Santé publique : la crédibilité de la parole publique, l’autre victime terrassée par le Covid <!-- --> | Atlantico.fr
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Le directeur général de la santé Jérôme Salomon parle à côté du ministre français de la santé Olivier Veran lors de la conférence de presse hebdomadaire sur la pandémie de Covid-19, nouveau coronavirus, à Paris, le 19 novembre 2020.
Le directeur général de la santé Jérôme Salomon  parle à côté du ministre français de la santé Olivier Veran lors de la conférence de presse hebdomadaire sur la pandémie de Covid-19, nouveau coronavirus, à Paris, le 19 novembre 2020.
©BERTRAND GUAY / AFP

Dommage collatéral

Lorsque la confiance envers la parole officielle en matière de santé publique diminue, il devient difficile de lutter contre les épidémies efficacement.

Jérôme Barriere

Jérôme Barriere

Le Dr Jérôme Barrière est oncologue à Cagnes-sur-Mer. 

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Atlantico : Dans un récent thread (fil) publié sur Twitter vous estimez qu’il y a une perte de confiance dans la parole officielle en matière de santé publique. Comment observez-vous cela ?

Dr. Jérôme Barriere : En santé publique, si l’on veut lutter contre une épidémie, c’est en associant plusieurs mesures que l’on sait efficaces. Pour le Covid : la vaccination, le port du masque, le traitement de la qualité de l’air et les autres mesures annexes. Depuis deux ans, on assiste, selon les vagues, à des mesures qui ne sont jamais les mêmes. On peut en partie l’entendre car il y a de nouveaux variants, l’apparition du vaccin, etc. qui ont fait évoluer les choses. Malgré tout, ce qui est difficile pour les citoyens c’est de comprendre les messages délivrés par les pouvoirs publics lorsqu’il n’y a pas d’indicateurs précis. Si fin février le ministre de la Santé donne des critères conditionnant la levée du port du masque (nombre de personnes en réanimation, taux d’incidence)et que le jour J on décide de faire fi de ces critères, la compréhension de la parole publique pour l’acceptation des mesures s’en trouve amoindrie. Le pire a été pour l’école, on a demandé à des professeurs d’appliquer des mesures qu’ils ne comprenaient pas malgré tout leur bon sens. A partir de là, forcément, les bons messages de santé publique perdent de leur portée. On le voit sur les réactions Twitter aux messages de santé publique. Le compte du Ministère de la santé qui a 300 000 followers fait la promotion de la 4ème dose de vaccination chez les plus de 80 ans et les résidents d’EHPAD, il récolte 50 likes, alors que le message est essentiel. Il partage le même jour une vidéo sur le lavage de main pour lutter contre la COVID, mesure efficace certes pour lutter contre la gastro-entérite mais somme toute au mieux secondaire contre un virus aéroporté, et il tourne bien plus... Le ras-le-bol vient aussi de la difficulté à comprendre les messages. Même nous, professionnels de santé, sommes agacés par les multiples messages de la Direction Générale de la Santé dit « DGS urgents » que nous recevons par mail le dimanche soir à 22h. Alors qu’il y a évidemment des bonnes choses dedans. Pour faire simple, nous naviguons à vue et c’est normal car nous sommes en pleine pandémie. Mais le problème, c’est que nous naviguons sans boussole. C’est le meilleur moyen de se perdre. On se souviendra que pendant un temps, on avait un point hebdomadaire de Jérôme Salomon et d’un jour à l’autre plus rien.

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La France n’aurait-elle vraiment aucun problème sanitaire face au Covid si les non vaccinés n’existaient pas ?

En 2009, nous avions mené une étude sur la vaccination contre la grippe H1N1 pour étudier les facteurs de motivation à se faire vacciner chez les soignants. Déjà à l’époque, on voyait que ceux qui ne se faisaient pas vacciner étaient ceux qui avaient le moins confiance dans la parole publique. Et que même ceux qui se faisaient vacciner étaient peu susceptibles d’écouter les recommandations de santé publique.

Quelle est la part de choix et déclarations politiques problématiques ? 

Il y a bien sûr des compromis politiques, mais ce ne sont pas les mêmes partout. L’Italie n’a pas fait le même choix. Certaines communes, en France, demandent de remettre le masque, notamment dans les écoles. Les écoles sont finalement équipées en capteur de CO2, plus d’un an après les demandes. Et malgré tout, nous ne sommes pas capables de faire de notre industrie un champion pour l’amélioration de la qualité de l’air pour les années à venir, alors que nous le pourrions. Les États -Unis ont ainsi annoncé récemment qu’ils allaient investir plusieurs milliards de dollars pour traiter l’air des bâtiments publics et des écoles (REF 1). Pourquoi feraient-ils cela si ce point était secondaire dans la lutte contre une épidémie qui manifestement durera ? Là encore, si on communiquait plus sur la diffusion par aérosol, on éviterait que les gens croient qu’il suffit de se laver les mains.

On ne peut pas se permettre de dire tout et son contraire en 15 jours. Pour parler au bon sens des gens, il faut être clair, précis et donner des objectifs et s’y tenir. Il nous faut un cap et pour naviguer une boussole.  Et ce n’est pas parce qu’il y a la présidentielle dans quelques semaines ou que les gens en ont marre du Covid qu’il faut céder à une certaine forme de populisme. La pensée magique n’existe pas, ce n’est pas parce qu’on en a marre que c’est terminé. Si on avait dit aux gens que l’épidémie n’était pas encore à son plus bas et qu’il fallait se laisser encore du temps avec le masque, tout en reconnaissant que ce n’était pas une déclaration populaire, ça aurait eu le mérite de la sincérité. La politique est un art de compromis, mais on ne peut pas manquer de sincérité ni d’humilité.  Tout erreur de santé publique, de communication à des répercussions à l’autre bout de la chaîne et par ricochet des vies sont menacées. 

A quel point ce manque de crédibilité dans la parole publique impacte-t-il aussi les professionnels de santé ?

Quand les critères ne sont pas les bons, par exemple les tests scolaires à J2, ça crée de l’incompréhension et les gens ensuite n’ont plus confiance. Et donc en conséquence, nous n’entendons plus les messages de santé publique essentiels comme sur la vaccination. Cela a forcément un impact sur le message que nous délivrons. Si l’on explique le besoin d’une quatrième dose et que derrière la désinformation supplante les informations du gouvernement, nous peinons à expliquer la nécessité de faire les choses. Cela contribue à la désorganisation in fine du système de soin donc cela aboutit, au final, à plus d’hospitalisations.

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