) de la consommation finale d’électricité, selon RTE. On voit, pourtant, émerger des solutions innovantes de pilotage intelligent des appareils ménagers, notamment proposées pour les foyers qui peuvent opter pour des installations d’autoconsommation, en plein essor dans notre pays. C’est le cas de solutions comme celles proposées par Comwatt, société française pionnière sur le sujet. On a également vu apparaître de nouveaux acteurs, appelés les opérateurs d’effacement résidentiel, tel Voltalia, qui vont, grâce à des boitiers d’effacement, moduler, c’est-à-dire réduire les consommations moins sensibles pendant une durée limitée et voulue « neutre » pour le client -souvent liées au chauffage ou à la production d’eau chaude électriques que l’on peut interrompre quelques instants sans conséquences notables- et agréger la somme de toutes ces actions.

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On voit bien que cette logique d’électrification croissante des nouveaux usages et de l’économie, s’accompagne de nouvelles problématiques parmi lesquelles la question clé du stockage massif de l’énergie électrique, qui est, bien sûr, un enjeu majeur, avec une filière dédiée qui va fortement se développer dans les prochaines années.

Cette proposition pourrait-elle avoir un impact significatif sur le dérèglement climatique comme l’envisagent ces chercheurs ? Par quels biais? 

La pierre angulaire de la lutte contre le dérèglement climatique est la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et notamment de CO2, qu’on appelle de plus en plus « décarbonation ». Un des moyens puissants d’y parvenir est le recours croissant et massif aux énergies renouvelables. Pour les rendre stables et fiables, il faut trouver des solutions permettant de réduire voire d’effacer leur caractère intrinsèquement intermittent, grâce à des technologies capables de garantir une logique de coûts-bénéfices optimisée. C’est ce qui explique l’énorme mobilisation sur le sujet dans le monde entier, de l’Australie3 aux États-Unis, en passant par la Chine ou l’Europe. Partout des projets fleurissent et on voit poindre des positions différentes en fonction des mix historiques, des forces et faiblesses des réseaux, de l’intensité des efforts et des investissements en matière de R&D, des filières existantes, etc. C’est une grande course qui est lancée pour déployer des nouveaux systèmes énergétiques intégrés de nature à atteindre la neutralité carbone prévue à l’horizon 2050, avec des étapes importantes à franchir d’ici là.

1 Bellac, en Haute- Vienne, qui sera équipé de batteries Saft/Schneider, dont la mise en service est prévue en mai 2022, et Ventavon en Hautes-Alpes, avec des batteries siglées Blue Solutions/Engie Solutions/SCLE Inéo dont la mise en service est prévue en juin 2022. Au total les trois sites disposeront d’une capacité de stockage de 72 MWh.  Ce n’est que quand les sites seront tous en service que l’expérimentation proprement dite pourra être lancée.

2 Le « merit order » permet de faire appel aux unités de production électriques en fonction d’un un ordre de priorité déterminés selon leur coût marginal variable (coût de l’énergie primaire, coût des émissions de CO2, coûts de maintenance, tarifs de transmission, taxes et prélèvements, etc…). En principe, les premières unités appelées sont celles produisant de l’énergie à partir de sources renouvelables (solaire, éolien, hydraulique). Leur coût marginal est faible, et, cette énergie étant intermittente et encore difficile à stocker, elle doit être injectée dans le réseau en priorité, pour ne pas être perdue. On appelle ensuite les capacités de production nucléaire puis les centrales thermiques à gaz, ensuite celles à charbon et au fioul (en fonction du coût du combustible). Les barrages hydrauliques « de retenue » permettent de stocker des capacités de production de réserve. Les interconnexions entre la France et ses pays frontaliers (Angleterre, Belgique, Allemagne, Suisse, Espagne…) s’intercalent dans ce merit order en fonction du coût de marché dans un pays voisin donné en privilégiant, le cas échéant les importations.

3Hornsdale Power Reserve, dans le parc éolien de Hornsdale (région du centre-nord de l'Australie du Sud), était la plus grande batterie li-on au monde (129 MWh/100MW et qui passerait à 195 MWh/150MW). A cela il faut ajouter Victorian Big Battery, réalisée avec une entreprise française, Neoen, pour une unité de stockage de 300 MW / 450 MWh, située près de Geelong, dans l’État de Victoria. Le projet sera réalisé en collaboration avec Tesla et l’opérateur de réseau AusNet Services. Détenue et opérée par Neoen, la Victorian Big Battery sera l’une des plus puissantes batteries au monde, et permettra d’assurer la stabilité du réseau électrique de l’État de Victoria

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