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Selon une recherche soutenue par Bill Gates, les États-Unis pourraient réduire de moitié leurs émissions carbone du réseau électrique en travaillant sur leur renouvellement.
Selon une recherche soutenue par Bill Gates, les États-Unis pourraient réduire de moitié leurs émissions carbone du réseau électrique en travaillant sur leur renouvellement.
©GUILLAUME SOUVANT / AFP

Atlantico Green

Les Etats-Unis pourraient réduire de moitié les émissions carbone de leur réseau électrique au cours de la prochaine décennie grâce à des investissements dans les énergies renouvelables et le transport, selon une équipe de recherche soutenue par Bill Gates.

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni est présidente d'Economie d'Energie et de la Fondation E5T. Elle a remporté le Women's Award de La Tribune dans la catégorie "Green Business". Elle a accompli toute sa carrière dans le secteur de l'énergie. Après huit années à la tête de Primagaz France, elle a crée Ede, la société Economie d'énergie. 

Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages majeurs: Intelligence émotionnelle (2008, Maxima), Mutations énergétiques (Gallimard, 2008) ou Comprendre le nouveau monde de l'énergie (Maxima, 2013), Understanding the new energy World 2.0 (Dow éditions). 

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Atlantico : Selon une recherche soutenue par Bill Gates, les États-Unis pourraient réduire de moitié leurs émissions carbone du réseau électrique en travaillant sur leur renouvellement et en le couplant à des énergies renouvelables. L’amélioration du transport électrique est-il l’une des clefs dans la réduction de notre empreinte carbone ? Quelles sont les problématiques importantes que ce renouvellement soulèvent ? 

 Myriam Maestroni : Il est, tout d’abord, intéressant de constater que cette étude a été réalisée par le BES (Breakthrough Energy Sciences), une émanation du Breakthrough Energy, créé en 2015, par Bill Gates, en coalition avec des investisseurs privés, mobilisés autour de la question des conséquences de l’accélération du changement climatique, avec pour objectif, notamment, de soutenir toutes sortes d’innovations pouvant contribuer à un monde ZEN c’est-à-dire capable de réduire ses émissions de CO2 à Zéro Émission Nette. L’initiative regroupe une série d’organisations engagées dans une démarche d’innovation concernant les énergies renouvelables, le stockage d’électricité verte, les bio-fiouls de dernière génération, batteries de large capacité de stockage pour l’électricité renouvelable ou encore le graal de la fusion nucléaire. Le BES, sous l’impulsion de Dhileep Sivam, son vice-président, a lancé un programme de Recherche et Développement (R&D) à large échelle (qui comprend une équipe de chercheur travaillant en coordination avec un réseau d’universités et comptant sur des partenariats publics-privés et avec des agences de lobbying). L’idée est de mettre à disposition une base de connaissance en open source destinée à être enrichie par une large communauté de chercheurs).

Parmi les multiples projets et initiatives, on trouve cette toute première étude du BES qui vient juste d’être finalisée, selon laquelle en investissant dans les énergies renouvelables et dans les infrastructures de transport les États-Unis pourraient diviser par 2 leurs émissions provenant du réseau électrique au cours des dix prochaines années. Rappelons que la production d’électricité aux Etats-Unis, encore fortement dépendante des énergies fossiles, représentait, en 2018, environ 30% des émissions de C02. La modélisation mise au point par la BES, considère qu’il faudrait investir 1.500 milliards de dollars (soit plus de 1.200 milliards d’Euros) pour parvenir à atteindre un niveau de 70% d’électricité 0 carbone et ainsi réduire les émissions de 42% d’ici à 2030.

La recherche se centre sur 4 enjeux visant à renforcer le réseau électrique pour contribuer, tout d’abord, à raccorder des zones disposant de ressources abondantes d’énergie verte vers des consommateurs qui en ont besoin. Cela suppose, ainsi, de multiplier la construction de fermes solaires et éoliennes pour produire massivement de l’électricité d’origine renouvelable. Il s’agit, ensuite, de renforcer la capacité des lignes électriques pour distribuer l’électricité ainsi produite. Enfin la décarbonation du réseau électrique doit être pensée en assurant que le système puisse être plus résilient possible aux conséquences des épisodes climatiques extrêmes dont la fréquence continuera à augmenter.

Identifier des pistes pour mieux transférer l’électricité sur l’ensemble du territoire constitue un élément clé pour accroitre les quantités d’électricité transférée par le réseau. Parmi les exemples cités on imagine les habitants de Los Angeles allumer leurs télévisions pendant que des vents violents balaient les nuits du Texas ou que les journées ensoleillées du Sud de la Californie puissent profiter au Midwest lors d’un jour sans vent. Cette approche permettrait également d’éviter un recours massif à l’électricité produite à partir des centrales à charbon ou à gaz, en période de fortes vagues de froid, ce qui a été le cas de différentes zones des États-Unis au cours des derniers mois dont au Texas.

BES propose de privilégier à la fois les lignes électriques en courant alternatif, moins chères pour relier sur des courtes distances et les lignes hautes tensions pour raccorder les sites de production et de consommation sur de plus longues distances notamment entre les différents états. Il est clair que cette étude rebondit sur les promesses de campagne du Président Joe Biden qui avait notamment évoqué de décarboner en totalité le réseau américain d’ici à 2035.

Si tous les états qui se sont fixé des objectifs d’énergie propre pour 2030 les atteignaient vraiment, ces améliorations couteraient environ 360 millions de dollars pour réduire de 6% seulement les émissions américaines. Cela passerait principalement par le déploiement d’infrastructures éoliennes et solaires, avec moins de 4% des investissements destinés au transport d’électricité. Le plan de BES prévoirait plutôt 200 milliards d’Euros a minima juste sur le transport d’électricité, ce qui supposerait plus de 12% du total et donc trois fois plus que les plans des états.

En plus des coûts élevés, l’étude relève des obstacles politiques. En effet, le plan élaboré par les équipes du BES prend en compte des lignes et donc des câbles qui traversent différents états sur des centaines de kilomètres. Même si le gouvernement fédéral met à disposition les fonds nécessaires, le projet pourrait être entravé par des procédures réglementaires locales.

Au-delà de tous ces aspects, ces propositions pourraient bien s’avérer être la solution la moins chère pour réaliser le plan zéro-émissions nette de Joe Biden à l’horizon 2050. L’hypothèse de base consiste à penser qu’il est moins cher d’installer des parcs solaires et éoliens dans les lieux les plus propices en ressources et ensuite de transporter l’énergie produite vers les zones de consommation plutôt que de situer ces infrastructures de production au plus près des zones de consommation et de réduire les investissements en infrastructures de transport. Il est à noter que le modèle du BES incorpore également l’ensemble des sites de production d’hydro-électricité, nucléaire et géothermiques dans son plan zéro carbone. Cette approche semble être considérée comme viable par Sanjeet Sanghera, analyste de Bloomberg NEF, justement préoccupé par une seule question, à savoir quel est le coût, et donc l’option la plus efficace sur le plan économique, de décarboner le réseau électrique américain tout en le rendant plus fiable.

A ce stade, néanmoins, le scénario proposé par BES n’est pas le seul possible même s’il semble être un de ceux qui privilégie vraiment une approche coût-bénéfices. Ainsi, il présente quelques limites notamment liées aux meilleures façons d’équilibrer le réseau entre l’offre et la demande en ayant recours aux différentes solutions de stockage d’énergie possibles dont les batteries mais également l’hydrogène moins présente dans le débat américain qu’en Europe par exemple. Le modèle étant mis à disposition en mode open-source, il sera probablement enrichi des contributions de chercheurs engagés sur ces sujets et les différentes hypothèses seront, bien sûr, probablement « challengées ». Dans tous les cas, la méthodologie proposée et permettant d’élaborer sur cette base parait intéressante pour construire un modèle optimisé.

Le constat américain est-il valable pour la France ? Pouvons-nous faire des efforts à ce propos ? 

On part de situations très différentes… En effet, il faut, avant tout, signaler que le réseau électrique américain a un fort besoin d’investissements notamment pour accroitre son niveau de fiabilité… mais pas que… en effet, il existe structurellement un problème d’interconnexion entre les états américains. Il y a une zone interconnectée à l’Ouest (côte pacifique), une zone interconnectée à l’Est (côte atlantique) mais ce système électrique n’a jamais franchi les Rocheuses, et il y a donc des états comme le Texas qui sont de véritables « îles électriques ». C’est ce qui explique que lorsqu’il y a eu des grands froids au Texas, on ait assisté à un effondrement général du réseau texan, fruit d’un déséquilibre entre une demande très élevée et une offre dans l’incapacité d’y faire face, sans qu’aucun recours aux infrastructures des états voisins soit possible.

En revanche, en Europe, depuis 1951, s’est constitué un vaste système électrique interconnecté rassemblant plus de 30 états allant de la Turquie au Maghreb et qui est un gage de sécurité du fonctionnement du système électrique global. Ainsi, en janvier dernier, on a vu un problème de fréquence lié à un dysfonctionnement dans les Balkans qui a pu aussitôt être contrebalancé par des actions efficaces de réduction des consommations menées par les GRT (Gestionnaires des Réseaux de Transport) de l’Ouest de l’Europe dont en France RTE. 

Déjà en 2015, un rapport remis au Président de la République, par Michel Derdevet, actuellement Senior Advisor chez EY, soulignait l’urgence de continuer à veiller sur la coordination des investissements liés aux infrastructures de transport électrique pour l’ensemble de l’Europe et, ce, dans une perspective de long terme. Le rapport indiquait que les gouvernements européens avaient largement investi, notamment, pour raccorder les populations les plus éloignées, contrairement à la situation américaine.

Ce point d’attention veillait, déjà, précisément, à prendre en compte la question de la production décentralisée des énergies renouvelables qui utilisent les réseaux existants le soumettant à de nouvelles contraintes. Il est important de développer les interconnexions entre états (grands réseaux de transport) mais également de rendre plus résilients les réseaux de distribution (à basse et moyenne tension) pour permettre les multiples injections d’énergies renouvelables produites dans les différents territoires, au plus près des zones de consommation, et en veillant malgré tout à exploiter les ressources locales. Cela concerne les infrastructures de production de renouvelables, mais, également, la production issue des installations de particuliers en auto-consommation individuelle ou collective, un des chevaux de bataille de l’Union Européenne et un sujet sur lequel la France travaille à rattraper son retard.

Il signale d’ailleurs qu’il s’agit également de veiller au niveau global à la sécurité des réseaux par une approche de gestion préventive en matière de cybersécurité, ce que semble ignorer l’approche américaine pourtant émanant des plus grands spécialistes mondiaux des technologies. Malheureusement l’Europe semble avoir plus d’expérience, dès à présent, en la matière, ayant déjà été confronté à ces nouveaux risques.

L’Europe semble, par ailleurs, avoir déjà pris une longueur d’avance, sur les États-Unis en matière d’hydrogène avec des plans nationaux (France, Allemagne…). Rappelons que l’hydrogène peut s’inscrire comme un élément régulateur du système électrique par ses solutions de stockage avec des électrolyseurs, mais également comme une solution de décarbonation à forte valeur ajoutée, dans une logique de sortie rapide du charbon et du pétrole et donc d’objectif de neutralité carbone, que l’Europe a été la première du monde a annoncer dès décembre 2019, et qui n’a pas reculé, bien au contraire, suite à la pandémie Covid-19. Un des enjeux est certainement de réduire les coûts de production de cet hydrogène dit vert (car produit à partir des énergies renouvelables) pour le rendre le plus compétitif possible et l’utiliser largement dans la décarbonation des industries et du transport lourd. La tendance est déjà amorcée.

Les gouvernements investissent-ils en la matière ? Les fonds sont-ils suffisants ? 

L’Europe a annonce des moyens considérables, de l’ordre de 750 milliards d’Euros, dans le cadre du programme de relance européen (Next Generation EU) destiné notamment à relancer l’économie en la verdissant.

Toujours selon notre spécialiste français du sujet, Michel Derdevet, une partie des moyens provenant de cette enveloppe globale, en principe destiné à être réparti entre les différents états de l’UE, devrait venir contribuer à consolider le réseau électrique européen en prenant en compte notamment ces nouvelles sources de production verte auxquelles s’intéressent tous les états.

Les gestionnaires des réseaux électriques français, ENEDIS et RTE, ont déjà évoqué des besoins à hauteur de 100 milliards d’Euros pour les dix années à venir. Au niveau européen une simple extrapolation permet de se rendre compte de l’importance des investissements encore à réaliser dans le cadre du Green Deal.

On voit, d’ailleurs, qu’à l’instar du programme Brekthrough Energy, qui, en parallèle de l’initiative de recherche, précédemment mentionnée, a lancé un large programme d’investissements (Breakthrough Ventures capital) de plus en plus de fonds d’investissements fléchent leurs investissements vers des projets contribuant à la mise en œuvre effective de ce nouveau paradigme éco-énergétique de neutralité carbone.

Malheureusement le côté marketing à l’américaine moins bien maîtrisé par les européens nous manque un peu… Ainsi Bill Gates a pu faire appel à des investisseurs figurant parmi les entrepreneurs les plus en vue et plus riches du monde tels que, par exemple, Jeff Bezos, Richard Branson, Reid Hoffman co-fondateur de Linkedin, Jach Ma créateur d’Alibaba’s Jack Ma, ou encore Michael Bloomberg. Cela a permis au fonds de lever son deuxième milliard de dollars en début d’année. Présent en Europe, le BEV-E a également bénéficié d'une contribution de 50 millions d'Euros de la part de la Banque Européenne d'Investissement garantie au titre du dispositif InnovFin, un instrument financier financé par le programme de recherche et d'innovation de l'Union Européenne, et d'une contribution de 50 millions d'Euros de Breakthrough Energy Ventures dans une logique PPP (Partenariat Public-Privé).

Ainsi, fort de sa machine de guerre techno-médiatique, BES, annonce pouvoir appliquer la méthodologie utilisée pour les États-Unis à la création d’un modèle similaire pour l’analyse du réseau européen, avant d’aller analyser d’autres régions du monde. Une équipe de quinze chercheurs du BES annoncent déjà travailler pour des sociétés en Europe afin de comprendre comment réduire les coûts de l’hydrogène vert, en s’inscrivant à l’intersection des sciences du climat et des technologies 0 émission.

Il est clair que la création du nouveau paradigme éco-énergétique suscite de nombreuses vocations et lancent un grand marathon pour venir trouver les meilleures voies permettant de concevoir un monde post-carbone de nature à raviver les espoirs face aux multiples défis de la lutte contre le changement climatique et ses conséquences de plus en plus couteuses.

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