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"Un Reporter au coeur de la Libération". Des plages du Débarquement au bureau d'Hitler : le témoignage de premier ordre du canadien Marcel Ouimet
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De : Jean-Baptiste Pattier Dunod poche Parution le 17 avril 2024 328 pages 9.90€

Hélène Renard pour Culture-Tops

Hélène Renard pour Culture-Tops

Hélène Renard est chroniqueuse pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).
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THÈME

Marcel Ouimet (1915-1985), canadien francophone, fut le correspondant de guerre pour Radio-Canada. Au moment du Débarquement, il a 29 ans, déjà une belle carrière journalistique derrière lui (il a couvert la campagne d’Italie). Jeune marié, en plus des émissions radiophoniques, il adresse depuis le front, quasi quotidiennement à sa femme Jacqueline des missives privées, car, sur les ondes, il ne peut tout dire… Il partage avec elle ses émotions, ses convictions, ses analyses du conflit, les risques de son métier, sa confiance en l’issue de la guerre, sa haine des nazis, sa peur quelquefois… Ces quelques 250 lettres (découvertes 70 ans plus tard lors d’un tournage documentaire pour France 3 Normandie) relatent donc son périple depuis le Jour J où il débarque à Juno Beach jusqu’à son arrivée dans le bureau de Hitler… et même au-delà, puisque le 23 juillet 1945, il entre dans le palais de justice de Paris pour assister au procès du maréchal Pétain. 

Après avoir brièvement rappelé la carrière de ce pionnier du reportage de guerre  avant 1944, Jean Baptiste Pattier raconte comment ses lettres ont été retrouvées.  Puis, il évoque Marcel Ouimet à Londres (avril 44) lequel ne fait qu’attendre, car de même que tous ses confrères, il ne sait rien de l’opération Overlord. La censure militaire surveille ses propos. Le grand moment arrive, le 6 juin 1944, Jour J, et le voici débarqué en Normandie où il va suivre au plus près des combats, toutes les étapes de la campagne libérant la France, et enfin la Libération de Paris.  Puis à Bruxelles il rend compte de la bataille de l’Escaut (septembre-novembre 1944) et il arrive jusqu’à Berlin en ruines emportant du bureau d’ Hitler quelques bricoles en souvenir ! 

POINTS FORTS

Ces lettres à son épouse qu’il appelle « Ma tendresse » sont émouvantes. Certes, le reporter ne veut pas inquiéter sa femme mais il n’hésite pas non plus à écrire en détails ce qu’il fait et à partager ce qu’il ressent. Il assiste à des moments historiques, il le sait, mais il raconte aussi les moments du quotidien. Ces deux aspects mêlés, la grande Histoire et la petite, rendent ce témoignage précieux. 

En le lisant, je me disais que pour un jeune lecteur, il n’était pas de meilleure façon d’aborder et de comprendre ces épisodes majeurs de la guerre : le Débarquement et la Libération. Car le texte de présentation de Jean-Baptiste Pattier est concis et précis, de même que le style des lettres de Marcel Ouimet est clair et élégant. 

Jean-Baptiste Pattier retrace les étapes de cette période et le parcours du reporter en incluant -au moment opportun- des extraits de ses lettres (car elles ne sont pas toutes reproduites en intégralité). Ce « maillage » habile favorise une lecture aisée. Il offre aussi de nombreux encadrés qui reproduisent des extraits de ses reportages radio : « Ici Marcel Ouimet de Radio-Canada qui vous parle de France »… On est là en présence d’une page de l’Histoire mondiale vécue en direct. 

Bien que le livre soit dans un format poche, une trentaine de documents et des  photos en noir et blanc, signées Marcel Ouimet, ajoutent de l’intérêt et de l’émotion au texte : sa carte d’identité officielle servant de laissez-passer avec sa photo, plusieurs lettres manuscrites photocopiées, des villes bombardées, des portraits des grands chefs militaires rencontrés, des images d’hommes et de matériels débarqués ou de prisonniers allemands, des femmes en liesse mais aussi des tondues, des familles sur les routes, les quelques objets du bureau d’Hitler etc. 

QUELQUES RÉSERVES

Il serait malvenu, face au courage de cet homme et à la qualité de son travail professionnel, d’émettre des « réserves »… 

ENCORE UN MOT...

Ce livre répare une injustice. Le nom Marcel Ouimet a en effet été injustement éclipsé par ceux de Robert Capa et Ernest Hemingway. Or, le premier, photographe de guerre, est resté le Jour J entre 30 minutes et 1heure 30 sur la plage d’Omaha  (ce qui n’est déjà pas si mal… ) et sa photo du soldat américain pataugeant dans la mer est à juste titre célèbre. Le second, l'écrivain-journaliste Ernest Hemingway, ce jour-là, est resté sur une barge en mer et a assisté au débarquement sans poser le pied sur le sol normand. Ce n’est que plus tard, dans les années 50-51, qu’il a réalisé d’excellents reportages. Marcel Ouimet, lui, non seulement a vraiment débarqué le 6 juin 1944 à Bernières-sur-Mer (Juno Beach) mais  il a sillonné toute la Normandie en ruines au risque de sa vie, s’est rendu à Paris au moment de la Libération, puis à Berlin en juillet 45 en se déplaçant en France et en Europe (notamment aux Pays-Bas et en Belgique) durant plusieurs mois. 

En juin 2022, la Normandie et la ville de Bernières-sur-mer lui ont rendu un hommage mérité en inaugurant une Place Marcel Ouimet à l’endroit de son débarquement. Cet été, en juillet 2024, pour le 80ème anniversaire de la libération de Caen, le chef-lieu du Calvados axera ses commémorations sur les Canadiens. La famille de Marcel Ouimet invitée sera évidemment aux premières loges. 

La « Maison des Canadiens » à Bernières est une demeure anglo-normande du XIXè siècle. Elle fut la première maison libérée par le débarquement maritime. Le Centre Juno Beach consacré aux Canadiens se trouve à Courseulles-sur-mer (on peut y écouter la voix de Marcel Ouimet et des extraits de ses reportages). 

UNE PHRASE

« J’ai vu à Caen des choses que je ne pourrai jamais oublier. Surtout le spectacle de ces milliers de femmes, d’enfants et de vieillards dans l’abbaye et dans le lycée voisin. Quel cran, mon Dieu. Et après cela on dira que la France était pourrie jusqu’à la moelle. L’effet de nos bombardements tu peux me croire est terrible. J’avais vu en Angleterre des traces des bombardements allemands, mais jamais n’ai-je rien vu d’aussi dévasté que certains quartiers de la vieille ville normande, même en Italie… Tout ce que je souhaite c’est que la chose ait véritablement aidé nos opérations » (p. 128)

« Même si je suis plus heureux en France que je ne l’ai été depuis mon départ du Canada, mon cœur saigne à la vue de tout ce qu’on endure ici, de toutes ces vies qui se sacrifient. Crois-moi, si je jouis après la guerre de la moindre autorité, je ferai tout mon possible pour empêcher le renouvellement d’une telle catastrophe. Et il ne faut pas que l’héroïsme de nos soldats et des populations civiles reste stérile » (p. 129) 

L'AUTEUR

A dire vrai, si l’ouvrage est signé d’un seul nom, celui de l’historien Jean-Baptiste Pattier, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, il conviendrait d’y ajouter celui de Marcel Ouimet puisque près de la moitié du livre est composé de ses lettres. 

Jean-Baptiste Pattier a participé à la réflexion qui doit mener à faire inscrire par l’UNESCO les plages du Débarquement sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité. Le dossier, retardé, est en cours de validation.  Il a aussi coopéré entre 2013 et 2014 avec le Conseil de l’Europe au programme « Mémoire de l’Holocauste et prévention des crimes contre l’humanité ». 

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