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Une plongée dans la Russie des rites érotico-mystiques
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Vent d’ailleurs

"Parmi la foule des génies qui a façonné ce qu’on appelle « l’âge d’argent » se détache une noble figure – rêveuse, solitaire -, celle d’Andreï Biely."

Pauline de Préval

Pauline de Préval

Pauline de Préval est journaliste et réalisatrice. Auteure en janvier 2012 de Jeanne d’Arc, la sainteté casquée, aux éditions du Seuil, elle a publié en septembre 2015 Une saison au Thoronet, carnets spirituels.

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Les temps sont étranges, mais ainsi va le monde : le Grand Palais organise  jusqu’au 1er juillet une exposition sur les diverses productions artistiques de l’époque stalinienne sous le titre « Art et utopie au pays des Soviets », sans que personne ne s’en émeuve, et ne demande avec ironie si une exposition intitulée « Art et utopie au pays des Nazis » est à venir, pour compléter notre vision d’horreur. Par ailleurs, qu’on le veuille ou non, la Russie, sortie de sa gangue totalitaire, est vilipendée plus que jamais en Occident, sous le coup des intérêts honteux liés à une nouvelle guerre Est-Ouest, cependant qu’on l’oblige à se replier sur l’Asie et la Chine, au lieu de trouver en elle un allié naturel. Autrement dit, on est – en 2019 ! - à célébrer ce que l’URSS a produit de pire, et à hystériser tout ce qui touche à la Russie, sans laquelle l’Europe n’a pas d’avenir. Avouez que l’intelligence de certaines élites agit comme un multiplicateur de bêtise, comme l’avait prophétisé Marcel Proust.

Une solution ? Revenir à la Russie d’avant l’URSS, et la confronter à celle de demain. Cette Russie, c’est celle des vrais poètes, des vrais peintres, des vrais compositeurs, lesquels ont d’ailleurs souvent été les premières victimes du stalinisme. A ce jour, doit-on rappeler, que nul ne sait où reposent les restes d’Ossip Mandelstam ni de Marina Tsvetaieva ? Avis aux commissaires de l’exposition du Grand Palais, visiblement si fiers de leurs trouvailles … Parmi la foule des génies qui a façonné ce qu’on appelle « l’âge d’argent » se détache une noble figure – rêveuse, solitaire -, celle d’Andreï Biely (1880-1934).

C’est pour pouvoir le publier que Vladimir Dimitrijevic (1934-2011) avait créé les Éditions de l’Age d’homme. Comme l’a écrit Georges Nivat, son ami : « Vendeur chez Payot, joueur de football passionné, Vladimir Dimitrijevic se lança en 1967 dans l’édition avec un premier livre dû à sa rencontre avec Jacques Catteau et moi-même, par l’entremise d’un des mousquetaires littéraires de Paris, Dominique de Roux. Ce fut le « Pétersbourg », d’Andreï Biely, paru en 1913 en Russie, traduit deux ans plus tard en allemand, inconnu en français un demi-siècle plus tard. Ce roman joycienpar son double fond mythique était, comme tout ce qui fascinait ce Rimbaud de la lecture, un roman total, un de ceux qu’il recevait comme une lettre qu’on attendsans savoir qui l’enverra. »

Grâce au rachat, par les éditions Noir sur blanc, du fonds des éditions L’Age d’homme, Andreï Biely est de retour avec son roman « La Colombe d’argent » que « Le Monde » présente comme une « épopée érotico-mystique dans la Russie rurale et prérévolutionnaire ». Nicolas Weill écrit : « Il porte à l’incandescence les thèmes familiers d’une tradition qui mêle fiction et réflexion philosophique sur la spécificité russe. Son protagoniste, l’étudiant moscovite Darialski, passionné de poésie grecque, s’égare dans une bourgade lointaine où il délaisse, pour son malheur, Katia, sa jeune fiancée issue d’une famille nobiliaire en décomposition, et s’accouple à la servante Matriona, sorte de prostituée sacrée, membre d’une secte paysanne, mi-païenne mi-chrétienne, qui sévit dans la contrée et que dirige un menuisier manipulateur et chamane, Koudeïarov. Le décor rural sur lequel Biély porte aussi un regard d’ethnographe se teinte des incendies volontaires, des grèves et des meetings clandestins qui minent un empire tombant en capilotade, où les hiérarchies sociales se défont à la veille de la guerre mondiale et de la révolution bolchevique.»

Mais comment résumer un tel livre sans le trahir ? Tout tient aussi à la magie de l’art de Biély : une évocation poétique et charnelle des paysages, des hommes et des femmes, une intelligence rare de la folie, de l’amour, de la perte et de la rédemption. On est placé dans un univers qui tient autant de la mythologie que de l’intemporel : celui des grandes passions, non pas à l’échelle politique seulement, mais à celle des passions de l’âme. Et l’éditeur a raison de le souligner : « les scènes de transes érotico-mystiques, scandées de formules magiques, sont parmi les pages les plus extraordinaires de ce livre. »

« La Colombe d’argent » (1909) annonce avec le génie le plus sûr, d’où le rire n’est jamais exclu, les rites sanglants du « Sacre du printemps » (1913).

Pauline de Préval

Andrei Biely, La colombe d’argent, Les Editions Noir sur Blanc, 21 €

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