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Voilà ce que les scientifiques savent désormais du narcissisme
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Savoir s'aimer

Les traits de personnalités narcissiques fascinent encore et toujours les scientifiques.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico.fr : On peut penser que le narcissisme n’est qu’un mauvais trait de personnalité, mais peut-il devenir un trouble maladif au point qu’on puisse le diagnostiquer ?

Pascal Neveu : Les anglo-saxons sont fascinants. Ils ont un esprit créatif exceptionnel afin de créer de nouvelles maladies, de modifier la terminologie « psy ».

D’ailleurs dans une étude publiée en 2018 dans « Frontiers in Psychology », les auteurs osent même écrire que leurs travaux ne sont pas forcément fiables d’autant plus que les tests psychologiques utilisés (en ligne et pas en présentiel) ont été réalisés sur 174 femmes contre 75 hommes… ce qui rend les résultats et le conclusions totalement critiquables (face au nombre d’échantillons et l’absence de parité). Ils concluent que leur étude est spéculative ! Du jamais vu dans une publication !

Il existe des traits de personnalités narcissiques, des personnalités narcissiques, mais aucun Européen, aucun Français ne pourra reconnaître que le narcissisme est une pathologie et encore moins une « maladie ».

Le normal et le pathologique ont été parfois définis selon des critères, mais un consensus tend pour une définition du pathologique lorsqu’une personne n’est pas adaptée au monde réel et au vivre ensemble. C’est un autre débat.

La communauté « psy » française a unanimement rejeté la dernière version (2013) du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5), que les psychiatres utilisent pour délimiter les troubles de la personnalité extrêmes. Synthétiquement, il y est mentionné que les narcissiques expriment un schéma omniprésent d'auto-importance. Ils sont entre autre préoccupés par les fantasmes de succès ou de pouvoir illimité, un besoin d'admiration, un sentiment de droit et un manque d'empathie, qui se traduit souvent par un comportement d'exploitation de l’autre... Quelqu'un doit répondre à la majorité de ces critères pour être diagnostiqué avec le trouble et, en réalité, peu de gens ont une personnalité extrême qui peut être considérée comme « déficiente ».

Atlantico.fr : Les chercheurs distinguent deux forces de narcissisme : le narcissisme dit « grandiose » et le narcissisme « vulnérable ». Comment les différencie-t-on ?

Pascal Neveu : Le narcissisme a toujours interpellé les psy… Mais les vraies personnalités narcissiques restent rares. Relisons le mythe de Narcisse et sa fin tragique.

Ce sera d’ailleurs l’un des piliers théoriques édifié par Freud qui considère le narcissisme comme un des éléments fondateurs de l’individu, de sa personnalité et de sa relation à l’autre. Le narcissisme est réellement constitutif de notre personnalité.

Laplanche et Pontalis (qui ont rédigé l’incontournable Vocabulaire de la psychanalyse) précisent : on considère 2 formes de narcissisme : le narcissisme primaire qui correspond à la libido que l’enfant investit totalement sur lui (ex : je m’aime ou pas en me regardant dans un miroir) ; un narcissisme secondaire qui correspond au retour sur le Moi de la libido investie sur un objet extérieur (ex : on me félicite ou pas pour un travail que j’ai effectué).

De fait, un compromis entre ces 2 formes nous maintient dans un équilibre, si jamais l’un des 2 l’emportait sur l’autre, afin d’éviter de sombrer dans un « travers » narcissique.

Cette étude ne nous apprend pas grand chose que nous ne connaissions pas déjà.

Les narcissiques « grandioses » ont tendance à présenter de grandes personnalités qui les rendent bruyants et fiers. Ils sont audacieux, affirmés et ont une grande estime de soi. Ils dominent les relations avec les autres, surestiment leurs capacités et accordent beaucoup d'importance à leur apparence. Dans une certaine mesure, ce n'est pas toujours une mauvaise chose car ils sont confiants, concentrés sur la réussite et font de bons leaders.

Les problèmes surviennent lorsque leurs traits de personnalité affectent négativement les autres, et ils sont souvent amplifiés lorsqu'ils ont du pouvoir. Car lorsque les narcissiques grandioses se sentent habilités à atteindre leurs objectifs sans aucun obstacle, ils peuvent le faire aux dépens des autres. Ils recherchent le statut, des titres. Ils s'aiment et veulent que les autres voient à quel point ils sont formidables. Tout et tout le monde autour d'eux sert de coup de pouce à leur ego.

Les narcissiques « vulnérables » auraient un ego plus fragile qu’ils veulent protéger. Ce sont des personnes hypersensibles que vous avez rencontrées au travail ou dans des contextes sociaux où elles sont défensives, vindicatives et évitantes lorsqu'elles interagissent avec les autres. Ils sont plus cachés ou « secrets ». Ils n’ont pas le fameux charisme tant recherché qui force l’admiration chez des artistes, des politiques…

Les narcissiques vulnérables ont tendance à être émotionnellement sensibles, ce qui ressort plus souvent en thérapie que les traits grandioses. Ils sont facilement blessés et plus susceptibles d'être passifs mais aussi agressifs face à leurs préoccupations que leurs homologues grandioses.

Contrairement au narcissisme grandiose, qui semble excitant et intéressant au début et qui s'estompe avec le temps, le narcissisme vulnérable n'est pas attrayant dès le départ et crée hélas des interactions tendues et épuisantes avec les autres.

Finalement ces deux « extrêmes » se retournent contre eux… car ce fameux équilibre, ce compromis n’est pas réalisé.

Atlantico.fr : Les dernières études tendent à montrer que le narcissique peut étonnamment être quelqu’un d’introverti et peu confiant. Peuvent-elles faire évoluer notre regard sur le narcissisme ?

Pascal Neveu : Nous louons l'estime de soi, la confiance et les personnalités extraverties.

Mais une étude a porté sur la relation entre l’Intelligence émotionnelle et le narcissisme. Les résultats montrent que les personnes ayant un niveau élevé de narcissisme grandiose ont tendance à surestimer leurs capacités. Le narcissisme vulnérable est en revanche probablement lié à une auto-perception plus réaliste de ses capacités émotionnelles. Ainsi, les personnes ayant un narcissisme vulnérable élevé perçoivent leurs capacités émotionnelles comme plutôt faibles. Les personnes qui obtiennent un score élevé sur le narcissisme vulnérable sont concentrées sur elles-mêmes, mais en même temps, contrairement aux narcissiques grandioses, elles présentent une dépression et une faible estime de soi, et sont peut-être moins biaisées positivement.

L’étude a également montré qu’il n’y pas de différence significative des 2 types de narcissisme avec l’empathie. Ils sont à « égalité » face à cette émotion.

Certains chercheurs suggèrent que les narcissiques (principalement grandioses) pourraient présenter une capacité accrue à lire et à évaluer les émotions des autres, qui est ensuite utilisée pour formuler des stratégies avec lesquelles ils peuvent acquérir ce qu'ils veulent.

Mais cela peut être un masque, un leurre afin de compenser un déficit de l’enfance.

Atlantico.fr : Notre société d’images et de représentation permanente de soi pousse-t-elle vers une mutation du narcissisme ?

Pascal Neveu : Il est évident que les réseaux sociaux, TikTok chez les jeunes, Instagram… ont une incidence sur notre relation à l’image, à se montrer à travers des selfies et des moments de vie exceptionnels que l’on exhibe afin de faire valoir une reconnaissance, une différence… et faire rêver voire imposer ce fameux charisme face à celles et ceux qui se sentent plus en déficience et questionnement narcissique.

Estime de soi, image exhibée au regard et au jugement de l’autre… les chercheurs s’inquiètent d’une « mutation » du narcissisme, d’autant plus que les relations virtuelles l’emportent sur le réel, surtout depuis quasi 1 an suite à cette pandémie qui vient troubler nos comportements sociaux, relationnels, affectifs, et l’utilisation massive de « visios » et l’absence de contacts physiques, sans oublier le port du masque.

Plusieurs études sont en cours afin de mesurer les conséquences. Mais nous savons déjà par exemple qu’il existe une chute importante du maquillage chez les femmes, de l’hygiène chez les hommes, de la coiffure… sans oublier l’augmentation de l’obésité.

Je pense que les codes narcissiques vont vraisemblablement changer chez les nouvelles générations.

Les personnalités narcissiques dont en revanche le fondement remonte à l’enfance (mauvaise estime de soi, absence de valorisation et de soutien de la part de l’entourage, manipulation parentale, hypersensibilité…) resteront les moins de 1% de la population à en souffrir et à risque d’en faire souffrir les autres.

 Ne soyons pas inquiets… car nous avons toujours un proche capable de nous taper sur l’épaule afin de nous dire les choses… ou un chef capable de donner une chance alors qu’on se sous-valorise.

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