Twitter, et les nouvelles agoras: de la fin de la pensée complexe à l’autocensure<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
High-tech
Twitter, et les nouvelles agoras: de la fin de la pensée complexe à l’autocensure
©DIPTENDU DUTTA / AFP

Gazouillis

De manière générale, Twitter et les nouvelles agoras se proclament nouveaux espaces d'échange et vecteurs de démocratie. Pourtant, bien souvent, on se rend compte que suivre une discussion complexe relève d'un exploit

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini est docteure en sociologie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et et actuellement chercheuse invitée permanente au CREM de l'université de Lorraine.

 

Voir la bio »

Atlantico : Donald Trump fait de la twitto-diplomatie, de plus en plus de personnes influentes développent des "threads". Pourtant, l'accès à des discussions complexes sur les réseaux sociaux est rendu difficile à la fois pour des raisons techniques et par les contraintes de l'outil elles-mêmes. Les nouvelles agoras souffrent-elles de leur manque d'ergonomie ?

Nathalie Nadaud-Albertini : Twitter a évolué depuis ses débuts : on est passé d’une limite de 140 caractères par tweet à une limite de 280, et on a, à présent, la possibilité de faire des threads (lier plusieurs tweets pour en faire un contenu plus long). Cependant, le réseau à l’oiseau bleu permet encore difficilement des discussions complexes, et ce pour plusieurs raisons. 

Tout d’abord, le principe des threads repose sur le présupposé selon lequel la pensée serait linéaire. Or, ce n’est pas le cas. En effet, il arrive que l’on se rende compte que, dans les arguments que l’on vient de développer, un demande à être préciser ou nuancer. Si l’on revient sur cet argument pour l’approfondir, on coupe le fil de la discussion en deux. Supposons maintenant que plusieurs intervenants fassent de même, la discussion devient impossible à suivre.

Autre élément important dans le manque d’ergonomie de Twitter : pour avoir la totalité des réponses, les utilisateurs doivent cliquer sur chaque tweet du fil de discussion. On s’y perd et on sature vite.

Autre élément important dans le défaut d’ergonomie de Twitter pour les conversations : le hashtag. D’un côté, il n’est pas possible en cliquant sur un hashtag d’obtenir le flux chronologique de la conversation. Au lieu de cela, on a un flux désordonné et aléatoire qui ne favorise pas la compréhension de la discussion dans sa globalité. D’un autre côté, les signes du hashtag sont inclus dans la limite des 280 signes, ce qui fait qu’il arrive que des intervenants ne l’incluent pas dans leur tweet, rendant l’échange général encore plus compliqué à suivre.  

En creux, ces outils n'ont-ils pas pour conséquence insidieuse d'amener à une pensée simplifiée en quelques caractères ou à privilégier les thématiques simplistes ? 

À mon sens, Twitter est plus un outil de punchlines, de phrases fortes, choc ou humoristiques, ou du moins de phrases synthétiques. Il est un outil de communication au sens de promotion de telle personne, de telle marque, ou de tel objet, un outil d’expression d’opinions (on dit que l’on pense ceci ou cela, mais sans indiquer les arguments sur lesquels on se fonde) ou d’humeur, et bien plus difficilement un outil de débat. Personnellement, ce n’est pas l’outil que je choisirais pour avoir une discussion argumentée et complexe. Je sais que certains le font, mais cela me surprend toujours.

D'un point de vue plus politique, ces plateformes n'ont-elles pas tendance à induire une forme d'autocensure puisqu'elles ne permettent pas, de fait, de développer une pensée complexe, argumentée et nuancée ?

Autocensure au sens où l’on déciderait de se limiter dans l’expression de ses arguments, vous voulez dire ? D’une certaine façon oui, parce qu’on a le sentiment que les arguments que l’on exprime sont émiettés çà et là dans le débat, quand on n’a pas le sentiment qu’ils se sont complètement perdus en cours de route. Ça donne parfois l’impression de parler dans le vide et pour rien. Un peu comme si on recevait en retour un grand « cause toujours ». Et au final, ça lasse et décourage d’argumenter.

J’aimerais ajouter quelque chose qui est moins de l’ordre de la réponse que du questionnement. Je me demande s’il est vraiment judicieux de vouloir faire de Twitter un outil de débat argumenté. On pourrait aussi se dire qu’il permet simplement de diffuser des formules percutantes, laissant à d’autres réseaux sociaux et canaux le soin de permettre un réel débat. L’idée serait la suivante : à chaque réseau sa fonction. À force de vouloir leur faire faire à tous les mêmes choses, il me semble parfois qu’ils perdent à la fois leur identité et leur distinctivité. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !